Evèque Ricci (1830, Louis de Potter)

Page 1

Sous le règne de Léopold d'Autriche, grand-duc de Toscane.

1

JERSEIENS BRUXELLES, A.

Tout pouvoir qui n'est pas basé sur la raison, qui est sans frein el sanscontrôle, aboutit nécessairement à des monstruosités. *

i

MÉMOIRES DE SCIPION DE RICCI

DE POTTER, le Système catholique. (Sous presse.) . ALOHEN LABROUE ET COMPAGNIE, IMPRIMEURS, RUE DE LA FOURCHE , 36 .

S.ut

PAR DE POTTER .

SAROOMS

1857

ÉVÊQUE DE PISTOIE ET PRATO

TROISIÈME ÉDITION BELGE , ENTIÈREMENT RECONDUE SUR UN NOUVEAU PLAN .

PRÉFACE .

1

Le candide et pieux évêque dontnous retraçons la vie, avait assemblé beaucoup de matériaux, et des matériaux pour la plupart d'un grand intérêt et uniques dans leur genre; il avait formé le projet de publier lui-même ses Mémoires. Mais, détourné dece soin par d'incessants tra vaux, par une carrière agitée, et finalement par des per sécutions sans nombre et de longs chagrins, il ne laissa que quelques pages de sa propre rédaction, et tout ce qu'il fallait pour faire du reste, en le coordonnant, une histoire complète des réformes religieuses tentées en Tos cane par le grand-duc Léopold.

La bibliothèque entière et les riches archives de la famille Ricci ayant été mises à notre disposition pendant MÉMOIRES .

DE RICCI

6 2 >

l'année 1823, nous y puisâmes, sous les yeux des deux neveux du prélat, et de leur commensal, l'ami constant et éclairé de la maison, les documents authentiques qui ont servi à composer ce livre. Il est superflu de dire que MM. Ricci savaient ce que nous avions l'intention de faire de ce travail. Mais il peut être bon de ne pas laisser ignorer que l'ami de la maison, qui n'était autre que le comte Fossombroni, alors premier ministre du fils de Léopold, le grand-duc Ferdinand III, nous approuvait fort, et nous encourageait sans cesse à poursuivre une entreprise dont personne en Toscane n'aurait pu s'occu per sans péril.

Avant de faire paraître la Vie de Ricci en Belgique, pour laquelle, semblait-il à l'auteur, elle offrait peu d'utilité à une époque où l'on y avait bien plus à redouter le despotisme gouvernemental que les intrigues des jé suites, le manuscrit fut présenté aux éditeurs parisiens dont pas un seul n'osa l'accepter. Il est vrai qu'alors en France les jésuites étaient plus menaçants que le pou voir.

Lavie de Scipion de Ricci fut publiée à Bruxelles pour la première fois en 1825 (3 vol. grand in-8°), et pour la seconde, l'année suivante, édition revue et augmentée (3 vol. in-18). Ces deux éditions, les seules que l'auteur avoue, épuisées depuis longtemps, ne sont plus dans le commerce de la librairie.

Néanmoins, à peine l'ouvrage fut-il sorti des presses

7

Comme de raison, les dévots ne pouvant crier à la ca lomnie, crièrent au scandale; nous leur répondimes avec l'évêque toscan dont nous ne faisions d'ailleurs qu'exé cuter le dessein : « J'ai pensé que l'amour de lajustice et de la vérité rendait indispensable la rédaction de ces Mé moires. J'étais le seul qui pût raconter certains faits importants, et mettre au jour quelques pièces qui, jus qu'alors, avaient été complètement ignorées , ou sur les quelles on avait le plus grand intérêt à garder le silence. Le public cependant avait droit à la révélation de ces faits, que je rapporterai en les appuyant, non sur des bruits vagues et peu sûrs, mais exclusivement sur des documents vrais et irrefragables. Peut-être que cette franchise hardie déplaira à ceux qui voudraient qu'on les épargnât aux dépens des autres; mais je ne puis ni ne veux commettre une injustice manifeste, en supprimant les vérités les plus nécessaires que l'on sache, afin que la postérité bien informée traite chacun comme il le mérite. »

belges, qu'on le réimprima à Paris, en contrefaçon. Cette édition française, que la peur avait faittronquerdans ses parties principales et ses passages les plus saillants, fut cependant étendue en quatre volumes. La vie de Ricci obtint en outre les honneurs de la traduction : elle fut publiée en allemand (Stuttgard, 1826, 4 volumes) et en anglais (Londres, Colburn, 2 volumes).

Et pour ce qui est du honteux éclat, nous ajouterons,

- 8 avec le pape saint Grégoire le Grand, que, lorsqu'il s'agit de rendre témoignage à la vérité, il faut compterpour rien le scandale qui en peut naître. Le blâme qu'emportent des actes coupables, retombe de tout son poids sur ceux qui les ont commis, et ne saurait atteindre l'historien qui signale le mal afin qu'on ne le commette plus à l'avenir.

D'ailleurs, il n'y aura de scandalisés que ceux qui au rontvoulu l'être. Nous ne prenons personne au dépourvu : de même que, dans la préface du Résumédel'Histoire du christianisme, nous avertissons que le livre peut être mis aux mains de tous, sans distinction d'âge ni de sexe, de même nous nous faisons un devoir de déclarer ici queles Mémoires de l'évêque de Pistoie et Prato ont été spéciale ment écrits pour les hommes sérieux, aux yeux desquels il est bon de mettre à nu les plus dégoûtantes plaies de la société afin de les convaincre qu'il faut y appliquer fer et le feu. En effet, en abrégeant notre grande Histoire du christianisme, nous en avons retranché les passages qui n'intéressaient que les érudits, curieux de tout savoir; il nous a été impossible de faire de même en refondant la vie de Scipion de Ricci. Les documents qu'il eût fallu éliminer sont précisément ceux qui, comme nous venons de le dire, donnent à l'ouvrage la seule valeur dont il soit susceptible. Nous répétons donc et avec intention : Que celui qui alesoreilles plus chastes que l'évêque Ricci s'abstienne de nous lire, et si, après nous avoir lu, il

9

Un mot maintenant sur cette troisième édition belge des Mémoires de Ricci. Elle contient exactement les mêmes faits que les deuxéditions précédentes, et tous les faits consignés dans ces éditions ; mais la matière y est disposée dans un autre ordre, et le récit, débarrassé de toutes les considérations étrangères au sujet, en est de venu plus rapide et, par conséquent, plus précis, plus concis. Les pièces à l'appui, qui avaient été rejetées dans les notes, sont ramenées au texte même, et font corps avec l'ouvrage.Les expressionsquieussent été choquantes pour des oreilles françaises, ont été supprimées et rempla cées par les mots équivalents italiens ou latins, empruntés à l'original et qu'aurait employés le religieux et crédule évêque. Nous n'avons pas cru devoir pousser le scrupule plus loin.

Enfin, lorsqu'il arrive que nous croyions devoir appré cier les événements que, communément, nous ne faisons qu'exposer, les jugements que nous en portons aujour d'hui different essentiellement, nous devons en prévenir, de ceux que nous émettions il y a trente ans. Il n'y a là rien d'étonnant. L'auteur a subi , dans cet intervalle de temps, si riche en enseignements de toute espèce, une transformation complète : du xvil siècle, il est passé au xix®, où le besoin d'un nouvel ordre social, fondé sur la raison, est plus vivement senti qu'on ne sentait cin > 1.

croit avoir à se plaindre, que du moins ce ne soit pas de nous.

Et il respecte les hommes qui, en dépit de l'évidence rationnelle, se flattent encore de ramener cette autorité avec l'ordre dont elle est la base , en restaurant les croyances déchues. L'amour de la conservation les aveu gle; l'incertitude toujours croissante des esprits et la désorganisation sociale en progrès accéléré ne leur des silleront les yeux que trop tôt.

10quante ans plus tôt, le besoin de déblayer le terrain des contradictions que le temps avait signalées dans l'an cienne organisation de la société. L'auteur a, pendant toute sa vie, combattu la foi qui, depuis qu'il n'est plus possible de comprimer la discussion et d'empêcher le doute, est devenue incapable de maintenir l'ordre parmi les hommes réunis. D'abord il l'a fait de sentiment; maintenant il se rend compte des motifs qui le portent à persévérer dans cette guerre aux doctrines non démon trées, et par conséquent il en est d'autant plus animé à la poursuivre.

Seulement, distinguant les époques, il rend sincère ment hommage aux bienfaits que la foi, pendant des siè cles, a répandus sur le monde ignorant et docile; il re connaît que la soumission sincère à une autorité révélée, que la résignation consciencieuseà l'ordre établi, quelles que fussent les souffrances dont cet ordre était cause, pouvaient alors, exclusivement à tout autre principe de stabilité, sauver le monde de l'anarchie et de la décom position.

Quant à ceux qui prétendent conjurer le désordre par la confusion même, qui se flattent de faire contribuer les passions individuelles au bien commun, en les affranchis sant de plus en plus de toute règle commune, nous n'a vons rien à leur dire : l'anarchie seule pourra faire tomber les cataractes qui leur cachent la vérité.

- 11

ÉVÊQUE DE PISTOIE ET PRATO.

CHAPITRE PREMIER.

Naissance de Ricci. Sa famille. Jésus . Crédulité de Ricci. l'église et de l'état.

MÉMOIRES DE SCIPION DE RICCI

Les Médicis. Ricci, janseniste. La compagnie de Séparation de

Scipion de Ricci naquit à Florence le 9 janvier 1741. Il étaitle troisième fils du sénateur président Pierre-Fran çois de Ricci, ct de Marie-Louise, fille de Bettino Ricasoli, baron de la Trappola et Rocca Guicciarda, et capitaine de la garde suisse du souverain de la Toscane, La famille des Ricci était fort ancienne. Robert de Ricci s'était rendu fameux par ses débordements et ses crimes dans la seconde moitié du xviº siècle, sous la protection du grand-duc François de Médicis, amant d'abord, puis mari de la courtisane vénitienne Bianca Capello. La cor

- 14 ruption, l'assassinat, l'empoisonnement régnaient en Tos canc avec l'opulente maison des négociants florentins, qui avaient acheté le droit d'exploiter leurs concitoyens en les dominant. Alexandre de Médicis, le premier duc, bâtard du duc d'Urbin ou dupape ClémentVII, bâtard lui-même; Alexandre, disons-nous, soutenu par Charles-Quint, dont il avait épousé une fille naturelle, ouvrit celte ère gouver nementalede débauche et de forfaits : son successeur Côme, créé grand-duc, fut le Tibère de la Toscane. Après avoir tué Sforza Almeni, son favori, qui avait trahi le secret de ses vices, Côme de Médicis laissa après lui un recueil de recettes pour composer des poisons. Il était fort lié avec le pape saint Pie V, auquel il sacrifia Pierre Carnesecchi, suspect d'opinions hétérodoxes. Ce fut pour le grand-duc François, fils deCôme, que Robert de Ricci assassina Pierre Bonaventuri, le mari de Bianca Capello, qui n'était encore alors que la maîtresse du prince.

Jean-Gaston, le dernier des Médicis, ne pouvant léguer la Toscane aux sicns, résolut de lui rendre la liberté. Mais les moeurs publiques n'étaient plus à la hauteur des insti tutionsrépublicaines. Aussiles souverainsd'Europe eurent ils peu de peine à imposer de nouveaux maîtres à la Tos cane. Nous voyons ici reparaître les Ricci. Ils étaient en défaveur auprès de la famille régnante de Lorraine, contre laquelle ils avaient prisparti en combattantpour la cause des Bourbons d'Espagne. Les oncles dujeune Scipion n'a vaient donc rien à espérer pour lui de la cour d'Autriche : ils envoyèrentleur neveu, dès l'âge de quinze ans, àRome,à étudier sous lesjésuites.

1

Scipion de Ricci était loin cependant d'être imbu des principes philosophiques qui commençaient à percer à son époque. Il était profondément convaincu de la vérité des croyancesdanslesquelles il avaitété élevé,ce qui, joint à une tendance marquée àla crédulité, le prédisposait sin gulièrement aux aberrations superstitieuses. Il nous ra conte naïvement qu'étant encore chez les jésuites, il lui vint au genou une tumeur qu'aucun remède ne parvenait à guérir. Déjà les médecins allaient faire procéder à l'am putation de la cuisse, lorsque le malade s'avisa d'appliquer sur lemal une image représentant le vénérable Hippolyte

La compagnie de Jésus, qui a fait tant de bruit dans le monde et qui l'effraie encore par le préjugé de son an cienneréputation,étaitalors au plus haut pointde sa puis sance, mais aussi au bord du précipice où elle allait s'en gloutir. La mère de Scipion n'aimait pas les jésuites, et le prêtre quijusqu'à ce moment lui avait servi de précepteur, leur étaitpositivement contraire. La nécessité de le placer avantageusement, comme on s'exprime, et d'une manière honorable l'emporta néanmoins sur toute autre consi dération, et Ricci devint le disciple de la compagnie de Jésus.

Mais, soit que des idées préconçues l'eussent mal disposé à l'égard des jésuites, soit que réellement il découvrit chez eux desdoctrines et des maximes de conduite qu'il ne pou vait approuver, toujours est-il qu'il finit parse lier, à Rome même, avec les antagonistes les plus déclarés de la com pagnic, et que lui-même nc tarda pas à augmenter leur nombre.

15

- 16

Galantini, un des frères de la doctrine chrétienne, connus sous le nom de Bachettoni. Sa confiance étaitsans bornes, sa foi robuste, etle mal probablement moins grave que les médecins ne l'avaient supposé. Ricci fut bientôt guéri, et guéri, il en demeura persuadé, miraculeusement.

1

Nous ne passerons passous silence un autre trait de la simplicité et de la piété du jeune Scipion, qui suffirait seul pour faire connaîtrelefondde son caractère.Ilavaitvudans une prophétic de saint François Borgia la promesse faite à tous lesmembresde la compagnie de Jésus, savoir celledu salut éternel, qui leur était assuré du moment et pour cela seul qu'ils se faisaientjésuites. Comme il était encore plus désireux de gagner le paradis qu'il n'avait d'aversion pour le jésuitisme qui -- contradiction étrange pour un esprit aussi logique - y menait avec certitude, il se décida à se faire affilier à la compagnie célèbre. Dès qu'ils eurent con

Il avait été soigné chez le chanoine Bottari, regardé par les jésuites comme le chefdes jansenistes à Rome. Sa con version à la triste et sévère doctrine de Jansenius y fut rendue irrévocable. Elle avait été préparée par le dégoût que lui inspiraient le molinisme, le congruisme, la science moyenne, à l'aide de laquelle Dieu voit les futurs contin gents, et autres notions creuses qui servaient aux jésuites pour ré uter les raisonnements tout aussi vides de sens des disciples de l'évêquc flamand. Il ne s'en montra pas moins juste envers les pères Boscowich, Lazzeri et Benvenuti, ses professeurs d'histoire et de sciences exacles, auxquels il ne cessa jamais de témoigner sa reconnaissance et son estime,

- 17 naissance de ce projet, ses parents, probablement moins confiants que lui dans saint François Borgia, le rappelèrent en Toscane.

La doctrine embrassée par Ricci n'en était pas moins ir réprochable pour les hommes de son époque, qui la récla maient avec instance, avec passion. Car il était désormais impossible de maintenir l'unité sociale chrétienne dont le catholicisme romain avait été la loi des lois pour la famille des peuples de l'Occident. Mais onn'avaitgarde encored'en

Entré à l'université de Pise (1788), Ricci, après avoir terminé ses études profanes, alla faire son cours de théo logie à Florence, sous les moines bénédictins du Mont-Cas sin, où le père Buonamici était lecteur. Il y embrassa définitivement la doctrine augustinienne, - c'était le jan sénisme déguisé sous une terminologie orthodoxe, --- qui se composait de deux parties distinctes : l'une spéculative concernant la grâce, ou la prédestination, ou le fatalisme, qui, ergoterie à part, sont une seule et même chose; l'autre pratique, qui faisait refuser à l'église, non-seulement toute autorité, mais encore toute intervention dansles affaires du monde, et borner strictement son pouvoir et son influence aux intérêts de la conscienceetaux choses de la religion. Cette dernière idée, faisons-le remarquer en passant, était dépourvue de toutsens rationnel, et n'avaitpu êtreinspirée quepar l'incompatibilité de l'examen qui s'imposait, avec la foi qui s'évanouissait; de l'instruction qui échappait à toute direction, avec l'éducation que l'instruction absorbait de plus en plus ; du besoin en un mot dedémolir pour réformer, avec la nécessité de conserver pour vivre.

Cependant c'estlà notre état socialactuel, et cet état, vu les connaissances acquises à la société dans les intérêts de la vie, et l'ignorance complète où elles nous laissent sur 1

18 ) 7

On n'avait gardesurtoutdesedemandercomment ondis tinguerait l'église de l'étal; comment, en d'autrestermes, on tracerait clairement et nettement la limite infranchis sable entre les intérêts de la conscience, les choses de la religion, comme on dit, et les choses de ce monde, les in térêts de la vie. Y a-t-il une seule de nos actions qui ne soit pas souverainement déterminée par nos sentiments, nos croyances, notre raisonnement, nos idées, en un mot par notre conscience?Et vouloirque l'état, auquel lemoin dre de nos actes importe au plus haut degré, abandonne à l'église, dont il se sépare, le soin de régler nos pensées,de diriger notre conscience dont ces actes procèdent; puisdé fendre à cette église, dontpar conséquent l'éducation, l'in struction, les moeurs, les habitudes, c'est-à-dire la conduite tout entière de lavie, dépendentétroitement, lui défendre de se mêler des choses de ce monde, des intérêts de la société, n'est-ce pas poser une flagrante contradiction, n'est-ce pas demanderl'impossible, vouloir l'absurde?

tirer la conséquence quec'était en même temps reconnaître la mort du christianisme, pour la société du moins, puis que cette religion y serait bornée à l'avenir au rôle très secondaired'uneopinion pieuse, accidentellementprofessée par tel ou tel peuple isolé, le plus souvent par une fraction de ce peuple, et même par quelques individus, et qu'elle demeurerait sans force pour soutenir et maintenir unies les nations qui ne s'appuyaient plus sur elle.

les choses de la religion, ne saurait être que ce qu'il est: aussinous mène-t-il nécessairement, ou mieux logiquement, là où mène toutdéfaut de raisonnement, toute absurdité; il nous mène par la confusion à l'anarchie.à

19

Ricci, prétre. Sa parenté avec le père Laurent Ricci, dernier général deg jésuites. Clément XIV, empoisonné.

Bientôt Scipion de Ricci fut ordonné prêtre (1766) et presque immédiatement nommé chanoine et auditeur à la nonciature de Toscane. Il s'y lia avec le chanoine Martini, qui, dit-il, le débarrassa debeaucoup de préjugés dontson éducation, basée sur la théologie des décrétales, l'avait imbu. En1772,il hérita des biens d'un parentdesonpère, nommé Corsode Ricci,chanoinepénitencierde la cathédrale deFlorence,et propre frère du dernier général des jésuites. Corso de Ricci, quoiqueélevépar lesjésuites comme l'avait été Scipion, ne lesaimaitguère etavait beaucoup contribué à leur aliéner son héritier futur. Il était surtout scandalisé de leur morale, et ne pouvait leur pardonner la calomnie duprojet de Bourgfontaine : on appelait ainsi une préten 2.

CHAPITRE II.

« La relation de sa maladie (deClément XIV ) et de sa mort, dit Ricci, envoyéeàlacourdeMadrid parleministre d'Espagne auprès du saint-siége, contient la preuve non équivoque que le pape avait été empoisonné. Néanmoins, ni les cardinaux, ni le nouveau pontife ne firent faire au cune enquête sur cet événement.

Elles sont contenues dans un écrit conservé aux archives Ricci, et quifutpubliéàFlorenceenitalienetenlatin (1778), sous le titre suivant : Histoire de la vie, des actions et des 2 1 )

L'accusation est aussi positive que grave. Rapportons en quelques lignes les preuves sur lesquelles le futur évêque de Pistoie se fondait.

22 due conspiration dejansenistes pour renverser le christia nisme (1621); cette conspiration dont les jésuites s'étaient bien gardés de jamais nommer aucun des auteurs ou des complices, avait été, disaient-ils, révélée au jésuite Filleau par un ecclésiastique de mérite, sans autre désignation.

Ricci se trouva de cette manière en relation avec le gé néraldes jésuitesdont la compagnievenait d'êtresupprimée par le pape Clément XIV. Ce fut aussi au jeune chanoine que le père Laurent s'adressapour demander un asile dans son hôtel à Florence. Ricci en référa au grand-duc, qui ne s'opposa pas à ce que le général déchu vînt habiter ses états et même sa capitale. Toutefois, Léopold, qui savait à quoi s'en tenir, ajouta en souriant : « Je ne croispasqu'on lui permette de quitter Rome. » En effet, Laurent Ricci, gardé à vue au collége anglais, ut bientôt transféré au château Saint-Ange, où il mourut. Le pape Ganganelli l'a vait précédé un an auparavant.

vertus de Clément XIV. Avant la relation de la maladie et dela mortde Ganganelli,communiquée àla cour d'Espagne, l'écrit en question présente une espèce d'énumération des plus grands crimes attribués aux jésuites, en Angleterre, en Portugal, en France, en Hollande, à la Chine, au Japon,etc.,etnommémentunetentatived'empoisonnement sur l'empereur Léopold jor, l'empoisonnement d'Inno cent XIII, etc., etc.; puis viennentles bruits répandus sur la mort prochaine du pape, les trames ourdjes contre lui,, les menaces qu'il entendait sans cesse répéter de toutes parts, son affaissement moral, la prostration de ses forces, les symptômes de son mal, sa mort, le procès-verbal de son autopsie, et les signes d'intoxication apparus sur son cadavre. Nous indiquons les pièces du procès; c'est à la postérité à prononcer la sentence.

23

-

9

« Il est à supposer, ditRicci,que les princes de la maison de Bourbon, avant de dissoudre le conclave, l'obligèrent à promettre de nejamais rétablir la compagnie de Jésus, et de tenir le général en prison. » En effet, c'est la logique des passions : la lutte entre la force du pouvoir civil et l'autorité de la puissancereligieuse avait été longue et sur tout vive et acharnée ; les rois s'étaient vus plus d'une fois vaincus et humiliés. Devenus les maîtres, ils humiliaient et frappaient à leur tour.

CHAPITRE III.

Pie VI. --- Appréciation de la cour de Rome par Ricci. L'abbé Serao, plus tard évêque de Potenza. Relations entre Ricci et l'ex-général Laurent, - Frédéric le Grand et la grande Catherine accueillent et pro tégent lesjésuites supprimés.

Le cardinal Ange Braschi, créature des jésuites et un moment soupçonné d'avoir été l'instrument de leur ven geance, succéda à Clément XIV, sous le nom de Pie VI.

Le chanoine Ricci alla à Rome pour assister aux cérémo nies de l'exaltation du nouveau ponti e. Parent du dernier généraldesjésuites,protégéparlecardinaltoscanTorrigiani, qui était dévoué à la compagnie éteinte, et estimé pour son équitable modération au milieu des deux partis qui divi saient l'église, rien ne fut négligé pour attacher Scipion de Ricci à la cour romaine ; mais il repoussa les offres les plus brillantes parce que c'est lui qui parle je sentais que, dans aucun lieu du monde, le projet de faire ce qu'on appellefortune n'est aussi incompatibleque là avec la pos sibilité de demeurer honnête homme... Je résolus de ne pas même y songer, tantje conçus d'horreur pour les ma néges dont je fus témoin, quandje vis clairement que la dissimulation la plus profonde régnait parmi les prélats : je n'eus pas la force de cacher mon aversion et mon indi gnation à ceux de mes amis qui s'avilissaient par ces bas scsses et par ces adulations de courtisan. »

DeRome, Ricci se rendit à Naples où il selia avecl'abbé François Serao, régaliste comme lui, qui devint évêque de Potenza, et que les hordesdu cardinal Ruffo égorgèrent en 1799 comme républicain, parce qu'il avait soutenules pré tentions du roi des Deux-Siciles dans ses querelles avec le saint-siége. Nous reviendrons plus tard surles atrocités du lerrorisme monarchique à cette déplorable époque.

26

A son retour de Naples,le chanoineRicci,en passant par Rome, alla voir le pape, qui saisit l'occasion de sa visite

A la lecture de ces paroles, l'imagination se reporte in volontairement, pour ainsi parler, aux malédictions lancées parJésus contre les scribes et les pharisiens.

Elles confirment de tous points ce que nous avons dit plus haut, savoir que la suppression des jésuites et la punition de leur général sont du nombre des actes qu on nomme politiques pour ne pas convenir qu'ils sont immo raux. Quoi qu'il en pût êtredesjésuitespassés, lesreligieux présents n'en étaient pas comptables, et l'aveu que lejuge instructeur ne put se dispenser de faire à l'ex-général, en lui disant qu'il n'était détenu pour aucun délit, démontre surabondammentqueLaurentRiccimourutprisonnierd'état sans pour cela être criminel.

Le jeune prêtre florentin n'en trouva pas moins toutes les facilités possibles pour correspondre avec son parent détenu, dont la mise au secret n'était rigoureuse qu'aux yeux des souverains qui l'avaient exigée. Il recut de cette manière une copie des interrogatoires que le général avait subis au château Saint-Ange, ainsi que de la protestation de son innocence, écrite et signée de sa main. Ces pièces originales reposent aux archives Ricci.

27

pour blåmer amèrement les réformes opérées par la maison d'Autriche en Allemagneeten Toscane. Il secalma aussitôt que Ricci lui eut demandé de pouvoir communiquer avec l'ex-général des jésuites. Pie VI aurait volontiers accordé la permission voulue, mais il ne l'osa point : il renvoya Ricci au cardinal Giraud, son auditeur, lequel, pressé de répondre catégoriquement, articula un re us formel. Le cardinal Torrigiani se flattait encore que finalement le gé néral Ricci serait rendu à la liberté. Ce fut le janseniste Ricci qui lui fitcomprendreque les amis desjésuites, c'est à-dire le papeet toute sa cour, « se moquaient de lui. »

7

28

Nous terminerons ce chapitre en faisant remarquer que l'oraison funèbre du général Ricci fut prononcée solennel lement à Breslau, dans l'église des jésuites, qui portèrent aux nues celui qu'ils appelaient la gloire de leur siècle, le prince philosophe, l'égal de Marc-Aurèle et d'Antonin, d'Auguste et de César,l'hérétique et, ce qui était pis, phi losophe roi de Prusse,enunmot,Frédéric le Grand. Quel ques années plus tard, des jésuites se trouvaient établis comme tels, avec un provincial de leur ordre, sous la ju ridiction de l'évêque de Mohilew et la protection d'une souveraine également hérétique, philosophe etgrande, sa voir l'impératrice Catherine. En 1783, Pie VI accorda le pallium d'archevêque de Mohilew à l'évèque de Mallo, qui avait commis l'indiscrétion de publier que le pape permet tait auxjésuites de vivre en Russie selon les règlesde leur institut, comme s'ils n'avaient pas été supprimés.

Ce prélat avait pendant quelque temps coopéré avec le grand-duc aux réformes que le gouvernement introduisait dans la discipline extérieure de l'église, et les jésuites l'avaientpoursuivi deleursinsinuations malveillantes. Mais finalement, le voyant ému de leurs malheurs, ils exploité rent adroitement ce sentiment d'humanité, et réussirent à l'attirer dans leur parti qu'ils eurent soin, comme de cou tume, de confondre avec les intérêts de la cour de Rome, confondus eux-mêmesavec les intérêts de la religion. Fa vorisés parleprélat, lesmoines supprimés s'emparèrentdes chairesetdes confessionnaux, au pointque le gouvernement crut devoir résister au torrent envahisseur en érigeant en 3 -

Incontri, archevêque de Florence. Projet d'une académie ecclésiastique. - Le catéchisme janseniste substitué au catéchisme ain .

De retour dans sa ville natale, Ricci fut nommé vicaire général et vicaire ad causas de l'archevêque Incontri,

CHAPITRE IV.

Après cette commission gouvernementale, Ricci reçut celle de faire accepter dans toute la Toscane le catéchisme français de l'évêque appelant Colbert, traduiten italienpar le chanoine Burelli, ou plutôt, s'il y avait moyen, celui du janseniste reconnu Mézenguy, tous deux du reste diamé L'archevêquetralementopposésauxprétentionscurialistesdusaint-siége.avaitpeurd'irriterlepapequisoutenaitopi niâtrément l'ancien catéchisme de Bellarmin; il lui sacrifia Mézenguy : mais il avait une peur plus grande encore de déplaire à Léopold; il fit adopter le catéchisme de Colbert,. approuvé dans le temps (1717) par l'archevêque de Flo renceLa Gherardesca, mais aussitôt après mis à l'index par le saint-office pontifical. :

A peine revêtu de son emploi, Ricci fut chargé par le grand -duc de dresser le plan d'une académie ecclésiastique, destinée à régulariser les études du clergé. Pour atteindre son but, il s'adressa, en leur demandant des lumières, aux « amis de Paris et d'Utrecht, » c'est-à-dire aux coryphées du jansenisme. L'académie ecclésiastique ne fut pas formée pour le moment, maisles matériaux recueillisparlevicaire général urent utilisésparlui lorsdesa nomination comme évêque de Pistoie et Prato.

- 30

loi de l'état la circulaire de Clément XIV, qui avait interdit aux anciens pères la confession et la prédication. C'était l'effet d'une réaction aussi illogique de la part du pouvoir temporel, que l'avait été l'action de l'autorité spirituelle lorsqu'elle avait persisté à se croire la seule autorité sociale après même qu'elle avait cessé d'être quelque chose dans la société.

Introduction en Toscane des écrits jansenisles. - Publication par Ricci des wuvres de Machiavel. Le droit d'examen et de discussion se conso lide. Le chanoinc Martini.

N'ayant pas réussi à faire rejeter le catéchisme de Col bert, Rome s'attacha à troubler la publication de l'Histoire ecclésiastique de l'abbé janseniste Bonaventure Racine, qui venait d'être traduite par plusieurs jeunes prêtres sous les auspices du gouvernement. Elle essaya aussi d'entraver la réimpression des æuvres de Machiavel, dont Ricci faisait lui-même préparer une édition nouvelle par les abbés Tan zini et Follini, ce dernier son secrétaire, sur les manuscrits de l'illustre historien florentin, qu'il possédait en sa qua lité de descendant par les femmes du dernier rejeton de la famille Machiavelli. Le nonce Crivelli échoua dans ses efforts. Il avait d'abord réussi à alarmer la conscience de l'archevêque; mais bientôt, celui-ci n'osant pas s'opposer

CHAPITRE V.

directement à la publication de l'écrivain si redouté par le saint-siége, se borna à demander à l'abbé Tanzini s'il était autorisé à lire les ouvrages d'un auteur condamné par l'église, au premier chef. Tanzini, ne sachant trop que ré pondre,cutrecoursà Ricci qui, pourla sommeinsignifiante de quelques francs, fit immédiatement venir de Rome la permission la plus ample, pour ses deux éditeurs, de lire tous les livres défendus en général, et en particulier les écrits de Machiavel.

Nous ferons observer à ce propos qu une des consé quences les plus infaillibles des querelles entre les jansé nistes et les molinistes fut l'application de plus en plus large et plus formelle, parles individus, de la faculté intime d'examen, par la société, du droit public de libre discus sion. La chose est toute simple : pour décider les questions soulevées, il fallait comparer les raisons apportées des deux parts, à la demande surtout de ceux qui avaient le moins d'autorité pour faire prévaloir les leurs. C'étaient, dans le cas présent,lesjansénistes, qui,de cette manière, devinrent les plus chauds partisans de la liberté dela presse, laquelle finit par faire justice d'eux aussi bien que de leurs adver saires. Car au fond le raisonnement des uns ne valait guère mieux que celui des autres. La société en savait tout juste assez pour le voir au premier coup d'ail ; mais cela ne l'avançait guère, puisqu'elle ignorait absolument, comme elle ignore encore, quel est le seul bon raisonnement. Les jansénistes et les jésuites auront puissamment contribué à rapprocher l'époque où la nécessité, délerminée par une anarchie générale, forcera à le découvrir.

1

9

3.

Sur les entrefaites, Ricci avait perdu son ancien collègue à la nonciature, le chanoine Martini, chef de la nouvelle école théologique en Toscane. Martini avait habité Rome sous le pontificatde Benoît XIII, et il s'y était lié avec les estimables parlementaires, comme Ricci les appelle, que la bulle Unigenitus avait forcés de sortir de France. En sa qualité d'auditeur à la nonciature de Toscane, Martini ser vit les papes Corsini, Lambertini, Rezzonico et Ganganelli; celui-ci l'invita à se rendre à Rome pour l'éclairer sur les différends qui venaient de surgir entre la Toscane et le saint-siége relativement au tribunal de l'inquisition.Mar tini, après avoir établi l'augustinianisme au sein du jeune clergé de son pays, mourut c'est Ricci qui nous l'apprend - en bon janseniste.

A l'époque dont nous parlons, la publication bruyante, par des prêtres, que soutenait un prince catholique, des @uvres de l'historien que les papes détestent le plus cor dialement, publication réalisée au mépris de la censure ecclésiastique,cepalladiumdelapuissancepontificale,cette publication fut un véritable événement.

CHAPITRE VI.

Nous allons voir Ricci figurer sur un plus vaste théâtre en montant sur le siége épiscopal de Pistoie et Prato.

Ce diocèse, sous le pontificat d'Alamanni, prédécesseur d'Ippoliti, auquel Ricci succéda , avait été divisé en deux partis ou factions, le parti des jésuites que le prélat avait renvoyés de ses écoles, et le parti du père Concina, domini cain, qu'il avait préposé aux études ecclésiastiques.Le gou verneur O'Kelly protégcait les jésuites; l'évêque était à la tête des concinistes, et finalement le gouvernement dut s'interposer pour maintenir l'ordre en défendant les dis putes.

Son sacre. - Il voudrait relever le diocèse de Pralo.

Ricci, évêque. Le diocèse de Pistoie et Prato. L'évèque Ippoliti. Abus des serments. Ricci et le pape. Examen canoniquedeRicci.

Le vieux Ippoliti, mené par les gens de sa maison, qui, sous son nom, administraient tout le diocèse, n'eut garde

Il se rendit à Romeoù il devait subirl'examen derigueur et recevoir l'institution canonique. Il y fut bien accueilli, sur la recommandation de l'archevêque Incontri qui l'avait comblé des éloges les plus flatteurs. Il venait cependant tout récemment encore d'être accusé par le nonceCrivelli, d'avoirsoutenula cour deToscanecontrelesaint-siégedans l'affaire des serments, laquelle tenait tant à cour au pape. Voici de quoi il s'agissait : l'usage s'étaitétabli de déférer le scrmentdevantles tribunaux pourles causes les plus u tiles. Il en était résulté qu'on se parjurait aussi facilement qu'on jurait, et que par conséquent le serment ne faisait qu'aggraver, aux yeux des fidèles, lemal quecommettaient ceux quiparlaientcontrelavérité. DeVecchj, vicairegéné ral du diocèse de Sienne , crut de son devoir de demander au grand-duc que du moins il mit des bornes à un pareil scandale, s'il n'était pas encore possible de le faire cesser entièrement. Le nonce protesta contre cequ'il qualifiait de « renouvellement de la cent et unièmeproposition condam née par la bulle Unigenitus.» Il lui importait peu, dit Ricci, qu'on violát les serments , pourvu qu'on en prétat

36 de réveiller ces ridicules querelles. Il avait cependant une opinion arrêtée à leur égard, et lorsqu'il se fut lié avec Ricci au point de lui confier sa pensée intime, il ne dissi mula pas le plaisirqu'il prenaità la lecturedes écrits sortis dePort-Royal,etdes Nouvellesecclésiastiques, ce pamphlet religieuxqui ne disparut que devant les diatribes démago giques dupère Duchêne.

Quand Ippoliti mourut (1779), Ricci fut nommé évêque pour lui succéder.

Son diocèse avait, avant lui, passé pardiverses transfor mations, auxquelles il chercha à mettre un terme définitif. Au xviiº siècle, le gouvernement toscan avait séparé l'évê ché de Prato de celui de Pistoie, parce que le prévôt de Prato , ordinairement choisi dans la famille du prince

37 > beaucoup, et qu'ainsi on donnât toujours occasion à la puis sance ecclésiastique d'intervenir.

Nous avons dit que Ricci fut reçu à Rome avec faveur. Le pape se borna à se plaindre à lui des réformes que le grand-duc introduisait dans l'église,etqui auraient, préten dait-il, fini par produire le plus grand mal. Ricci disculpa son souverain. Mais le pape insista, en ajoutant : « Vous êtesjeune; vous le verrez, » et il le congédia.

Ricci fut sacré évêque le 24 juin 1780.

L'évêque dePistoie et Prato fut examiné devant Pie VI. Il nous apprend à cette occasion qu'au fond ce n'était là qu une vaine formalité, puisqueles examinateurs, qui crai gnaient encore plus d'être mis dans l'embarras par l'ordi nand, que celui-ci n'avait peur de ne pas les satisfaire, lui communiquaient d'avance les questions qu'ils poseraient, et lui indiquaientles auteurs où il devait puiser ses répon ses; mais c'était, par les accessoires de la cérémonie, une chose fort sérieuse, car l'examen avait pour but d'humilier le plus possible le futur prélat, afin de le mieux disposer à l'obéissance aveugle et passive qu on exigerait de lui dans la suite. Ricci futobligé de se conformer à la coutume con sacrée, celle dedemeurerà genoux, au milieu d une assem blée nombreuse, pendanttout le temps queles prêtres exa minateurs l'interrogèrent.

>

38

régnant, étant beaucoupplus riche et partant plus puissant que son évêque, refusait la plupart du temps de lui obéir. Ce ne fut néanmoins qu'en 1653, que l'église de Prato fut érigée en cathédrale, et malgré cela elle demeura sous l'administration spirituelle de l'évêque de Pistoie, ce qui, loin de faire disparaître les difficultés, ne fit queles accroî trejusqu'au XVII ° siècle. Ricci tenta, maisenvain, de don ner à l'érection de l'évêché de Prato la réalité qu'il suppo sait avoir été dans les intentions du gouvernement et du saint-siége. Il offrit même la moitié du revenu desa mense épiscopale pouren former une à l'évêquedePrato. La mortà de Léopold fit avorter ce projet.

LuttesdeRicci. L'église de Toscane, sous les Médicis; sous les Espa gnols; sous la maison de Lorraine. Le grand-duc Léopold. - Con séquences del'incompressibilité sociale de l'examen. -- Indépendance de l'église et de l'état. Réformes successives.

Nous entrons dans les détails des luttes que l'évêque Ricci eut à soutenir dans sondiocèse, commesectaire contro les jésuites, comme honnête homme contre les turpitudes de la vie du cloître, dont la piété éteintc faisait une arène où les passions en délire se livraient à toute espèce d'aber rations. Nous rendrons compte aussi de ses travaux pour l'exécutiondesréformes ecclésiastiques deLéopold, siodicu ses à Pie VI, etque le grand-ducvoulait imposer à son peu ple, tandis que celui-ci, n'en sentant nullement le besoin, étaitloin d'en saisirle vrai sens, et les repoussaitparce qu'il ne les comprenait pas.

CHAPITRE VII.

Mais avant de porter nos regards sur les scènes d'intri

Les Médicis, mêlés à toutes les cabales des conclaves, disposaient en quelque sorte de la nomination des souve rains pontifes. Pour conserver leur influence auprès du saint-siége, ils laissèrent celui-ci disposer arbitrairement des affairesreligieuses dans le grand-duché.

Deceque,socialement parlant,Romen'était plusrien, le pouvoir civil chez chaque peuple avait conclu qu'il allait

409 gues et de dévergondage que nous aurons à cette occasion à dérouler sous les yeux du lecteur, scènes que la cour de Rome dérobait avec le plus grand soin aux investigations desfidèles, nous croyons devoir nouspermettreune courte digression sur les vicissitudes par lesquelles l'églisede Tos cane avait passéjusqu'alors.

Le gouvernement espagnol ne s'inquiéta en aucune ma nièredes intérêts ecclésiastiques, et leschosesdemeurèrent sur le même pied.

Sous l'empereur Charles VI de Lorraine, la Toscane fut administrée par le prince de Craon, qui n'avait d'autre mission que d'envoyer à Vienne le plus d'argent qu'il pou vaitA(1745).l'avénement de l'empereur François, tout changea de face. Il chargea le comte de Richecourt de gouverner le grand-duché en son nom, et Richecourt, despote éclairé si l'on veut, mais absolu, mais arbitraire, vivement soutenu par le sénateur toscan Rucellai, commença cette guerre entre le pouvoir temporel de l'état et l'autorité spirituelle de l'église, qui ne se terminaque lorsquela révolution fran çaise eut rapproché le trône et l'autel en les culbutant l'un sur l'autre.

être tout. Il fut, comme nous le verrons dans la suite, ru dement puni de son erreur. Cependant, surles entrefaites,, les divers gouvernements s'étaient hâtés de mettre à profit ec qui leur paraissait le bon moment pour mater le sacer doce en s'emparant successivement des moyens de domina tion qui échappaient les uns après les autres aux mains dé bilesdes souverains ponti es. Cequi généralement les tentait le plus, c'étaient les grandes richesses du clergé dont ils cherchèrent à se rendre maîtres d'une manièrc de plus en plus directe. La première mesure fut celle de défendre aux gens de mainmorte d'acquériret de posséder des propriétés. Le comte deRichecourt, que nous avons nommé plus haut, fit passer cette défense dans les lois de la Toscane (1751). Puis il revendiqua pour le pouvoir ce qu'il appelait le droit de censure sur les écrits à publier, après avoir con damné ce même droit comme un abus intolérable chez les prêtres. Puis encore, il accusa l'inquisition de la foi de ne plus servirqu'à épouvanter les fidèles pour les prostituer aux caprices des inquisiteurs, etil fit fermer les prisonsdu saint-office. Enfin, il diminua le nombre des églises curiales à Florence, chassa l'évêquede Sienneparce qu'ilrefusaitles sacrements aux sujets qui obéissaient au gouvernement plutôt qu'aux agentsdeRome, et voulut abolirlesasiles où l'église soustrayait les coupables à l'action de la justice.

MÉMOIRES DE RICCI .

41

Léopold, en montantsurle trône grand-ducal, mani esta l'intention de séparer nettement le temporel du spirituel. Il ne songea même pas que, dans l'étatdonné des esprits, il n'avait aucun critérium qui pût lui fairejuger rationnelle ment le problèmequecependant il se proposaitderésoudre.

42

Avec les meilleures intentions, il ne lui était possible de déterminer sa part de pouvoir que par un simple acte de sa volonté, précisément comme les papes contre lesquels il s'insurgeait, sans cependant qu'il eût le droit d'inculper leurs intentions, avaient jadis déterminé la leur. C'était donc toujours et sous toutes ses différentes formes, une scule et même question, que l'intelligence devait éclaircir et pour la solution de laquelle elle ne possédait pas les éléments nécessaires, que la force s'obstinait à décider et qu'elle ne pouvait jamais trancher définitivement. La raison demeurait impuissante; les passions étaient écoutées avec faveur, et au nom des deux plus impérieuses, l'ambition et la cupidité, chacun voulait être tout, afin de pouvoir tout prendre et demeurer ainsi scul maitre de tout. Précisons franchement la situation.

Ce que désirait le grand-duc Léopold était devenu une nécessité logique depuis que la société était entrée dans l'ère nouvelledel'incompressibilité du libre développement des intelligences. Dès l'instant que les hommes s'étaient avoué la contestabilité sociale de toutes les idées ac quises, les croyances comme les doctrines, les consciences comme les esprits se trouvaient par le fait même émanci pés de tout contrôle, puisqu'ils l'étaient de toute règle, et les lois cessaient de dépendre du droit, de la morale; la morale, de la religion : la religion cessait d'être la base de la société qui n'avait plus aucun rapport avec elle. Il ne restait pour tout lien social que des lois arbitraires, expri mant conventionnellement une ou plusieurs volontés, lois essentiellement changcantes avec les circonstances, les in

Le seul tort des réformateurs du dernier siècle, et entre autres de Léopold etde Ricci, qui acceptaient la séparation de l'église et de l'état comme un fait accompli, fut, tout en reconnaissant que l'état était désormais indépendant de l'église, d'avoir cru que l'église pouvait demcurer dépen dante de l'état. De là sont nées les fautes et les injustices commises par les souverains de la maison d'Autriche et de celle des Bourbons, de la république française et de leurs imitateurs. Tant qu'il n'y a point eu séparation , l'église adû dominer l'état; et elle l'a dominé en effet : la sépara tion une fois réalisée, l'indépendance de l'étata été abso lue, mais celle de l'église aurait dû l'être aussi. Avant la >

45

térêts, l'opinion, et n'ayant pour toute raison d'être que leur seule existence, pour toute action que celle de punir comme mauvais les actes qu'elles avaient qualifiés ainsi, sans pouvoir cependant empêcher qu'on ne préconisât ces mèmes actes comme légitimes, comme saints.

Nous n'approuvons pas cet ordre ou plutôt ce désordre des choses; loin de là : l'état social que nous venons d es quisser, etquiestlenôtre, est à nosycux, nous ne saurions le répéter trop souvent, le comble de la déraison ; il ne peut amener que la désorganisation progressive et des bouleversements de plus en plus rapprochés. Nous consta tons cet état, afin que l'on comprenne, non-seulement les réformes de Léopold et de Ricci, mais encore la marche actuelle des événements. Vu l'ignorance sociale toujours existante, et la foi sociale qui n'existe plus, cet état est forcé, et les conséquences que nous en déduisons, comme les faits qui en découlent, sont inévitables.

1 i

- 44

séparation, l'ordre régnait dans la société, mais un ordre illusoire qui devait finir : depuis, il n'y a plus eu d'ordre; on a progressé continuellement vers l'anarchie, d'où sur gira, en dernièreanalyse, l'ordrevrai et stable. Passons au règne de L'égliseLéopold.,ilfaut bien en faire l'aveu, avait étrangement abusé de son pouvoir sans bornes, depuis surtout que la foi avait cessé d'être un frein suffisant aux passions de ses mi nistres. Nous ajouterons qu'il n'en pouvait être autrement. Toute force qui n'est pas soumise à une règle détermi née, ondée sur la croyance ou sur la raison, ne recule que devantune force plus grande, et c'était au tour des rois à faire plier sous leur sceptre de despote, les papes qui, si longtemps, les avaient tenus courbés sous leur houlette de pasteur. Lesénateur Rucellai dévoila une foule de séduc tions opérées au moyen de la confession, ct d'escroqueries commises au lit des agonisants. Il fit connaître les vio lences qu'on faisait subir aux juifs, ct la légèreté des évêques qui excommuniaient pour un banc de plus ou do moins dans leurs cathédrales. Le gouvernement s'ingéra dans l'administration des biens des couvents, où régnait le plus grand désordrc, et l'affaire de la suppression des asiles appelés sacrés fut poussée avec vigucur.

Les années 1765 ct 1766 se passèrent à remédier au scandale occasionné par la multiplicité de prêtres, véri tables mendiants en soutane , et par conséquent bas et serviles. Le gouvernement s'occupa aussi de limiter le nombre des couvents et d'obliger les congrégations reli gieusesà laissertomberquelquesmiettesde leurs somptueux

banquetsaux mains amaigriesdes pauvres, décimés chaque jour par la faim.

On avait, sans recourir pour cela à l'autorité ecclésias tique, exilé des prêtres notoirement assassins, débauchés et perturbateurs du repos public, et on continua pendant toute l'année 1767 ces actes de rigueur, aussi nécessaires qu'insolitesjusqu'à cette époque. L'année suivante, Rucellai proposa au grand-duc l'abolition radicale des immunités ec etclésiastiques,incompatiblesaveclesdroitsdugouvernement,subsidiairement,sionn'osaitpasfranchird'embléece pas décisi , la conclusion d'un concordat avec le saint-siége. A ce propos, le sénateur faisait observer que, si l'on se ré solvait à traiter, il ne faudrait jamais perdre de vue qu'on avait affaireàlaplusrusée des cours,qui du moinsjusque-là avait toujours réussi à se tirer avec avantage de ces sortes de conventions.

En 1769, la question des asiles fut tranchée par le pouvoir qui les supprima. Après cela, tout l'intérêt se porta surla bulle In coena Domini, résumé des priviléges que les papes ont attribués auxprêtres des divers étatscatholiques, sans la coopération nimême l'assentimentdugouvernement de ces états, afin de réduire les nations à n'être que simples provinces de la catholicité, de laquelle eux, papes, disposaient d'une manière absolue. Pour faire jus tice de labulle en question sans cependantl'attaquer direc tement, on décida quedorénavant aucun décret de la cour de Rome n'aurait d'autorité en Toscane à moins d'avoir été rcvêtu de l'exequatur du gouvernement, et cet exequatur fut refusé à la bulle In coena . de 4.

45

46

L'année d'après et la suivante mirent fin à l'abus des prisons claustrales, et amenèrent de nouvelles mesures pourempêcher la trop grande multiplication des maisons religieuses. Il y eut d'autres règlements sur les taxes de l'officialité, sur le divorce et les dispenses de faire maigre aux joursprescrits,etc.,etc. Enfin, on commençaà entendre articuler quelques plaintes concernant les désordres qui avaient lieu dans les couvents de femmes. On mit aussi en avant leprojetdesalarierles ministres du culteaprèsqu'on aurait déclaré les biens du clergé propriété nationale.

Dès l'an 1764, son prédécesseur Alamanni s'était vu obligé de demander à Rome les pouvoirs nécessaires pour prendre lui-même la direction spirituelledes religieuses de ce couvent et de celui de Sainte-Catherine. Il éloigna d'elles les moines dominicains, qui jusqu'alors avaient été leurs conseillers etleurs guides.Ce coup leur ut si sensible que, même sous l'évêque Ippoliti, rien ne put les en consoler, et qu'elles se maintinrent en révolte ouverte contre leur pasteur, refusant les sacrements qu'il avait chargé d'au

CHAPITRE VIII.

Révolte el obstination des religieuses dominicaines de Pistoie, sous les évêques Alamanni et Ippoliti. Ricci parvientà les calmer. Le sacré ceurde Jésus. -Petites intrigues. Riccialtaque la dévotion au sacré caur.

« Arrivé à Pistoie, ce sont les propres paroles de l'é vêque Ricci, nion premier soin fut de ne négliger aucun des moyens àma disposition pour remettre dans la bonne voielesreligieusesdominicainesducouvent deSainte-Lucie.»

Les jésuites, quoique frappés dans leur existence comme corps religieux, n'en faisaient pas moins cause commune dans toutes les petites affaires où ils pouvaient encore user de leur influence. Ils avaient converti une dévotion récem ment inventée, celle au sacré coeurde Jésus, en une espèce de signe de ralliement et de mot d'ordre, autourduquel se groupaient leurs adhérents. Au fond, cette dévotion n'était

tres prêtres séculiers ou réguliers de leur administrer.

- 48

Ricci avait fait part au pape de cet état de choses, pen dant qu'il était retenu à Rome à l'occasion de son examen, et il lui avait communiqué ses soupçons relativement aux dominicains qu'il croyait être les auteurs et les fomenta teurs de ces troubles. Pourriez-vous en douler? lui répon dit Pie VI qui, aussitôt, « fit une sortie virulente contre le général des dominicains qu'il appela un homme inquiet et opiniâtre. »

Nous venons d'entendre parler leprêtre de mours pures; voyons maintenant agir l'homme de secte et de parti.

Muni des instructions pontificales, Ricci parvint à calmer un peu l'esprit des religieuses : ellesacceptèrent un con es seur de son choix; et une novice qui s'était obstinée jus qu'alors à ne vouloirprononcerses væux qu'entre les mains des dominicains, consentit à faire profession devant le nou vel évêque. Malgré cela, sa confiance en elles ne fut jamais entière, à cause de la mauvaise doctrine qu'elles avaient puisée dans les leçons de mauvais maitres, et des attentats que les dominicains ne cessaient de préparer par leurs sourdes machinations nous citons textuellement les Mé moires manuscrits de l'évêque de Pistoie et Prato.

49

Lejésuite Salvi, qui avait mené cette affaire et qui était connu en Toscanc pour y être l'apòtre du sacré cæur, fut appelé à Florence par le sénateur Bartolini, secrétaire des droitsdelajuridiction,-on diraitde nosjours ministredu cullc, - pour être réprimandé sur sa conduite tortueuse, et sur son manque de respect envers son évêque. Léopold lui-même le tança vertement, ct le força à aller présenter ses excuses à Ricci, qui profita de sa visite pour essayer de le gagner, mais sanspouvoir y réussir. 2 2

A peine Ricci fut-il enpossession de son évêché, que les jésuites, connaissant son aversion prononcée pour ce qu'il flétrissaitdel'épithètedecardiolátrie,luitendirent unpiége puéril, en essayant de lui faire baptiser du nom de Jésus, une cloche sur laquelle ils avaient caché, sous une pro fusion de guirlandes et de couronnes de fleurs, un sacré coeur de Jésus et une inscription pour le glorifier. Ricci, saisid'une colère aussi ridiculequel'étaitl'offense, dénonça cet attentat à Léopold; et ce recours au pouvoir mit le comble aux murmures contre un prélat qui méconnaissait l'autorité spirituelle du saint-siége au pointdesesoumettre solennellement à l'arbitrage du chef de l'état, dans une question de croyance et de culte.

pas plus singulièreque tant d'autres : on avait déjà le sacré côté, les saintesplaies, le saintsanget même le saint pré puce;rien nesemblait rationnellements'opposerà cequ'on eût aussi le sacré cour. MaisRicci nel'entendait pas ainsi: il ne voulait à aucun prix d'une dévotion d'origine loyo liste, comme il disait, et, prétendait-il, sentant le nesto rianisme.

L'évêque se décida alors à attaquer publiquement la nou velle dévotion qu'il taxa de fétichisme. Seratti, un des se crétaires de Léopold, à qui il envoya son instruction pasto rale sur ce sujet, lui fit délicatement comprendrequ'il était imprudent de compromettre dans des discussions oiseuses le succès des réformes plus importantes, mais moins impo pulaires, tentées par le grand-duc. Ricci chercha à sc jus tifier en alléguant l'argument banal qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, comme si cet argument n'aurait paségalementservi d'excuse aupèreSalviqui,luiaussi,pou vaitdirequ'il avait fait céderlesconsidérationshumainesà cclles de son devoir envers Dieu.

La maxime que nous venons de citer est la traduction théologiquedecellequiimposel'insurrectioncommele plus saint des devoirs. L'une et l'autre sont au service de l'op position qui se croit assez forte pour résister au pouvoir. L'une et l'autre, en temps d'ignorance sociale et sous l'em pire de la force, est rationnelle... si elle est couronnée par le succès. >

50

Lesjésuites et les dominicains. - Désordres des religieuses dominicaines au xviie siècle. Révélations faites par les religieuses mêmes. -- Décou verte des mêmes désordres chez les religieuses de Saint-François. Mesuresque prend legrand-duc. Pie VIet sa cour protégentles reli gieuses.

L'évêque Ricci avait affaire à forte partie, et il neména geait personne. Lesjésuites et les dominicainsqu'il attaquait de front disposaient de toute la population de Prato : les premiers avaient pour élèves les jeunes gens des familles les plusconsidérables;lessecondsgouvernaientlescouvents de femmes, presque entièrement peuplés de filles de grande maison. Lorsque les jésuites curent été supprimés, les do minicainsprirentleurplace,ct,commeauparavant,l'évêque continua à ne compter pour rien.

Ricci n'était pas d'humeur à tolérer un pareil état de choses. Il surveilla sévèrement les dominicains, et déjoua toutes leurs intrigues pour s'introduire de nouveau auprès des religieuses, leurs anciennes pénitentes.

CHAPITRE IX.

QuelquesreligieusesdeSainte-Catherine---cecisepassait sous le règne de Léopold, mais bien avant la promotion de Ricci, dénoncèrent enfin elles-mêmes au pouvoir ce qui se passait dans l'enceintede leur couvent.

A ce propos, le zélé prélat nous fait connaître que les désordresdes dominicaines à Pistoie dataient deloin. Déjà, en 1642 , la commune s'était plainte au gouvernement, et avait demandé le renvoi du prieur des dominicains et d'un autre religieux, pour des motifs, était-il dit, quc la décence faisait un devoir de ne pas dévoiler. Les fabriciens des couvents de Sainte-Catherine et de Sainte-Lucie avaient joint leurs doléances à celles des magistrats. Enfin le gon falonier avait envoyé à Florence des personnes discrètes, chargées de révéler de bouche les faits qu'il ne croyait pas pouvoir confier au papier, les désordres dont il s'agissait étant de nature à déshonorer les religieuses du sang le plus distinguéde la ville.Ferdinand II, quirégnaitalors,ne prit aucune mesure pour remédier au mal, probablement, dit Ricci, par un effet de la même faiblesse qui le porta à sa cri ier à la cour de Rome le sublime génie de Galilée.

52

Les moines dominicains, disaient-elles, leur enseignaient toute espèce de turpitudes, par leurs discours et par leurs attouchements; entreautres actionshonteuses, ils passaient le loro vergogne à travers la grille qui se trouvait entre la sacristie et la clôture,et dont les barreaux étaient suffisam ment espacés. Ils franchissaient la clôture sous le moindre prétexte, et demeuraient seul à seul avec les religicuses, dans les cellules de celles-ci; ils couchaient même la nuit dans le couvent. Ils félicitaient les religieuses de l'avantage

Ils facilitaient les liaisons dangereuses, au point qu'ils laissaient des hommes s'introduire dans le couvent, et y coucher avec les sæurs. Jamais ilsn'insistaient sur le de voir de fréquenter les sacrements ; ils ne prêchaient que l'obligationpour chacun de se procurer ici-bastoutle plaisir possible. Les moinesfavorisaient dans tousleurs capricesles religieusesqui seconformaientà leurs instructions, et per sécutaientcelles qui ne se laissaient pasallerau torrent.

Cettepiècecurieuse, la première d'un procès uniquedans son genre, est signée : Sæur Anne-Thérèse Merlini, mere conseillère; sour Rose Peraccini, mère conseillère; seur Gaëtane Poggiali; sæur Candide-Joconde Botti, et sæur Marie-Clotilde Bambi.

5

53 7 » dont ellesjouissaient dans leurposition, celui par exemple de pouvoir satisfaire leurs désirs sans avoir à redouter le désagrément de mettre au monde et d'élever des enfants. Ilsleur certifiaientqu'après la mort tout est fini. Ils abu saient des paroles saintes, notamment de celles de saint Paul , au passage où se trouve « qu'il travaillait de ses mains, » et ils exhortaientsans cesse les religicuses à céder à leurs passions.

A ce que nousvenons d'entendre, la sæur Flavie Perac cini, prieure de Sainte-Catherine, ajouta, dans une lettre qu'elle écrivit au docteur Comparini, recteur du séminaire épiscopal,quelesnomsdesmoinescoupablesétaient:le père docteur Bellendi, les pères Donati, Pacini, Buzzaccherini, Calvi, Zoratti, Biglani, Guidi, Migliatti, Verde, Bianchi, Ducci, Serafini, Bella, Nardi, Neri de Lucques, Quaretti, tous ceux en un mot qu'elle avait connus depuis vingt

- 54

On n'entend parler que de religieux et de religieuses qui se sont épousés, de tel moine qui a soufflé sa maîtresse à tel autre, de celui-ci qui s'était vengé de son infidèle, de celui-là qui jurait de ne jamais pardonner à la sienne, même au lit de la mort.... Et les mêmes choses, continuait la sæur Flavie, ont lieu à Sainte-Lucie, et à Prato, ct à Pise, et à Pérouse : il y a partout le même débordement, partout les mêmes orgies.

Les religieuses de Saint-Vincent s'étaient prises, il y a quelques années, d'une passion si extraordinaire, les unes pour le père Lupi, les autres pour le père Borghigiani, qu'on les désigna par les noms de ces moines. Celui qui a fait le plus de bruit à Sainte-Lucie est le père Donati, qui est parti pour Rome. Le père Brandi, prieur à San Germi

qualre ans, hors trois ou quatre. Ils ont pour principe, poursuivait la sæur Flavie, que Dieu défend la haine, non l'amour, et que la femme est faite pour l'homme, comme l'homme pour la femme. Les prêtres deviennent les maris des religieuses, les frères lais ceux des converses. Ce ne sont que festins, jeux, danses, comédies, surtout lors de la maladie et de la mort d'une religieuse : c'est là l'occasion d'un véritable carnaval pour tout le couvent.

Le père Buzzaccherini avait la seur Odaldi de Sainte Lucie, qui le comblait de présents, et néanmoins il était amoureux de la fille du commissionnaire de Sainte-Cathe rine, dont toutes les soeursétaientjalouses. Il leur envoyait son linge à blanchir. Il avait ruiné la pauvre Cancellieri, en l'obligeant à préparer pour lui des plats de douceur qu'elle payait deson argent.

Après avoir rapporté,avecles religieuses dénonciatrices, queles moines couchaient dans le couvent, Ricci fait remar quer que les dominicains n'étaient pas les seuls à se con duire de la sorte. Pendant qu'il était vicaire de l'arche vêque de Florence, il apprit que le confesseur de l'ordre des mineurs conventuels et son frère lai avaient leurs lits dressés dans le dortoir commun des franciscaines de la capitale. Il menaça le père Bargellini, lecteur, théologien, examinateur, etc., de la colère du grand-duc, déjà fort irritédece qui se passait chez les dominicaines, et les lits disparurent.Léopoldvoulut entendre la déposition des fabriciens de Sainte-Catherine en personne , il les appcla auprès de lui, et; ils confirmerent de tout pointla vérité des faits que les reli gieuses avaient déclarés. Puis il ordonna à son lieutenantde police d'interroger les religieuses elles-mêmes. Ce ne fut donc qu'après avoir usé de toutes les mesures de précau tion, essentielles dans une affaire de cette nature, que Léopold fit enjoindre par le sénateur Rucellai à l'évêque Alamanni de se charger lui-même de la direction des reli gieuses, et défendre aux moines de leur ordre d'approcher du couvent (1774). L'officier civil Bracciolini, qui commu niqua ces décisions aux parties intéressées, rendit compte au prince du désespoir des religieuses. Elles refusèrent, comme nous avons vu, de se soumettre à l'évêque, contre lequel les moines, le général des dominicains et jusqu'au

gnano, a aussi été à la mode. Les pères Natta et Sdradico c'est toujours la seur Flavie qui écrit sont de bien mauvais sujets.

55 2

L'évêqueAlamanni, qui avaitréussi à sefaireécouterpar les cardinaux assemblés pour l'élection du successeur de Clément XIV, continua à réclamer auprès de la congréga tion des évèques et réguliers, auprès du cardinal Torri giani et de Pie Vi lui-même; mais il n'obtint plus de réponse. Le pape, loin de vouloir venir au secours d Ala manni, témoigna son mécontentement de ce qui avait été fait par l'autorité civile,danslesdeuxcouventsen question, et fit clairement entendre qu'il regardait les bruits répan dus sur les religieuses comme des calomnies, qui n'avaient d'autre but que d'enlever à tous les réguliers la direction des couvents de femmes.

cardinal protecteurde l'ordre ne cessaient de les soutenir.

Ippoliti venait de remplacer Alamanni (1776). Il fut, comme lui, abandonné à ses propres ressources pour vain cre un mal que Rome protégeait ostensiblement par cela seul qu'elle persistait dans son refus d'aider l'évêque à

A Sainte-Lucie, les religieuses repoussaient les sacre ments,àlaparticipation desquelsles invitaitcelui que l'évê que avait revêtu de ses pouvoirs; à Sainte-Catherine, elles traitaient l'évêque de vaurien, de malotru et de fanfaron, et les confesseurs qu'il leur désignait, de vilains maudits prêtres, et elles menaçaient journellement d'étrangler ou d'empoisonnerlesplaignantes,qui nevoyaientd'autremoyen d'échapper à leur vengeance qu'en cherchant à prendre la fuite. Les faits que nous venons de rapporter sont certifiés par la signature des religieuses que nous avons déjà noin mées, etenoutre par celledes sæursMarie-Catherine Rossi et Anne-Louise Saccardi.

56

l'extirper. Ippoliti fut même durement réprimandé par le pape, pour avoir osé rappeler à la mémoire des scandales que le saint-siége voulait ensevelir dans l'oubli, et surtout pour avoir fourni de cette manière au grand-duc de nou motifs pour réaliser ses projets de réformes. Tout ce qu'il put obtenir, ce futla permission de transférer les reli gieuses dissidentes du couvent de Sainte-Catherine de Pis toie à celui de Saint-Clément, dans la même ville, couvent dont les dominicains avaient conservé la direction et où, naturellement, les religieuses réfractaires furent reçues en triomphe. Mais il n'y avait que cela à faire pour prévenir les événements tragiques dont le couvent de Sainte-Cathe rine serait probablement devenu le théâtre.

5.

57 veaux

1

L'évêque Ricci ne faisait encore que soupçonner jusqu'à quel excès pouvaient s'étendre les désordres des couvents dePistoie, lorsqu'il fut appelé à en sonder toute la profon deur, par la découverte qu'il fit, savoir, que deux reli gieusesdominicainesdu couvent deSainte-Catherine à Prato professaient des erreurs graves en matière de foi. «Depuis plusieurs années, - nous continuons à citer le prélat, - vivaient plongées dans le plus infâme déborde ment de mours deux religieuses dominicaines de Sainte Catherine : l'une, nommée sæur Catherine-Irène Bonamici, était une demoiselle noble de Prato, âgée de cinquante ans; l'autre,sourClodésindeSpighi,étaitégalementd'une famille noble de la même ville, et âgée de trente-huit ans. » Les dominicains étaient instruitsde tout, mais ils l'étaient seuls,

CHAPITRE X.

Erreurs en matière de foi de deux dominicaines, à Prato. Ricci découvre leur impiélé et leur inconduite. Le grand-duc est instruit de tout. Intrigues des moines.

2 >>

Le lendemain, Palli envoya le chanoine Buti à Pistoie pour déclarer à Ricci que les religieuses dont il s'agit étaient, « ou foncièrement hérétiques, ou complétement folles. » Le jour suivant, il fit connaître à son évêque que les mêmes religieuses avaient reproché en plein parloir à leursupérieure l'ignorance dans laquelle elle les avait lais sées croupir, pendant tant d'années qu'elles avaient vécu,

« Les erreurs des religieuses ne concernent rien moins que tout ce qui est de oi dans la religion catholique. Elles ne croient ni à l'éternité d'une autre vie, ni à l'efficacité des sacrements de l'église; tous les péchés, etsurtout ceux de la chair, sont regardés par elles comme des actions indiffé rentes. »

> 2

60

car il n'y avait qu'eux qui eussent l'entrée au couvent, et qui communiquassent avec les religieuses; moines, confes seurs, provinciaux, l'ordre entier en un mot, avaient tou jours été d'accord pour que rien ne transpirât au dehors, et l'arrivéeparconséquentpourqu'aucunremèdenefûtappliquéaumal.Unecirconstanceimprévuelefitconnaître.PeuaprèsdeRiccidanssondiocèse,lepèreVincentMajocchi fut nommé confesseur de Sainte-Catherine. Contrairement à l'usage de ses prédécesseurs, ce moine se soumit sponta nément aux restrictions imposées par l'ordinaire; puis, aux fêtes de la Pentecôte, il refusa l'absolution aux deux reli gieuses que nous avons nommées. La chose fit du bruit et parvint aux oreilles de Ricci, qui demanda à Laurent Palli, son vicaire à Prato, de le seconder dans ses efforts pour découvrir la vérité. Le vicaire ne tarda pas à lui répondre (17 juin 1781) :

Le père Majocchi alla de son côté à Pistoie faire rapport à l'évêque de ce qui se passait. Ricci lui demanda sa coo pération pour ce qu'il y avait à entreprendre en cette cir constance, et l'assura dela protection spécialedu grand-duc contre quiconque chercherait à lui nuire. « Mais, ajoute Ricci, le moine, plus au fait que moi des extrémités aux quelles peuvent porter la cabale monastique et le prétendu honneur de corps, » ne consentit pas à rester. Il ne crut pouvoir échapper aux dangers qui l'entouraient, qu'on s'é loignant le plus possible, etauplustôt.

7

Avant dedésespérer de tout l'ordre, Ricci crut devoir essayer de s'adresser encore une fois directement aux do minicains, non impliqués dans cette sale affaire, et de leur demander qu'ils l'aidassent à les sauver eux-mêmes des suites de la conduite coupable de quelques-uns d'entre eux ; mais ses avances furent reçues avec hauteur et mé pris. La discussion à ce sujet entre l'évêque etle prieur des dominicains de Prato fut fort vive. Ricci n'ayant rien ob tenu, ni par promesses, ni par menaces, partit pour Flo rence où il dénonça toute l'affaire au grand-duc. Ce fut cette démarche qui mit à nu ce que Ricci appelle cette gan grène pestilentielle; aussi considéra-t-il toujours comme une circonstance des plus heureuses, l'aveuglement des

61

professant de bonne foi les sentiments de la religion. Une seur Marie-Ancille Guasti, converse de la seur Spighi, confirma ces faits dans une lettre qu'elle adressa à Marie Aurélie Buti, religieuse à Saint-Michel à Pistoie, dont l'oncle, le chanoine pénitencier Buti, avait été chargé par Ricci de visiter le couvent de Prato,

7 .

62 .

moinesqui l'avaient forcéen quelque sorteàyavoir recours, et « à rendre le scandale public par la révélation des plus infâmes iniquités, autorisées pendant si longtemps par les confesseurs des religicuses et par l'ordre entier des domi nicains. »

Léopold prit la chose vivement à ceur, et résolut d'en finir d'un seul coup. Afin de connaître le mal danstous ses détails et dans toute son étendue, afin aussi de remonter jusqu'à sa source, il fit soigneusement rassemblerlespièces qui démontraient l'évidente complicité des dominicains lors de la première découverte des turpitudes commises chez les dominicaines de Pistoie (1774), et celles qui con cernaient les mesures prises après cette époque pour mettre un terme aux désordres : les moines eurent peur alors; ils essayèrent, pour détournerlecoup dont ils étaientmenacés, d'effrayer le grand-duc, et ainsi de l'empêcher de poursui vre. A cet effet, ils engagèrent une des religieuses, leurs pénitentes, à feindre des convulsions et des extases devant la châsse de Sainte-Catherine de Sienne, au couvent de Saint-Vincent à Pistoie, et ils répandirent parmi le peuple que ce signe céleste présageait à la ville quelque terrible fléau. En un instant, l'église des Récollets fut remplie de femmes qui, dans l'attente de la fin du monde, demandè rent à grands cris à se confesser et à recevoir les derniers sacrements. On cut beaucoup de peine à les faire sortir du temple, après leur avoir donné à comprendre que, si un malheur quelconque arrivait, ce serait, non pas à tous les habitants de Pistoie, mais seulement aux coupables, les enfants de saint Dominique.

1

Ricci acquit finalement la preuve que ce qui se passait à Pralo était la suite de ce qui avait eu lieu à Pistoie. Les religieusesde Sainte-Lucie,danscettedernière ville,avaient fini par se soumettre de guerre lasse, et parce qu'ellesn'é taient plus soutenues par celles de Sainte-Catherine, d'où les réfractaires avaient été expulsées. Il n'en fut pas de même à Prato : touty fut misen æuvre parles dominicains pourentraveret paralyser les mesures au moyen desquelles Ricci tendait vers son but, celui de leur arracher à tout jamais la direction des filles qu'ils ne travaillaient qu'à per vertir. L'évêque fut fort surpris de voir arriver à l'impro viste auprès de lui, pour l'aider dans son entreprise, un >

CHAPITRE XI.

Tout estmis en @uvre àPrato pourempêcher Ricci de parvenir à ses fins. Le père Calvi. Ricci rend compte au pape de ce qui se passe. Legrand-duc confirme ces révélations. Nouvelles découvertes. . Les deux seurs sont transférées à Florence.

2 9

Il va sans dire quele grand-duc débarrassa Ricci dupère Calvi en le rappelant.

64

père Calvi, dominicain , que le ministre Seralti lui avait fait adjoindre par le prince, probablement pour modérer son zèle dans une affaire délicate, qui pouvait amener des troubles au sein d'une population que son ignorance mettait à la merci de moines intrigants et audacieux. Calvi se pré tendait muni de pleins pouvoirs pour tout terminer, avec ou sans l'évêque, son vicaire à Prato et le lieutenant de po lice. Il fallut recourir aux voies de rigueur pour empêcher le moine imposteur de pénétrer dans le couvent. Sur ces entrefaites, Ricci dévoila aux yeux du prince la mauvaise réputation et l'inconduite reconnue dupère Calvi.

Il lui apprit que, lorsqu'une des religieuses de Sainte Catherinede Pistoie avait demandé au père prieur Guidi ce même Calvi pour confesseur,le prieuravait répondu: « Im possible! Le père Calvi, au vu et au su de tout le monde, fréquente les maisons publiques de débauche et les filles perdues; j'en serais blåmé par le provincial.» On disaitque ce moine avait une intrigue à Sainte-Catherine de Prato; peut-être était-ce avec la sæur Clodésinde Spighi.

L'évêque de Pistoie avait chargé le père Baldi , servite, d'interroger les religieuses et les pensionnaires de Sainte Catherine. Là-dessus, tout l'ordre des dominicains, et ses nombreux adhérents, et la cour de Rome qui le soutenait ouvertement, urent en émoi. On voulait d'abord faire passer les deux religieuses pourfolles, mais il fallut presque aussitôt renoncer à ce moyen; ellesmontraientclairement, ct dans toutes les occasions où elles pouvaient se manifes )

Pendant ce temps-là, le nonce, le plus remuant des dé fenseurs des dominicaines, ne cessait de favoriser de sa présence les plaisirs appelés honnêtes des religieuses : il assistait régulièrement à leurs comédies et à leurs bals masqués.

Les interrogatoires terminés, Ricci rendit un compte exact au pape : outre, écrivit-il à Rome (25 juin 1782), qu'elles ont profession ouverte de quiétisme, les deux reli gieuses traitent d'inventions humaines les mystères de la sainte Trinité et de l'incarnation du Verbe, les sacrements de l'église et le dogme de l'éternité d'une autre vie. Malgré cela, leurs directeurs spirituels ne leur ont point refusé les sacrements dont elles se moquaient. Il y avait eu jusqu'à six religieuses à la fois qui pensaient et agissaient comme les seurs Bonamici et Spighi. Beaucoup de livres avaient été renvoyésaux moines, et beaucoup depapicrsbrûléspar leur ordre, afin de rendre la découverte de la vérité, sinon

651 ter sans déguisement, qu'elles n'étaient point folles du tout. D'ailleurs, la seur Bonamici avait été prieure dix ou douze ans auparavant, et pendant les années 1775 et 1776, elle avait, conjointement avec la sæur Spighi, été préposée à l'enseignement des novices. En outre, l'une et l'autre de ces religieuses avaient constamment été admises par les moines à la participation des sacrements. Tout ut mis en @uvre pour les soustraire à l'examen de l'évêque : on essaya de les enlever, ou du moins de faire disparaître lespapiers compromettants et les livres ; et rien de cela neréussissant,; on entoura le prélat de menées ténébreuses et on lui fit faire des menaces de toute espèce.

6

A la grille, disait la même seur, les moines ne tiennent

L'évêque s'adressa aussi au cardinal Corsini : les provin ciaux des dominicains et les prieurs, lui dit-il, au lieu d'arrêter les désordres dont les confesseurs étaient cause, se sont plongés dans les mêmes iniquités. C'est ce que dé posent les demoiselles élevées dans les couvents et les reli gieuses dirigées par les moines. Elles ne parlent que de la femme du provincial, de la maîtresse du confesseur, etc.

Le grand-duc, de son côté, envoya à Rome un courrier extraordinaire, qui avait pour instruction de ne revenir qu'après avoir obtenu une réponse. Dans l'intervalle, la marche du procès relativement au couvent de Saint-Clé ment demeura suspendue, quoiqu'on eût acquis la convic tion que, au moins depuis la translation des religieuses de Pistoie, les mêmes désordres yrégnaient qu'à Sainte-Cathe rine.

impossible, du moins plus difficile et toujours incomplète.

- 66

Cela n'empêchait pourtant pas l'évêque de Pistoie de recueillir les renseignements qui lui venaient de toutes parts. Il apprit,entre autres,par unelettrede laseur Flavie Peraccini, qu un moinequi était devenu provinciallui avait écrit des choses si abominables qu'elle avait cru devoir les conimuniquer à un prêtre. Celui-ci avoua que, bien qu'il entendit la confession depuis nombre d'années, il n'avait aucune idée d'un pareilraffinement de corruption.La seur Flavie rapporta les paroles du prêtre au provincial des do minicains, et celui-ci répondit : « Vous êtes une sotte. Faites ce que je vous dis; essayez de suivre mes conseils, et vous me remercierez de mes leçons. »

La sæur Merlini avait confié à la seur Peraccini qu'un moine distribuait une drogue pour faire avorter, disant qu'il valait mieux passer par là que de perdre un homme de réputation. La même seur avait entendu proférer par les moines, au sujet de la messe, des blasphèmes qu'elle n'avait pas osé répéter.

Sur ces entrefaites, toute la ville de Prato s'occupait de ce qui se passait dans les couvents de religieuses. Les sæurs converses colportaient de maison en maison les anecdotes les plus scandaleuses dont leur couvent avait été le théâtre. Les anciennes pensionnairesracontaient publiquementavec quelle inconvenance les moines assistaient aux récréations des religieuses, à leurs entretiens privés, aux spectacles qu'elles donnaient ; lorsque la représentation dela comédie était à sa fin, on aisait, au profit du confesscur, une quête d'une manière si indécente que Ricci se refuse à la faire connaître. On a peine après cela à se la figurer, quand on songe que ce prélat n'a pas hésité à exprimer des choses qui, d'ordinaire, nesedisentpas en termes clairs et précis.

Cette circonstance, jointe aux tentatives des seurs Bona mici et Spighi pour corrompre les converses qu on avait chargées de les servir, fitprendre la résolution de les éloi gner de Prato. Le grand-duc ordonna leur translation à Florence.

Avant la mise à exécution de cette mesure, Ricci fit pro céder à un dernier examen des religieuses par le lieute

67 7 jamais que des discours orduriers; ils racontent ce qui est arrivé au saint-office à Pérouse; ils révèlent les confessions qui leur ont été faites.

Aureste, arrivées à Florence, lesdeux sæursfurent en fermées à l'hospice de Saint-Jean-Baptiste ou de Bonifazio, asile ordinaire des insensés. :

Nous ne partageons pas l'étonnement de Ricci : les reli gieuses, perverties par les directeursde leurs consciences, croyaient posséder la vérité, et se faisaient gloire, se fai saient même un devoir de la confesser hautement, de la soutenir et de la répandre. Ce sentiment seul peut expli quer le dévergondage avec lequel elles firent parade d'un système que, sans cela, personne n'aurait osé soupçonner, et dévoilèrent des turpitudes secrètes que rien ne les obli geait à mettre au grand jour : confession inutile qui suffi sait pour perdre une infinité de personnes dont la réputa tion,jusqu'alors intacte,devaitleurimporterà ellessurtout qui se vantaient d'être leurs disciples. Dans les temps de foi, elles seraient montées sur le bûcher sans sourciller; pourquoi, ausiècle dedoute, ne seseraient-elles pas expo sées au blåme de gens qu'elles méprisaient comme moins éclairés qu'elles?

- 68 > nant de police, le vicaire épiscopal Palli, le père docteur Baldi, et le notaire du tribunal civil. « Ce qui excita sur tout l'étonnement, dit l'évêque, ce fut d'entendre la seur Bonamici revenir sur ses réponses précédentes, non pour atténuer ses aveux, mais bien au contraire pour en ampli fier le sens, et pour développer son système d'impiété, principalement sur le point le plus important, savoir, que nous faisons tous partie de la Divinité, qui est l'ensemble des choses, la nature. »

Nous consacrons ce chapitre et les deux suivants aux interrogatoires que subirent, d'abord toutes les religieuses du couvent de Prato, puis, presque immédiatement avant leur départ pour Florence, les deux religieuses prévenues d'avoir causé le mal : ce dernier interrogatoire est à la fois le plus régulier et le plus complet que contiennent les ar chives Ricci; nousle reproduisons textuellement.

Réflexions sur cequivasuivre. Auditiongénéraledetoutesles personnes habitant le couvent de Sainte-Catherine à Pralo.

CHAPITRE XII,

Qu'on nous permette quelques réflexions avant de com : mencer .

Au xviiiesiècle, où l'on déclamait sur le devoird'accroître la population , comme aujourd'hui l'on cherche à faire comprendre qu'il faudrait la diminuer, on n'a pas manqué de se récrier contre la vie du cloitre, qui exige des vertus contraires à la nature, et par conséquent mène naturel .

6

lement aux vices les plus monstrueux. Nous sommes plus positifs : la nature, à nos yeux, lorsqu'il s'agit de l'ordre moral, est un mot dénué de tout sens rationnel, aussi bien dans la bouche des philosophes actuels que dans celle des religieuses d'il y a soixante-quinze ans. La nature, c'est la matière, aveugle et passive; et quiconque l'invoque en raisonnant est matérialiste, que d'ailleurs il se le dissimule à lui-même ou qu'il se l'avoue. L'homme, comme corps vi vant, a des penchantsorganiques qu'il domine, comme sen sibilité, au moyendesestendancesintellectuelles, quandil le veut, c'est-à-dire quand, pour levouloir, il a des motifs de raison ou de foi qui l'ycontraignent moralement. Tant que la foi chrétienne a été robuste et vive, la vie, non-seulement cenobitique, mais encore isolée ou stricte ment monacale, la vie érémitique au sein des déserts, avec la continence absolue, les mortifications etles macérations, les abstinences et les pénitences de toute espèce jusqu'au quasi-suicide, a été possible, et de nombreuses générations l'ont réalisée. Avec la déchéance de cette foi, l'organisme, qui n'avait pas la raison pour le diriger en toutes circon stances,etpourle combattredans plusieurs,a reconquis son empire. Les conseils évangéliques de Jésus étant pris pour point dedépartdu raisonnement, lespèresdelaThébaïde et leursimitateurs étaientseuls logiquesjusqu'au bout. Depuis que ce point de départ a été remplacé par celuiqui, de nos jours, prime tout raisonnement, savoir, querien n'est cer tain si ce n'est ce que chacun éprouve au moyen de ses sens, pendantle seul tempsqu'il soit donné auxorganes de leur faire éprouver quelque chose, les religieuses dc Pis

70 1 1 1 a

- 71 toie et de Prato étaient beaucoup plus logiques que leurs examinateurs. Maintenant entrons en matière. Nous donne rons le précis de toutes les pièces, et rapporterons le texte même de celles qui nous auront paru les plus saillantes.

Lesdeux religieuses prénommées avaient troublé le cou vent en maltraitant les autres religieuses qui leur résis taient, et elles avaient attenté à la pudeur de leurs compa gnes.

La première pièce est l'audition générale, dy 25 au 30juin (1781), de toutes les personnes habitant lecouvent de Sainte-Catherine, composé de quinze dames chorales, treize converses et cinq pensionnaires, audition de laquelle il est résulté : que, depuis les dernièresfêtes de la Pente côte, les seurs Bonamici et Spighi ont soutenu etrépandu dans le monastère, « que Jésus-Christ n'est pas réellement présentdans l'hostie consacrée; qu'il n'y a point de Saint Esprit; qu'il n'y a point eu d'incarnation du Verbe; que la très-sainte Marie n'est pas demeurée vierge; que l'âme est mortelle et finit avec le corps; que le baptême et les au tres sacrements sont inutiles au salut; qu'il n'y a point de péché ; qu'il n'y a ni enferni purgatoire; qu'elles voulaient attirer toute la communauté à leur parti ; qu'elles seules étaient sauvées, et que toutes les autres seraient damnées pouravoir rejeté leur doctrine, »

Ellesse sontnéanmoinsprésentéesà la communion, d'où leconfesseur non dominicain les repoussait.

Elles ont entretenu des liaisons suspectes, la scurBona mici avec son propre frère, le père Jean-Baptiste Bona mici, religieux augustin et prêtre; la seur Spighi avec le

72 prêtre Jean Bottello, ex-jésuite portugais. Une sæur ajoute que ce moine s'était parfois présenté à la grille, accompagné d'une femme qu'on avait entendu jurer,per le piattole di Gesù Cristo.

Les deux prévenues avaient abjuré plusieurs fois leurs erreurs, mais jamais sincèrement; elles n'avaient eu pour but que de jouir de plus de liberté.

Elles avaient attiré àellesla mère Anne-Diomire Baroni, dame chorale, et les converses Anne Grazzini et Marie-Ur sule Passi, encore novice.

La mère Baroni avait été séduite par les maximes que nous avons déjà exposées et par celles qui vont suivre et qui n'en sont que des variantes : « Jésus-Christ n'a été qu un simple prophète, envoyé sur la terre pour prêcher d'exemple; l'âmemourant avec le corps, il n'y a plusaprèscette vie ni peine ni plaisir. » Les spurs Bonamici et Spighi avaient commis sur elle desactions déshonnêtes, et l'avaientsollicitée à en faire autant. C'était là, disaient-elles, la véritable oraison ; et il était inutile d'en parler au con fesseur puisque la pratique en était générale. Pour la con vaincre, les deux sæurs lui avaient lu les écrits de saint Jean-de-la-Croix, qu'elles interprétaient dans leur sens.

Anne-Rose Grazzini avait été tentée d'une manière ana logue par la seur Bonamici, qui lui avait conseillé de se confesser, mais sans se repentir, et afin seulement de pou voir continuer à agir de même et de ne jamais se trahir. Elle consulta la seur Spighi qui confirma ce qu'avait dit la seurBonamici, avec cette différence qu'elle avait donné la préférence sur l'oraison de la Bonamici aux actes charnels

Sæur Grazzini révéla toutes ces choses à son confesseur, le père Orlandi, qui lui ordonna dedénoncer au saint-office lascur Bonamici, scs oraisons impures et les maximes dont elle les appuyait; ce qu'elle fit. Il n'en résulta pas autre chose, si ce n'est que la sour Bonamici lui demanda pardon et oubli pour le passé : il y avait de cela cinq ans.y Sæur Ursule Passi dépose que, étant âgéede seizeans et sous la direction des maitresses des novices, les seurs Bonamici etSpighi, la premièrelui avaitenseigné lavoiede la perfection, afin de la faire parvenir à l'union avecDieu. C'était toujours au moyen de l'oraison telle que l'enten daient ces seurs, et pratiquée soit à elle scule, soit avec d'autres, femmes ou hommes.

Afin de joindre l'action à la parole, les deux maîtresses des novices et des pensionnaires commettaient entre elles l'oraison en sa présence, et cela presque tous les jours. Après cela, tantôt l'une, tantôt l'autre l'obligeaient à la commettre avec elles, ce qu'elle faisait à cause de la grande autoritédont ces seurs jouissaient sur elle. Elle lesvoyait aussi coucher ensemble, et s'abandonner aux actes de l'obscénitéla plus excessive.

Lorsque la déposante leur objectait la loi de Dieu et les préceptes de Jésus-Christ, la seur Bonamici répondait :

LaseurBonamiciexpliquait danscesens lesexhortations des confesseurs, qui lui disaient : Faites loraison ; tâchez de demeurer unie avec Dieu.

qui se pratiquent entre personnes de sexe différent. La sæur Spighi ajouta que cette doctrine était puisée dans la théologie mystique.

- - 73

« Certes, il a bien fallu imposer une loi quelconque pour empêcher que tout ne dégénérât en confusion et en trou bles. »

Sour Ursule allait à la sainte table avec les autres reli gieuses, parfois sans s'être confessée, d'autres fois après une confession qui ne se composait que de quelques aveux insignifiants, mais sans jamais faire mention des impudi cités auxquelles elle se livrait.

Le moment de prononcer des væux étant venu, la seur Bonamici l'exhorta à multiplier ses oraisons; clle ne le fit néanmoins qu'avec les deux mailresses qui l'en pressaient continuellement.La seurBonamici ne cessaitdelui répéter qu'elle ne devait s'engager, en émettant le veu de chasteté, qu'avec l'intention bien arrêtée del'observer en pratiquant l'oraison, seule, ou avec d'autres femmes, ou avec des hommes.

Ne pouvant finalement résister aux reproches de sa conscience,seur Ursule se confia à la mère Salvi, syndique, qui fitson rapport au confesseur Orlandi. Celui-ci ordonna de mettre par écrit la déposition de la jeune religieuse. Comme elle était restée au noviciat, les deux maitresses ne lui laissaient pas un instant de repos. Elle s'en plaignit àla mèreJésualde Serrati, alors prieure. Celle-ci, d'accord

- 74

Les deux maîtresses lui proposaient comme exemples à suivre la mère Baroni et la sour Grazzini, qu'elles avaient déjà séduites, et elles lui recommandaient fortement de faire à son tourdela propagande, afin d'éclairer peuà peu toute la communauté sur les moyens propres à atteindre la perfection.

Elles déposent que les deuxsæurs en questionabusaient de la sainte hostie, qu'elles s'ôtaient de la bouche après la communion, pour l'appliquer alle parti pudende. Elles l'avaient aussi jetée dans la fosse d'aisance.

Les mêmes mères, et de plus la mère Filiadei Novellucci et la converse Passi, révèlent que les seurs Bonamici et Spighi allaient communier sans être à jeun, qu'elles fai saientgras levendredi etlesamedi, etqu'ellesconseillaient à leurs compagnes d'en faire autant.

Les dépositions des mères Annc-Diomire Baroni, Jé sualde Serrati, Emmanuelle Dragoni et autres, ainsi que celles de la converse Passi et de la pensionnaire Charlotte B ****, établissentque, sept ans auparavant, la seur Bona mici avait enseigné à cette dernière, âgée seulement de septà huit ans, toutes sortes d'impudicitésqu'ellequalifiait d'oraison,

avec le confesseur, ôta leur emploi aux deux maîtresses, et les obligea à abjurer leurs erreurs entre les mains du père Ulivi et à faire une confession générale.

75

Les mèresBaroni et Dragoni, et en outre lesmères Salvi et CatherineApolloni, déposent que les sæurs Bonamici et Spighi avaient coutume de tourner en ridicule la parole de Dieu et les avis des confesseurs, qu'elles appelaient des chimères, des épouvantails, bons tout au plus à faire peur aux niais.

La mère prieure Cécile-Antoinette Salvi dit que, cinq ans auparavant,la seurBonamici avaitcherché àla corrompre à trois reprises différentes : « Elle prétendait qu'elle avait eu un commerce charnelavec Jésus-Christ comme homme;

Le jeudi avant les dernières fêtes de la Pentecôte, la scur Bonamici pria la mère prieure, déposante, d'écouter la sæur Spighi. Elle y consentit pourvu que ce fût en pré sence de la mère syndique, seur Emmanuelle Dragoni. La Spighi vint et s'écria : « Est-ce là la charité dont on use envers nous? » et, tant elle que la Bonamici levèrent leurs jupons, etc. La déposante se rua sur elles et les battit; puis elle leschassa. Ayant instruit le confesscur et le prieur de ce qui s'était passé, les deux rcligieuses furent grondées et privéesdes sacrements, etlaSpighi fut destituée deson em ploi de sacristine. Le confesseur menaça de les dénoncer l'une etl'autre, mais elles se moquèrent de lui.

qu'elle avait bu le laitdela sainte Vierge; qu'elle avaitjoui d'un plaisirde paradis. » La mère Salvi en parla au confes seur, et la s ur Bonamici fut forcée d'abjurer.

La sæur Bonamici s'était depuis peu adressée à la supé rieure, pour lui demander avec instances de pouvoir de meurer seule avec son frère, le père Jean-Baptiste Bona mici. La supérieure refusa et rendit compte au con esseur. La Bonamici fut obligée à lui présenter ses excuses ; elle s'était oubliée, disait-elle, étant prisede vin.

La mère Anne-Marie Domini dépose que la seur Bona mici lui avait offert de la mettre dans une route nouvelle. Elle en fit part au père Pacini, confesseur, qui lui demanda le nom de la tentatrice, et lui défendit de la fréquenter davantage.Lamère Emmanuelle Dragoni, étant prieure, avait été sollicitée par la sæur Bonamici, qui l'avait invitée à la mettre à même des'unir avec Dieu, lui déclarant que cette

76 :

77

Il résulte de la déposition de la mère Rose-Marie del Feo que lamère prieureSerrati reçut ensa présence une lettre qu'elle lut à l'écart, conjointement avec le père Quaretti, prieur. La déposante parvint à découvrir que le père San toro l'avait écrite pour se plaindre de la Bonamici, qui s'obstinait à soutenir qu'elle pouvait sesauversansla foi, en niant le purgatoire et la présence réelle de Jésus-Christ au saint sacrement. Le père Santoro, comme s'il eût su que la sæur Bonamici se vantait de l'avoir eu pour maître, insis tait pour qu'elle déterminât quand et comment il lui avait enseigné ces choses.

Lorsque le père Deserio était confesseur, un jour qu'on avait tardé plus quede coutumeàouvrirla grillepar où se donne la communion auxreligieuses, la seurSpighi, sacris tine, ditdevant la déposante, sacristineégalement : « qu'on attendait bien longtemps avant d'ouvrir le trou au pain ; qu'aureste, quant àelle, peu lui importait, lorsmême qu'on ne l'ouvrirait plus du tout. »

Marie-Madeleine Ceroti, converse, déclare que la saur Bonamici lui avait recommandé de prendre à rebours les conseils que luidonneraient ses directeurs spirituels, etpar MÉMOIRES DE RICCI. 7

union devait s'opérer au moyen du commerce charnel entre elle-même et un prêtrc, et désignant à cet effet le père Gamberani, à cette époque confesseur de la communauté. La déposante refusa d'y consentir; mais, la Spighi s'étant jointe à la Bonamici, les deux religieuses revinrent à la charge en présence du père pricur Fortunati, qui lesrépri manda etles tint pendant plusieurs semaines éloignées des sacrements.

exemple d'aller à la communion quand ils lui défendraient de communier.

Au chapitre suivant, nous donnerons les examens des deux accusées devant la mère Cécile-Antoinette Salvi , prieure, et la seur Emmanuelle Dragoni, syndique, rap portés en entier et dans tous leurs détails, avec justesse et précision, tels qu'ilsse trouvent dans l'original, aux archives de la famille Ricci.

78

CHAPITRE XIII.

Quelle est l'essence d'une chrétienne? De croirequ'il y a un premier principe, qui est Dieu.

Vous ne croyez doncpas que celuiqui est né de la vierge Marie soit le fils de Dieu? Non : c'était un homme comme les autres.

Quel est ce Dieu ? La vérité des choses.

Interrogatoire,lextuellementrapporté,delasæurCatherine-IrèneBonamici.

La vérité des choses doit-elle s'entendre du Dicu qui a formé le ciel et la terre? Je ne puis le nicr.

Croyez-vous qu'il soit mort sur la croix pour nous

Savez-vous pourquoi vous êtes renfermée ici? Parce que je suis chrétienne.

Est-ce ce Dieu qui a envoyé son fils au monde pour nous racheter du péché? Certainement, c'est un assemblage de toutes leschoses,et même de tout legenre humain.

Éprouviez-vous en le faisant quelque horreur, de la ré pugnance? -- Pas le moins du monde.Jésus-Christ est-il l'auteur du baptême, qui estnécessaire à l'homme pour se sauver? - Le baptême est nécessaire pour être catholique; mais Jésus-Christ n'en est pas l'auteur.

sauver? Je crois qu'il est mort parce qu'on l'a fait mourir.

Avez-vous abusé de l'hostie consacrée? Par dédain pour elle, et parce que je ne croyais pas ce qu'on m'en disait, je l'ai jetée aux commodités. (Elle ajoute :) il environ huit ans, je la retirai de ma bouche et la mis dans unepetite boite, où ensuite je la pris et me l'appliquaialle partipudende.Pourquoicela? - Parce qu'alors je n'avais pas encore renoncé à l'erreur de croire que Jésus-Christ est présent dans l'hostie.

Cela est-il arrivé souvent? Deux ou trois fois.

Jésus-Christ est-il présent dans l'hostie consacrée? Je ne le crois pas.

80 a

Faisiez-vous cela par mépris pour Jésus-Christ? Au contraire, je le faisais par amour pourlui; je voulaisfarlo venirmecoin quelleparti.

Croyez-vous qu'il soit né de la vierge Marie? Oui, mais après qu'elle avait eu charnellement commerce avecsaintCroyezJoseph.-vous que Jésus-Christ soit l'instituteur des sacre ments ? Non: il ne me reste quelques doutes que relati yement à la dernière cène.

La foi nous apprend que le baptême a été institué pour effacerle péché originel.--Le péché originel estune figure, non une réalité.

L'âme est-elle spirituelle, immortelle? - Elle est mor telle : l'âme consiste dans la mémoire, l'intelligence et la volonté; lors de la mort du corps, l'âme meurt avec lui.

Si Dieu est voie, vérité etvie, n'est-il pas éternel, infini, tout-puissant? - Sansdoute.

Dieu a créé l'âme; Dieu est éternel : donc l'âme estéter. nelle aussi. Pur esprit, elle ne peut se détruired'elle-même.

Elle se détruit d'elle-même.

Où avez-vous puisé cette doctrine? Je ne la tiens de personne.

Ne donnera-t-il pas, après leur mort, le paradis aux bons et l'en er aux méchants? Il leur a réservé le même sort.

Ne donne-t-il pas aux bons le paradis pour récompense éternelle, et aux méchantsl'enfer pour éternel châtiment? Oui, dans ce monde.

Seulement pour autant qu'ils se réfèrent à la foi.

81

Qui a institué le baptême? Je n'en sais rien; peut être saint Paul, ou les apôtres d'un commun accord. Croyez-vous à la confirmation, à l'extrême-onction,etc.?

7.

S'il donne le paradis ou l'en er sans distinction aux bons comme aux méchants, il faudra l'appelerinjuste. Il n'y a ni paradis ni enfer. Le seul paradis est celui qu'on se fait en ce monde. (Elle ajoute :) La vie éternelle est la trans substantiation qui s'opère quand l'homme s'unit à la femme.

Qu'avez-vous enseigné aux quatre religieuses déjànom mées? Que l'on peut se sauver dans toutesles religions; que ce qu'on appelle des impuretés est la puretévéritable; que c'est là ce que Dieu nous a commandé de pratiquer; que c'est le seul moyen d'arriver à la connaissance de Dieu, qui est la vérité.

Où Dieu a-t-il commandé cela? - Je l'ai tiré de l'inclination de la nature.

82 -

Avez-vous enseigné cette doctrine à d'autres? Oui, monsieur.

A qui? - A deux religieuses chorales, Anne-Diomire Baroni et Marie-Clodésinde Spighi, et à deux converses, Marie-Ursule Passi et Anne-Rose Grazzini.

Nommez les personnes qui vous ont communiqué ces lumières. - Mes confesseurs,lespères Gamberani, Orlandi, Deserio.

Ne l'auriez-vous pas puisé dans ce que vous ont dit des prêtres,des moines oudes séculiers? - J'aireçudeslumières qui m'ont aidé à acquérir ces connaissances ; ces lumières m'ont été enlevées.

De quelle manière? est-ce par écrit ou au moyen de livres? Je n'ai pas eu de livres. Le pèreSantoro qui m'a dirigée pendantdix-huit ans,lorsquej'étais encore scrupu

Ces quatre religicuses ont-elles pratiqué votre enseigne ment? - Sæur Marie-Clodésinde la pratique; je suppose que lesautres le fontégalement.

Cependant, sans livres, sans maître, il est impossible d'apprendre ce que vous venez de dire. Il existe un maître universel, qui estDieu ou la nature.

Avez-vous causé avec le père docteur Ulivi, franciscain?

Souvent. Une fois, je lui rendis compte de mes opinions en matière de foi, mais hors de confession . Il feignit de prendrecetteconfidencepour uneconfession sacramentelle, et me donna l'absolution, quoiqu'il sût fort bien que ma confession était fausse.

Quelle pénitence vous imposa-t-il?-Cinq Pater et cinq

Vous donnaient-ils la communion après vous l'avoir in terdite? Sans aucun doute.

Toujours? Le dernier confesseur me l'a refusée. Au commencement, cependant, il me la donnait, quoiqu'il m'eût défendu, en présence de toutes les religicuses, d'y participer. Puis, comme je continuais à me présenter, il me la refusa.

83

Avez-vous ces lettres? Non, hormis une seule. Je disais que j'étais abandonnée sur la croix et résignée à de meurer ainsi; il me répondit que je faisais fort bien.

leuse, m'a beaucoup aidée par ses lettres. Quand mon es priteutété pleinement illuminé, ila continuéà m'instruire, pendant environ un an et demi.

Quelles lumières avez-vous reçues des pères Deserio, Or landi,etc.? - Jen'ensaisplus rien : ils me défendaient de communier, et je comprenais par là queje devais commu nier; je prenais tout à rebours.

Avez-vous fréquenté, aux grilles et à la porte, des per sonnes professant les mêmes doctrines que vous? Non, mon père : je n'ai parlé qu'aux pères spirituels et à l'oncle de Marie-Clodésinde, le chanoine Buti, et à un francis cain, le père Scarpante, il y a sept ou huitjours.

84 }

Ave enl'honneur des saintes plaies, à réciter tous lesjours. Je n'en fis rien.

Vous étiez-vous confessée au père Ulivi avant cette épo que? Certainement : je lui avais même fait une confes sion générale quand j'étais scrupuleuse ; mais je n'eus pas la force de la terminer. Pour me tranquilliser, il fallut que lepère Pacini confirmât les obligations que m'avait imposées le pèreSantoro, etqui convenaient à mes scrupules. Quelles sont ces obligations? -- Celle de réciter l'office sans attention ni intention : je ne parvins pas à y réussir, etje priai le pèrePacini de permettre queje ne le récitasse plus du tout. Ce père m'avait aussi prescrit une méthode particulière pour les confessions; je l'ai souvent négligée.

16

Avez-vous encore cette méthode ? Je n'ai plus rien. Les dominicains me donnèrent l'ordre de tout brûler, il y aura de cela douze ansau mois de septembre, Avez-vous enseigné votre doctrine à d'autres personnes qu'aux quatre religieuses que vous avez nommées?.- Seu lement à uneséculière, âgée d'à peu près sept ans. Je lui fis pratiquer le voeu de chasteté en lui montrant à se toucher le vergogne, ici (elle indique le parti pudende), et à dire : Saint-Esprit, amour, venez dans mon cæur. » Qu'enseignâtes-vous aux autres religieuses pour les amener à vos opinions?-A considérer ce que nous venons de dire comme des actions vertueuses, qu'elles étaient obli gées de faire pour observer le væu de chasteté. Que devaient-elles faire dans ce but? Se toucher les parties naturelles , s'unir charnellement aux hommes et surtout aux ministres de l'église, ct s'unir de la même ma -

Avez-vous sollicité d'autres religieuses par des actes ou des discours ? Il me paraît que non; il est possible tou tefois quej'aie hasardéde temps en temps quelque mot.

Est-ce avec les religieuses que vous avez nommées? Avec trois seulement : avec la sæur Baroni, deux ou trois fois; avec Marie-Clodésinde, très-fréquemment. Néan moins, jelui enseignais à setoucher plutôt elle-même; car, de mon côté, je me sentais plus portée à le faire seule. Avec la sæur Ursule Passi, je l'ai fait, mais rarement : elle ne suivit mes conseils que pendant quatre ou cinq mois ; puis on lui ordonna de m'éviter.

nière les unes aux autres, pour qu'il y eût charité frater nelle.

Quelles impuretés? Des attouchements réciproques, soit avec les mains, soit avec toute la personne.

Avez-vous commis des impuretés avec des prêtres?Non,Avecmonsieur.desreligieuses?

Oui.

Nous passons à l'interrogatoire de la seur Spighi.

Pourquoidul-elle vouséviter? Parceque laroutequeje suis, quoique bonne par elle-même, était difficile pour elle.

85 -

Je : Savez-vous pour quel motifvous êtes détenue ici? lesais : c'est parce qu'on prétend queje meconduis mal, et que mes idées sont erronées.

Aimez-vous Dieu ? Le croyez-vous un être infini, tout puissant, qui a créé le ciel et la terre? - Assurément.

CHAPITRE XIV.

Croyez-vous qu'il soit le rémunérateur des bons qu'il reçoit dans son paradis, et le punisseur des méchants qu'il

En quoi? - Onditquejesuis hors de la voie tracéepar? la loi deDieu; quej'ai falsifié cette loi; et quejene l'ob serve pas.

Interrogatoire textuel de la sæur Marie-Clodésinde Spighi. Déposition d'une pensionnaire.- Nouvellesréflexions sur ce qu'on vient de lire.

Cette loi consiste dans les dix commandements de Dieu. - J'observe ces commandements; car la loi de Dieu est comprise tout entière dans le précepte d'aimer Dieu et le prochain.

Dieu a infusé l'âme dans l'homme pour qu'elle l'aimat et le servit en cette vie, et pour qu'elle fût éternellement récompensée au paradisdans l'autre. Il n'y a de paradis qu'ence monde : c'est la fruition (la jouissance) de Dieu.

Si elle estspirituelle, elle ne peutni se détruire, ni étre détruite. C'est un esprit, mais qui se dissout comme un brouillard.

Dieu est parfait et saint ; il défend ces choses. Oui,; matériellement, selon la lettre de la loi; selon l'esprit, il ne les dé end pas.

88 condamne à l'enfer ? Je crois qu'il est le distributeur de la justice, mais seulement en cette vie : après la mort, il n'y a ni paradis ni en er.

Quel est ce livre? - Dieu lui-même est la vérité; j'ai ap pris ces æuvres de lui.

Que devient, après la mort, l'âme que Dieu a créée spia rituelle et immortelle? Elle finit d'exister avec le corps.

Le sixième commandement : Tune commettraspas adul

Où avez-vousappriscettedoctrineetcescuvres? - Dans le livre de la vérité.

Cette union avec Dieu, moyennant l'intermédiaire de l'homme, comment se fait-elle ? Je vais vous en donner uneidée. (La sæur Spighi, dit l'interrogateur, s'est levéeet a troussé sesjupons devant lesmères syndique et prieure; je l'ai grondée, etelles'est rassise.)Voilàl'oeuvre selon la loi de Dieu.

Comment parvient-on à cette fruition?- Par le moyen de l'acte qui fait qu'on s'unit à Dieu; par l'opération de l'homme, dans lequel je reconnais Dieu lui-même.

Avez-vous abusé des sacrements ? J'en ai fait un usage insolite, mais non pourenabuser.

Le baptême nous lave-t-il du péché originel? -- On le dit, mais je n'en crois rien : nous venons au monde avec une espèce de sympathie, avec l'instinct d'aimer.

Croyez-vous aux autres sacrements? A tous comme à celui du baptême.

N'avez-vous pas fait autre chose? - Je l'ai appliqué ici-

Comment? Je me conforme à ce que ontles autres.

Quelle loi a fondée Jésus-Christ? - Il a établi un grand nombre de préceptes; il a institué les sacrements.

Croyez-vous que Dieu a envoyé du ciel son fils unique pournous racheterde nospéchés?-Non,monsieur : Jésus est un homme comme les autres.

Faites-vous ce bien ? Sans doute.

tère, doit s'entendre au sens spirituel comme au sens lit téral. J'entends précisément par là qu'il faut faire ces choses.

En quoi consiste l'oraison, par laquelle nous recourons à Dieu dans nos besoins? A faire du bien, de la manière que l'église l'ordonne.

! . 8

Combien de fois? Une seule.

Est-il mort pour sauver nos âmes? Oh ! pour cela, je n'en crois rien. Nous autres, chrétiens , nous le considé rons comme notre chef, comme le fondateur de notre loi.

Lesquels? Le baptême, la confirmation,l'eucharistie,et quatre autres encore puisqu'il y en a sept.

Quel usage? J'aijeté le sacrementde l'eucharistie.

Où ? - Dans les lieux.

89 9

Combien de fois? Unefois, il y a de cela six ans.

Avez-vous cherché à insinuer ces idées à d'autres per sonnes? - Outre la seur Bonamici, il y avait encore les seursBaronietPassi qui pensaientcomme moi; cependant elles n'ont jamais tout su.

90 a (montrant le parti pudende), par amour pour ce sacre ment.

Combien de temps cela dura-t-il? Nous nous bornions à tenir des discours obscènes à la scur Baroni, etcela dura plus longtemps qu'avec la sour Passi. Celle-ci pratiqua les attouchements réciproquespendant un an à peu près.

Fut-ce à d'autres encore que celles que vous aveznom 2

Qui vous avait enseigné cette abomination? Personne. Quandjejetai l'hostie auxcommodités, ce fut parincrédu lité complète; quand je me l'appliquai:aux partipudende, je le fisparcequeje n'étais pas encoreentièrementdégagée des liens de la foi.

Que leur enseignâtes-vous? A se toucher réciproque ment : je ne me rappelle pas qu'il se passâtautrechoseavec la seur Baroni. Quant à la seur Passi, il y eut aussides embrassements lasci s.

Avez-vous enseigné à d'autres à faire lamême chose? Non, monsieur Savez-vous si d'autresvous ont imitée ?-Je nele pense pas. J'en fis part à la sæur Catherine-Irène Bonamici; j'ignore si elle a suivi mon exemple.

Combien de temps y a-t-il decela? - Je pratique, moi, ces choses depuis sept ans. La seur Bonamici et moi les cnseignámes presqueaussitôtà nos compagnes.

Quel emploi desserviez-vous alors?-J'étais employée au noviciat oùje montrais àlireà Charlotte. >

Sæur Catherine-Irène l'a-t-elle fait? Jenele crois pas : elle a enseigné ces choses à sa converse, soeur Anne-Rose Grazzini, seulement. Nous en parlions souvent, seur Ca therine-Irène, Anne-RoseGrazzinietmoi.

Savez-vous où elle se trouve maintenant? Dans le couvent , à moins qu'elle ne soit partie depuis que je suis ici.

Quels discours teniez-vous ensemble? Nous parlions de notre incrédulité. Il ne nousfallait que peu d'efforts pour persuader la scur Grazzini.

Lui fites-vous des attouchements, vous-même? - Huit ou dix fois, et seulementavec les mains.

Commîtes-vous des actions déshonnêtes avec Anne-Rose Grazzini? Moi, jamais;je ne sais pas ce qu'a fait la seurBonamici.

Avez-vous enseigné pareille chose à d'autres? - Non , monsieur.

- 91 mées? Oui, à une pensionnaire, qui est Charlotte B****, Que lui enseignâtes-vous? A se faire des attouche ments,disantque ce n'était paspéché;rien deplus.

Pourquoi ces deux swurs s'éloignèrent-elles de vous?Je pense qu'on les força de s'éloigner : je ne les ai, pour mapart, ni renvoyées, ni rappelées.

Et avec seur Ursule Passi , fites-vous des altouchements et tîntes-vous des discours ? Je vous l'ai déjà dit.

A-t-elle continué à se faire des attouchements? Je n'en sais rien;je ne lui ai plus parlé depuis des années.

Où avez-vous puisé cette doctrine? On n'y arrive pas sans livres ou sans maître. Sur ce point, vous n'écrirez rien ; car je n'ai pas puisé dans des livres.

Vous avez donc eu des maîtres ? Sour Catherine me persuada et me gagna, en me disant que tout cela est per mis, l'homme étant né libre, et personne ne pouvant en chaîner son esprit.

A qui ?-- A un prêtre, Jean Bottello.

Outre les discours lascifs, ce Bottello a-t-il fait des ac tions déshonnêtes? Sans doute. J'ai moi-même touché le sue parlivergognose.

Combien de temps cela a-t-il duré ? Cela est arrivé quatre ou cinq fois en autant de mois.

Étiez-vous seule avec lui?- Oui, quand ils'agissait des. attouchements ; maispour les simples conversations, scur IrèneBottellom'accompagnaitquelquefois.vousa-t-iljamaisécrit?

En partant, il m'a écrit deux lignes. (Elle dépose qu'elle a parlé une fois à Bottello de son incrédulité; il a répondu qu'elle méritait d'être brûlée.) -

Dans quel but cherchiez-vous à attirerà votre parti les religieuses et les pensionnaires? - Pour les instruire dans les bonnes choses.

92

Oùcela avait-il lieu ? - Aux grilles.

Avez-vous eu d'autres maîtres de cette abominable doc trine, qui sont venus à la porte du couvent ou aux grilles? - Non, monsieur.

Du moins, vous avez parlé de vos actions licencieuses à des prêtres, des séculiers ou desmoines. Assurément.

Quelsattouchements? -Réciproquement, allevergogne, allepartidisoneste.

Qui est votre converse? . Sæur Marie-Ancille Guasti, Lui avez -vous tenu des discours fait des actions déshonnêtes ? Non.

Combien de fois, et combiende temps cela dura-t-il ?Trois fois en deux mois.

Avez-vous eu d'autres liaisons ? Dans l'intérieur du couvent, j'eus quelque pelite intrigue.

Les religieuses de la communauté ont-elles découvert ce que vous disiez et ce que vous pensiez? - Elles doivent l'avoirsu.Je ne me suiscependantjamais trahie moi-même.

Que vous disaient les confesseurs à qui vous découvriez ces choses ? Je ne m'en confessai qu'une fois, en disant ce qui s'était passé avec Marini.

Que disaientlesconfesseurs ?- Ilsme défendaientde con tinuerà vivreainsi,en disantque celan'étaitpasconvenable. Commentfaisiez-vouspourparticiperauxsacrements? J'y participais de mon propre mouvement. Les confesseurs ne me le permettaient pas; mais lorsque je me présentais, ils ne merepoussaientpas non plus. (Elle dépose :) Au com mencement, le confesseurà quij'avaistoutdit, et sincère ment, m'avait refusé la bénédiction. Plus tard, il me la 8.

Vouscon essiez-vous desautresimpudicités? Au com. mencement, oui ; mais seulement pour donneraux confes seursquelque idée dema façon de penser et d'agir.

93 9

De quelle espèce ? - Je fis des attouchements avec un homme, appelé Joseph Marini, qui était au service de la communauté.

donna, sans confession préalable. Lorsqu'une autre fois il me la refusa de nouveau, je lui fis remarquer cette contra diction,etilrépondit: «Jesupposaisquevousvousétiez con fessée. C'était le père Orlandi. Il me renvoyait continuel. lementà un autre confesseur.Ennuyée decela,je fisappeler le père Ulivi, vicaire du saint-office. Je lui dis tout : je lui expliquai longuement cequej'étais et ce queje n'étaispas. Il me dit : « Voudriez-vous, par hasard, tirer les marrons du feu avec les pattes des autres?» Depuis lors,je partici pai aux sacrements , sans en avoir obtenu le consentement des confesseurs.

94 46 7 7

Pourquoi y participiez-vous? - Parce qu'il me semblait que les confesseurs auraient pu me le permettre s'ils avaient voulu.

Avec qui? Avec deux de nos confesseurs, le père Or landi et le père Gamberani.

JA

Quels étaientces proposet ces actions? Je me trous sais commej'ai fait tantôt, etje leurdemandaisde satisfaire mes désirs.

Où cela sepassait-il? - A lagrille dela sacristie.

Avez-vous tenu des propos indécents ou commis des ac tions impudiquesavec les confesseurs? Certainement.

Combien de fois cela eut-il lieu? -Je levai mes jupons deux fois devantlepère Orlandi, etune fois devant l'autre père; je renouvelai plusieurs fois, auprès de tousdeux, la prière de condescendre à ce que jevoulais d'eux.

Se rendirent-ilsà vos sollicitations? - Non, monsieur. .

Sont-ce eux quitinrent les propos et firentles indécen ces ? Non, ce fut moi.

95

Non;j'avais fait une abjuration précédemment, etavant celle-là une autre entre les mains du père Orlandi.

Quelle pénitence vous imposa-t-il?- Aucune.

Les confesseurs ne vous imposaient-ils jamais de péni tence après les abjurations?-Il me semble que non.

Comment cela eut-il lieu? Le père Orlandi m'avait remis un papier qui contenait mes opinions en matière de foi, et je l'avais signé. Lorsque le père Gamberani jugea nécessaire que j'abjurasse, il me dit : « Comment ferons nous? » Je répondis quej'avais encore la minute du père Orlandi, etje la lui montrai. Là-dessus, il pritses mesures : j abjurai de nouveau ; il me donna l'absolution, et tout fut terminé.

Ilsme grondaient et me défendaient l'approche des sacre ments. J'interprétais leurs paroles en sens inverse. (Elle dépose :) Je fis une fois une confession générale au père Gamberani, niant les actions que j'avais commises sous ses yeux et les opinions que j'avais avancées devant lui. Je lui dis tout, excepté cequ'il savait comme moi, soutenant fer mement que cela n'était pas. Mon intention était d'en avoir le cæur net, comme on dit, en me montrant à lui telleque j'étais, afin de savoir si, en effet, lorsque les confesseurs disaient : Nefaites pas ceci, je ne devais pas comprendre : Faites-le; si N'allezpasàla communion, ne signifiaitpas : Allez-y. Le pèreGamberani me trainaen longueur pendant près de deux mois ; puis il me donna la sainte absolution, en m'assurant que le Seigneur m'avait pardonné, queje de vaisne plus en parler à personne, et tout mettre en oubli. Avant devous absoudre, vous fit-il abjurer vos erreurs?

A vous-même, ou avec d'autres?-Actuellement à moi même, parce que je ne puis plus les faire avec d'autres.

Les faites-vous souvent? Plusieurs fois le jour.

Priez-vous Dieu quelquefois? - Je fais l'oraison, selon, ma méthode.

Quelle est cette méthode? - C'est l'acte par lequel je m'unis à Dieu intérieurement, et extérieurement autant qu'il est en moi.

Par le passé, avec qui les faisiez-vous? Avec la reli gieuse, soeur Catherine-Irène.

Et quand ils vous donnaientl'absolution? Alors, oui. Quelle pénitence était-ce? - Je l'ai oublié. Probable ment des prières, lesseptpsaumes delapénitence ou le ro saire.L'und'eux,meparaît-il,m'enjoignitunjourdejeûner.Vousconformâtes-vousàcettepénitence?-Jen'enfis rien du tout. (Elle dépose :) Après cela, je demeurai tran quille, ne me confessant que rarement, et seulement pour ne pas trop me faire remarquer par mes compagnes.

- 96 -

Cet interrogatoire est clos et signé en due forme, comme celui de la Bonamici.

Nous y ajouterons l'audition de noble demoiselle Rose M*****,néeàPrato,et qui avaitété pensionnaire au couvent deSainte-Catherine,du 1eravril à la fin de septembre 1774, sous la direction des maîtresses Bonamici et Spighi. Elle dépose que la seur Bonamici, avertie qu'une des pension naires prenait avec une autre des privautés illicites, au lieu de la corriger, dit qu'il ne fallait pas ainsi supposer de

Par quelles actions croyez-vous vous unirà Dieu? - Par celles que vousappelez actions impudiques.

Lors des exercices qui précédèrent la prise d'habit par la sæur Ursule Passi, les deux maîtresses retenaient celle-ci longtemps etsecrètementdans leurscellules, avant la con fession et surtout après, et on les entendait folâtrer.

Les seurs Bonamici et Spighi se rendaient à la dérobée dans la cellulel'unedel'autre, ets'yenfermaient. La dépo sante les a vues, l'une dans le lit, l'autre dessus. On suppo sait qu'elles couchaient ensemble, car on les voyait sortir le matin de la même cellule.

Elles chuchotaient et riaient entre elles, avant et après les confessions; ce qui faisait croire qu'elles tournaient les confesseurs en ridicule.

Ce qui saute aux yeux dans ce que nous venons de rap

la malice en toutes choses. Puis elle se mit à rire avec la sæur Spighi. Elle faisait de même quand la déposante témoignait quelque embarras pour se confesser, traitant ses scrupules de bagatelles, et s'en moquant.

- 97

Mais en voilà assez, si ce n'est même trop, sur un pareil sujet, qui finirait par dégénérer en un dégoûtant rabå chage. Nous ne doutons cependant pas que le lecteur sé rieux ne nouspardonnede nousy être arrêtési longtemps; pour quiconque réfléchit, il n'est pas indifférent de se faire une juste idée des excès auxquels peut mener une intelli gence vagabonde, une fois que la passion, par le défaut de raison et la perte de la foi, est demeurée sans règle et sans frein .

En été,seur Bonamici setenait devantles pensionnaires, le sein découvert, disant que pour des jeunes filles il ne fallait pas se gêner.

porter, c'est, avant tout, le manque desens réel de la plu part despropositions émises par les religieuses prévenues, qui ne cessent pas de se contredire, et, quand elles ne se réfutent pas elles-mêmes, ne réussissent du moinsjamais lier entre elles, et en une espèce de système, les folies dont ellesfont parade. Du reste, lesexaminateursnesont guère plus forts en raisonnement que les examinées. S'il y avait eu une croyance commune, l'accord eût été possible. Si l'une des deux parties avait raisonné juste, l'autre aurait bientôt été réduite à l'absurde. Mais, entre la foi qui in terroge et le doute qui répond, surtout les mots employés demeuranttoujoursdans le vagueet susceptibles des inter prétations les plus diverses, la discussion ne pouvait être qu un travail des Danaïdes, sans résultat et sans terme.

Pour ce qui est des aberrations dans la conduite desdeux religieuses, elles s'expliquent facilement, La Bonamici etla Spighi ne voulaient, pendant cette vieprésente,- la seule existence qu'elles reconnussent,-qu'une chose exclusive ment, savoir, du plaisir àtoutprix, n'importe sous quelle forme.Cela se conçoit:quand on estdans sonbonsens,onne désire pas la peine sans compensation. Si la Bonamici et la Spighi avaient vécu, comme on dit, dans le monde, ellesse raient demeurées dans les voies de la corruptioncommune, qui ne déshonore pas auxyeuxde ce monde, etdont même cemondesefaitgloire.Retenuesdans l'enceinte d'uncloître, entravées à chaque pas par unediscipline rigoureuse, elles eurent recours à tous les excès qu'enfanteune imagination en délire : c'était la mênie perversité, mais une perversité moins ordinairedans ses manifestations, parce que, génée

98

99

dans son cours et longtemps comprimée, elle avait été ré duite à semodifier singulièrement pour se frayer une issue. Le monde la condamnait, mais pour cela seulement. Et ce pendant cetteperversitéprocédaitdumêmeprincipe erroné auquel lemonde s'abandonnesansfrayeuretsansremords; car, lui aussi, sans toutefois le proclameraussi franchement que le faisaient les deux dominicaines, n'a encore acquis aucune certitude morale, et repousse celle que,pendant si longtemps, il avait acceptée de confiance, en acceptant l'au toritéqui la lui imposait. ,

-

CHAPITRE XV.

Au départ des religieuses pour Florence, l'évêque de Pis toie et Prato lesrecommanda avec chaleurau nouvel arche vêque de lacapitale, ainsiqu'aux deuxprêtresLonginelli et Fondelli.

Impertinence desdeux religieuses envers l'archevêquedeFlorence.-Elles abjurent le protestantisme. Disparition de leurs papiers. La Bona mici embarrasse ses examinaleurs. Son mysticisme. Sollicitations ad turpia, au confessionnal. - Ce que fait le grand-duc.

Nous reprenons le récit des faits que Ricci a exposés.

L'archevêque Martini, jaloux de l'influence dont Ricci jouissait auprès de Léopold, avait manifesté des doutes sur la vérité des accusations formulées contre les deux domi nicaines. Afin de changer ses soupçons en certitude, il se présenta à l'hospice Bonifazio d'un air doucereux, propre, pensait-il, à gagner la confiancedes détenues et à leur faire infirmer les aveux faitsà Prato. « Me voici, leur dit-il, et je 9

vous apporte le petit Jésus. » Les religieuses, ennuyées de lcur séquestration , et redoutant de nouvelles cxhortations catéchistiques, repoussèrent vivement le prélat, et afin de s'en débarrasser plus vite, laBonamici, se troussant jusqu'à la ceinture, répondit : « Si vous nous apportez le petit Jésus, nous vous montrerons notre sainte Vierge. Ellesdemanderent, nous ignorons dans quel but, à ab jurer entre les mains du père franciscain Bitossi , vicairc de l'inquisition à Florence, comme elles avaient déjà abjuré trois foisavantdequitter Prato : au moment de répéter cet acte,elleschangèrentprobablementd'avis; car,enprésence du père Bitossi, elles soutinrent plus énergiquement que jamais les opinions qu on tenait à leur faire rétracter. L'in quisition de Florence était donc depuis lors instruite de tout, si elle ne l'avait même été auparavant par le père Ulivi, vicaire du saint-office à Prato, qui avait présidé à deux abjurations, dont il ne pouvait mettre l'hypocrisie en doute,aupointque laseur Bonamicifondaitprincipalement sa confiance en son système surce que le père Ulivi, ayant tout appris d'elle en confession, à deux reprises différentes, nelui avait même pas prescrit la pénitence la plus légère. Malgré ces antécédents, l'archevêque Martini pritle parti d'ordonner une nouvelle abjuration. « Je sais à n'en pou voir douter, dit Ricci , que (pour faire condescendre les deux religieusesà cetterétractation) on allajusqu'àles faire cruellement déchirer à coups de nerfde bæuf, par un des domestiquesde l'hospice, ct quemême celui-ci se refusa à servir plus longtemps d'instrument à cet acte de barbarie. » - «Je fus fort surpris dans lasuite, ajouteleprélat, d'ap

102 9 7 )) 2

Cet évèque,qui n'étaitaucunement la dupe d'unepareille jonglerie, trouvait, lui, que les principes professés par ses diocésaines étaientbien plus impies et plus dangereuxque ceux des protestants. Il nous apprend que la seur Bona mici, qui avaitde l'esprit etde l'instruction, devait avoir lu les écrits de Voltaire, de Rousseau et d'autres philosophes de cette époque. Il aurait pu s'enassurer, nous avoue-t-il, s'ilnes'étaitpaslaissésurprendreparles dominicains, dont l'un d'eux, le père Potentini, s'étaitchargé desaisir les pa piers et les livres des religieuses. Le rusé moine les saisit en effet, mais uniquement pour les soustraire à la connais sance du prélat, auquel il dit qu'il avait tout brûlé.

103 prendrequ'on leur avaitfait abjurer les erreurs de la reli gion prétendueréformée.» C'était,eneffet,setrompergros sièrement, ou vouloir impudemment en imposer au public, que de confondre ces filles corrompues avec les disciplesde Calvin et de Luther.

Ricci pense que la seur Bonamici, enfoncée dans les er reurs et les impuretés des gnostiques, - ce sont ses pa roles, et qui était parvenue, au moyen des maximes du quiétisme, àséduire ses compagnes, nepermitpastoujours

. 2

L'archevêque de Florence, non content de cet escamotage clérical, fit plus encore : on obligea la Bonamici à déclarer qu'ellecroyaitque « la sainte église, catholique, apostolique et romaine est la mère etlamaîtresse de toutes les églises. De manière que, de plein saut, la matérialiste, sensualiste et panthéistedominicaine était devenue plus orthodoxe aux yeux du pape que Ricci lui-même, catholique fervent et évêque sincèrement pieux.

que les examinateurs vissent clair jusqu'au fond de la doc trinequ'elle s'était formée. La seur Spighi, quoiqu'elle eût pénétré leplus avantdanssesidéesintimes, luiétaitcepen dant de beaucoup inférieure en intelligence : aussi ne sut elle pas, commeson initiatrice,éluder les questions qui lui furent posées. Les autres religieuses séduites par la Bona mici ne la comprenaient pas du tout.

104

Quand les dominicains virent la tournure que prenait cette affaire et les conséquences qui allaient infailliblement en résulter pour eux, ils cherchèrent à faire passerles deux religieuses inculpées pour folles. La cour de Rome les ap puya de tous ses moyens, et le pape lui-même n'eut pas honte d'y compromettre son autorité suprême en adres santàcesujet un bref spécial àl'évêque de Pistoie. Les re

« Aidée de ses subtilités et de quelque connaissance des divines écritures, dont elle tourmentait et altérait le sens avec une grande finesse et une remarquable facilité, seur Bonamici c'est son évêque qui le rapporte mit plu sieurs fois à la torture le docteur Longinelli : il m'a avoué que, s'il avait réussi à réfuter ses sophismes, et à donner, dans la plupart descas, uneréponsesatisfaisante aux fortes objections que la religieuse lui faisait, ce n'a été que par uneassistance toute particulière qu'il recevait évidemment d'en haut. » Ce dernier correctifn'infirme en rien nos pré cédentes réflexions. LaBonamici, qui ne croyait pas,-nous parlons dans le sens des catholiques, embarrassait, et de vait nécessairement embarrasser quiconque ne faisait que croire, c'est-à-dire qui ne savaitpas plusqu'elle, etqui par conséquent était incapable de lui démontrer quoi quecefût.

105

Le père Santoro avait répondu par lettre à une demande de la sæur Bonamici, comme suit : « Une excellente chose pour s'acheminer vers la perfection est la méditation du livreintitulé: Exercicequotidiendupère Navarra, de l'ora toire de saint Philippe Néri. » Interprétation par la Bona mici : « Navarra veut dire une agitation, un trémousse ment, que sais-je, moi?... Oratoire, c'est nous. »

» 2 9.

ligieuses de leur côté, comme pourdéjouer cette intrigue, eurent soin , dans leurs relations avec les personnes qui les approchaient, de prouverqu'ellesjouissaient detoute leur faculté de raisonner; car cette faculté implique la possibilité de mal raisonner, laquelle n'est autre chose que raisonner plus ou moins juste après ètre parti d'un principe faux.

Sæur Bonamici, toujours au rapport de son évêque, s'était fort adroitement composé des théories mystiques sur lesvoies illuminatives, purgatives etunitives, pourles tour ner au profit de son quiétisme charnel. Voici ce que nous avons trouvé auxarchives Ricci à ce propos.

L'évêque de Pistoie et Prato s'était figuré que le dérégle ment des sens avait mené les recluses à l'incrédulité. Il eut dans la suite tout licu de se convaincre, sans peut-être sc rendre un compte bien net de l'impossibilité que la chose fût autrement , que les dominicains avaient organisé un vaste système de matérialisme et de spinosisme, qu'ils pro pageaient dans les couvents soumis à leur direction. Quand

Elle abusait égalementdeseuvres du bienheureux Jean de-la-Croix, afin de corrompre les religieuses qui, une fois la tête égarée, perdaient bientôt toute retenue et se pro istituaient à son libertinage.

106

Du reste, cela n'empêchait pas, d'autre part, l'usage des petits moyens de séduction vulgaire, consistant en insi nuations, tantôt tendres, tantôt licencicuses. Il n'est pas inutile de donner ici un échantillon de la manière dont les dominicains s'y prenaient, dans ce sens, pour mener peu à peu à leurs fins les religieuses, les noviceset les pension naires qu'ils endoctrinaient. Cela se passait ordinairement au confessionnal.Et n'oublions pas que, d'après lacurieuse statistique établie par Don Llorente, de laquelle il ressort que le nombre des subornations au moyen de la confession auriculaire est généralement proportionné à la difficulté qu'éprouventlesconfesseurs àse procurerdesfemmesd'une autre manière; n'oublions pas, disons-nous, que les domi nicains ne viennent qu'après les carmes et les augustins, déchaussés et chaussés, les capucins, etc., etc.

leurs pénitentes avaient adopté leurs maximes , elles se trouvaientlivrées, pieds et poings liés, à la fougue des pas sions de leurs guides spirituels. Ricci ne tarda pas à ap prendreque, parmi lesgensdu monde, plusieurspersonnes étaient mortes dans son diocèse en donnant les preuves d'irréligion les moins équivoques : c'était le fruit de l'édu cation reçue par les jeunes filles chez les dominicains, et propagée ensuite par les mères de famille dans la so ciété.

Rose M****, pensionnaireau couventde Sainte-Catherine à Prato, déclara que,pendant l'actemême de la confession, ayant demandé au père Gamberani, confesseur' ordinaire, comment naissent les enfants, il répondit : « On écarte les genoux, et l'enfant sort. »

Sæur Pauline-Thérèse, converseau couvent de Saint-Vin. cent à Prato, déposa que,pendant l'acte de la confession, ayant demandé au pèreQuaretti, prieur, la permission de se mortifieren se donnant la discipline, il le lui défendit, et se moqua d'elle en faisant allusion à ses parties obscènes.

Déposition de Thérèse-Fidèle,religieuse au même cou vent : Au confessionnal, quoiqu'il ne fût aucunement ques tion de se confesser, le père Quaretti lui parla des mouve ments des parties honteuses; il lui répéta les mêmes choses hors de confession.

Aprèslaconfession, lui ayantdemandé s'il se portait bien, il répondit qu'il avait dormitout nu et découvert. Elleajouta qu'il lui avaittenu desdiscours et commis sur elle des actes contraires à la pudeur.

Le même père demanda plusicurs fois à la déposante comment elle se trouvait sous le rapport des incommodités mensuelles des femmes, et lui fournit des drogues pour les provoquer.

L'ayant une autre fois interrogé surla question de savoir ce que signific fornicare, il répondit : « Avez-vous vu en fourner le pain? On ôte et on remet sans cesse. Eh bien, c'est cela. »

Elle était communément chargée de compliments pourle confesseur de la part des religieuses ou despensionnaires; etelle en recevait de la part des confesseurs par l'intermé diaire des autres pénitentes. Cela se passait en confession même. Hors de là, le père Gamberani pressait la main à la déposante, et lui tenait des propos qu'alors elle ne compre naitpas, mais qu'ellesupposait êtredéshonnêtes.

107

Le grand -duc se montra décidé à extirper ces abus dans leurracine : ilcommença par éloigner plusieurs individus de Prato, et par exiler quelques moines de la Toscane. Les renseignements et les dénonciations arrivèrent alors en fouleà l'évêqueRicci, et lui servirentàsonder la plaie plus profondément. Il avoue cependant que le mal, qui remon taitàune époque fort éloignée, n'en continua pas moins à s'étendre en secret. :

Dépositionde Catherine-AlexandrineCanteni, également religieuseà Saint-Vincent:LepèreAndré-Thomas Potentini lui avait adressé au confessionnal, mais hors de confession, des propos galants, immédiatementsuivis d'attouchements avec les mains.

108 :

Le pèreViretti, con esseurordinaire, lui tint des propos tendres, qu'elle n'interpréta dans un mauvais sens que lorsqu'elle lui eut entendu émettre des discours décidé ment impurs.

A chaque découverte importante, Ricci n'avait jamais manqué d'écrire à Rome et d'y rendre un compte clair, positif et détaillé de ce qui se passait. On n'y avait pas for mellement repoussésescommunications,tantque lecardinal Pallavicini était demeuré au limon des affaires. Mais lors qu'il eut été remplacé par le cardinal Rezzonico, les choses changèrent entièrement de face. Le cardinal Corsini avait étéchargé par Léopold dedemander la prompte expédition de pleins pouvoirs pourrétablir la paix avec l'ordreaucou ventde Sainte-Catherine etdans lesautres retraitespeuplées par les dominicaines. Le nouveau secrétaire d'état répondit par unesortie virulente contre l'évêque de Pistoie et contre son mandement sur la dévotion au sacré cour. Rezzonico était dévoué au parti desjésuites, que des dangers communs

Lesjésuites et les dominicains fontagir le pape contre Ricci. Preuves de la complicité de loutl'ordre de saint Dominique etdu saint-siége.

CHAPITRE XVI.

110 à une per portèrentalors à s'uniraux dominicains, si longtemps leurs antagonistes et leurs rivaux.L'affaire de la réconciliation des deux ordres monastiques fut conclue entre le dominicain Mamachi, maître du sacré palais, et le jésuite Zaccaria, lesquels, d'accord depuis ce moment, firent, ditRicci,mou voir le pape comme un mannequin,au gré de leursdésirs, c'est-à-dire dans l'intérêt de leurs respectives congrégations.

Afin d'avoir du moins un prétexte pour refuser d'inter venir dans ces débats de la manière queRicci l'aurait voulu, la cour de Rome feignit de croire qu'elle était instruite pourla première fois des détails qu'on lui communiquait, détails, disait-elle, qu'elle avait le droit,jusqu'à preuve du contraire, de regarder comme suspects, puisqu'ils lui ve naient, non de ceuxqui auraient dû s'adresser directement à elle, mais d'un prélat qui tenait avant tout à se rendre important auprès deson prince en favorisantles projets de réforme que celui-ci tenait suspendus sur l'église. Ricci sentit toute laforce de cette accusation. Aussi ne négligea

3 1 ---

Toutes les batteries furent donc dressées contre Ricci par les nouveaux alliés: ils firentpasser l'évêquedePistoie aux yeux du pape pourunjeuneimprudent, dontle zèle incon sidéré allumait un vaste incendie au sein del'église, « Je pense comme lui sur le sacré cæur, dit le pape sonnequi lui parlait decette dévotion; mais cen'était pas le moment d'agiter cette question-là. » Corsini fit part de toutes ces choses à Ricci, et le prépara à la double répri mande qu'il allait subir, etqui avait été imposée au saint siége pour venger les jésuites offensés et pour détourner les regards de l'infamie dévoilée des dominicains.

111

t-il rien pour montrer à l'évidence que les religieuses do minicaines non perverties avaienteu plusieurs fois recours, mais toujours en vain, au saint-siége et aux chefs de leur ordre, nommément à Pie VI lui-même et au général Boxadors, à qui elles avaient tout révélé, leur faisant con naître l'urgence de leurs besoins, et les suppliant de venir à leur aide ; que leurs lettres, qui ne leur avaient jamais valu un mot de consolation, ni même de réponse, avaient cependantétéremises en mainspropres, parl'intermédiaire de personnes religieuses et laïques, entre autres, par le ministre de l'électeur de Saxe.

On comprend facilement combien la chose, considérée sous cet aspect, acquérait de gravité, et combien par consé qucnt la publicationdespreuvesàl'appuidevaitblesserau vif ceux qui étaient intéressés à soutenir le contraire. Ricci fai sait éclater à tous les yeux que les prétendues vierges, épouses de Jésus-Christ, n'étaient que des femmes déver gondées, cherchant le plaisir avec fureur, de concert avec des prêtres sensuels et débauchés; que le tribunal de péni tence était une agence de séductionetde libertinage; que les religieuses, les moines, leurs supérieurs jusqu'au chef de l'ordre, toute la cour de Rome et le pape lui-même, non seulement toléraient ces désordres , mais les favorisaient depuis environ cent cinquante ans, par le re us constaté d'intervenir pour y mettre un terme. L'idée seule de la complicitédu généraldesdominicains etdu souverain pon ti edans une affaire d'hérésie,de profanation,de sacrilége, d'impiété, d immoralité et de corruption brutale, devait faire frémir toutcroyantsincère.

112 7

Eh bien ! Pie VI écrivit à Ricci, que lui-même n'aurait jamaisosé concevoirlemoindresoupçon contre le très-saint ordre des dominicains. Et pourquoi alors, s'écrie l'évêque de Pistoie, le saint-siége avait-il soustraitcinq couvents de religieusesàladirectiondecesmêmesdominicains,àSienne, à Pistoie et à Pise (1774)? Des soupçons! il n'était plus ques tion desi peu; le pape pouvait, quand il le voulait,acquérir une certitude pleine et entière , en faisant vérifier aux ar chives même de Pistoie, par son nonce àFlorence,les accu sations sur lesquelles le moindre doute était devenu une preuve de connivence.

Il y a plus : avant même que Riccise doutâtde ce qui se passait au couvent de Sainte-Catherine à Prato, une confes sion faite à Pie VI par une religieuse de cette maison avait été remise au cardinal secrétaire d'état. Une seur Thérèse de-Jésus, religieuse à Borgo San Sepolcro, avait fait faire par la sour Spighi une confession semblableau général des dominicains, etelle-mêmes'était adresséeàce général pour lui dévoiler tout ce qu'elle était parvenue à savoir. Pie VI n'en posa pas moins en fait que, à la secrétairerie du généralat, il nese trouvait rien qui concernât lesdésordres signalés par l'évêque de Pistoie. » Cependant, il est avéré que, dès l'année 1775, le général des dominicains était in struit de tout et dans tous les détails.Six ansplus tard, l'or gueilleux Quinones c'est ainsi que ce chef de l'ordre de saint Dominique est qualifié dans les pièces à l'appui qui se trouvent aux archives Ricci,-assistait toutes les semaines, dit notre évêque , au sein de la capitale du catholicisme, à un diner familier d'hommes sans mæurs et sans foi.

113 9

MÉMOIRES DE RICCI. 10

Qu'on ajoute à cela ce que les archives Ricci mettent éga lement au-dessus de toute contestation, savoir que, non-seu lement les dominicains, les augustins, mais encore d'autres ordresreligieux travaillaientsourdementàpropagerle liber tinage ; que dans un monastère qui n'est pas nommé, un jésuiteordonnaitauxreligieusesdeleverleursjuponsdevantlui,actionqu'ilappelaittrès-méritoire,parceque,disait-il, il fallait vaincre une forte répugnance pour s'y prêter; qu'enfin, dansRome même, où tous les ordres réguliers en voientdes élèves, ily avait un college dont l'enseignement ex professo n'avait d'autre but qu'une incrédulité sans bornes,et l'on conviendra que,au point de vue surtout de l'évêque de Pistoie et Prato, il fallait se ruer résolûment et sans aucun retard au-devant du mal, pour le prendre corps à corps et le terrasser de manière qu'il ne se relevât plus.

Ce fut en cette conjoncture que le pape lança contro Riccile brefrédigé par Zaccaria et Mamachi, bref que ces deux moines, pour le faire plus facilement adopter par Pie VI, avaient hérissé de toutes les vieilles prétentions de la cour romaine à l'omnipotence universelle. Ricci fait remarquer qu'outre l'éloge, si déplacé en pa reille circonstance, de l'ordre des dominicains, le pape y exaltait aussi le tribunal de l'inquisition, « qui (ainsi s'exprime l'évêque de Pistoie) déshonore notre sainte re ligion. » La vérité nous oblige à rectifier ce jugement : certes, le recours au bûcher déshonore une religion qui n'a 6

Brefinjurieux du papecontre Ricci.- L'inquisition. L'archevêque Mar tini. Le grand-duc force lepape à céder. Riccichargé de ladirection desdominicaines. Fanatisme de cetévêque. ---Lacardiolâtrie convertie enemblèmedelibertinage. Findesdeuxdominicainesperverties.-Les dévolsconspirent contre Ricci. Martini entrave les réformes de Léo pold.

CHAPITRE XVII.

plussonpoint d'appui dansl'opinion sociale; mais sans une inquisition, exprimant cette opinion, jamais il n'y aurait, ou du moins il n'y aurait pas pendant longtemps, de sainte religion révélée, sous aucune forme.Une révélation, accep tée comme principe d'ordre dans la société, a pour corré latif obligé la sanction pénale frappantdu dernier supplice quiconque tente d'ébranler la foi générale en sa certitude. La nécessité d'une inquisition est la preuve de la fausseté en thèse absolue de toute révélation, de toute affirmation dont la vérité n'est pas démontrée; mais aussi longtemps que cettevérité demeure dans le vague, le maintien d'une inquisition est une condition sine qua non de la conserva tion de l'ordre relatif à l'époque d'ignorance sociale. Et l'ordre est la vie de la société.

- 116

Les louanges de l'inquisition dans la bouche de Pie VI ne déshonoraient donc en aucune manière la religion chré tienne, qui lui avait dû sa longue durée, et qui, pendant toute son existence sociale , avait servi de base à l'ordre dans la société soumise à son influence; mais elles ren daient ridicule le pape qui méconnaissait à ce point l'esprit de son siècle, où l'inquisition était devenue impossible, et où l'ordre ne redeviendrait désormais possible que par l'application de la vérité librement acceptée de tous.

Quoi qu'il en soit, l'évêque porta le bref de Pie VI au grand-ducqui voulutyrépondre lui-même.Cela n'empêcha pas le prélat outragé d'écrire de son côté.Il avait à repous ser les épithètes d'homme de mauvaise foi, dc fanatique, de menteur, de calomniateur, de séditieux, d'usurpateur des droits d'autrui, etc., avant de passer aux faits qui lui don

Martini se trouvait à Rome pendant que Ricci y sollici tait les pouvoirs nécessaires pour réduire les dominicaines rebelles, et il avait appuyé sa demande, afin de pouvoir agir de son côté si le mal s'était étendu jusque dans le diocèse dont il allait prendre la direction. Il ne se trompait pas. Des abus graves nous citons furent découverts dans un couvent de dominicaines, à Florence,au point qu' y eut lieu à faire, non-seulement éloigner, mais même exi ler le con esseur.

- 117 naientévidemment raisoncontrelesaint-siége. Néanmoins, il ne fit partir sa lettre qu'après qu'elle eut été approuvée par le prince, par son ministre Seratti, et par le nouvel archevêque de Florence, Martini, créature de Seratti, qui lui-même était le favori de Léopold.

A peine Martini avait-il pris possession de son siége ar chiepiscopal, qu'il se mit à la tête des opposants qui accu saient Ricci d'entraîner le grand-duc dans des embarras dont les suites pourraient devenir funestes à son gouver nement. Martini partageait les idées de l'évêque de Pistoie sur les matières controversées, mais il était jaloux du nom que, supposait-il, Ricci se préparait dans l'histoire en se condant les vues d'un prince réformateur. Lui, le traduc teur de la bible, s'engagea à Rome à entraverla publication de l'histoire ecclésiastique de Racine et des écrits de Ma. chiavel. Puis, d'accord avec Seratti, il se couvrit du man teau du bien public pour conseiller au gouvernement de laisser tomber dans l'oubli la querelle entre l'évêque de Pistoie et lc saint-siége. Le grand-duc repoussa celte lå cheté, et menaça la cour de Rome de pourvoir lui-même2 10.

118

aux besoins descouvents de femmes dans ses états, si le pape nesehâtait de les soumettre tous également aux évê ques ordinaires. Il exigea de plus qu'il serait fait des excu ses à Ricci pour les injures qui lui avaientétéadressées, et comme il parlait sérieusement et avec l'intention de passer outre s'il n'obtenait ce qu'il avait demandé, le pape s'em pressa de toutlui accorder. Nesachant plus alorsà qui s'en prendre de tant de déboires, Pie VI réprimanda vivement le général des dominicains qui, en le trompant, lui avait fait une position aussi humiliante. Léopold, de son côté, reprochaavecforce à ceux qu'il avait employésjusqu'alors dans cettenégociation, leur faiblesse et leur tiédeur.

Rieci mit immédiatement à profit les pouvoirs dont il venait d'être revêtu. Il chercha cependant à adoucir le plus possible ce que les nouvelles mesures présentaient de trop rigoureux aux yeux des dominicaines : à l'exception des moines de leur ordre, il leur laissa choisir librement leurs confesseurs sur une liste de prêtres réguliers et séculiers, qu'il avait dressée lui-même avec le plus grand soin.

Si le zélé prélat s'était borné à de pareils actes, il est probable qu'il seraitparvenu à ses fins ou plutôt à celles de Léopold ; mais il était sectaire, et il l'était de bonne foi. Il1 agissait dansle sens de ses convictions, avec toute l'ardeur de quelqu'un qui veut faire son salut. C'était là ce que le papeappelait du fanatisme,et ilavaitraison; or, commece fanatisme contrariait celui de la cour de Rome, le pape le condamnait. On ne saurait l'en blåmer, bien entendu si à la cour de Rome on était sincère aussi. Mais il est plus que permis de le mettre en doute, et de croire quele fanatisme

119

romain n'était que le masque qui couyrait l'ambition du saint-siége etsa cupidité. Ricci tonnait contre les loyolistes parce qu'il les croyait dangereux pour la religion; il ne laissait échapper aucune occasion d'attaquer la dévotion au sacré coeur qu'il faisait descendre en droite ligne des opi nions d'Arius et de Nestorius, renouvelées par le jésuite Berruyer, dont à coup sûr ses diocésains entendaient parler pour la première fois. Le pape et ses courtisans tonnaient contre Ricci et Léopold, qu'ils redoutaient comme dange reux pour leursjouissances et leur pouvoir.

Pour ne plusavoir à revenir surles deux malheureuses fillesquinousontoccupésilongtemps, disonsiciquelespièces contenant leurs derniers interrogatoires à Florence, pièces bien plus positives, parait-il, et plus complètes que celles

Au reste, que les cordicoles, comme Ricci les appelle, fussent ou non les descendants plus ou moins directs des anciens hérétiques que nous venons de nommer, toujours est-il que l'évêque de Pistoie avait tout lieu de croire que le nouveau culle avait une relation intime avec le libertinage dont les dominicaines et les dominicains venaient de donner des preuves si scandaleuses. L'examinateur Longinelli écri vit à Ricci, que la sour Bonamici témoignait le plus grand respect et beaucoup de vénération pour une image du Sau veur, la poitrine ouverte et le cæur dans la main, telle qu on la doit au pinceau de Pompée Battoni, image qu'elle avait reçued'unjésuite.La religieusela portaitconstamment sur elle, et elle y attachait des idées d un amour si abomi nable, que le bon prêtre ne crut pas pouvoir les dévoiler, même au prélat.

120

desexamens de Prato,furentremises directement au grand duc qui probablement les emporta à Vienne lorsqu'il devintà empereur. M. le conseiller 'Tielemans, pendant son séjour dans la capitale de l'Autriche (1828), voulut bien faire à ce sujet les recherches que nous lui avions demandées; elles demeurèrent infructueuses. Il en serait de même aujour d'hui pour les papiers dont ces Mémoires ne sont que la compilation, et auxquels, depuis la première publication que nous en avons faite, les archives grand-ducales ont également servi de sépulture. De Bonifazio, la Bonamici fut transférée à Saintc-Lucie où elle mourut au commen cement du siècle, presque en odeur de sainteté. La Spighi demeura à Saint-Clément jusqu'à la suppression de ce cou vent après l'invasion française; elle passa de là avec ses compagnes de clôture à Saint-Martin, et, lorsque cettemai son aussi eut été fermée, dans un couvent abandonné par les franciscains. Les maisons religieuses ayant été restau rées avec le reste après la chute du grand empire, la scur Spighi entra àSan Girolamodelle Poverine, où, plus qu oc togénaire, ellevivait encore en 1823. Revenons à Ricci. Comme il est facile de se le figurer, cet évêquese faisait des ennemis acharnés de tous les dévots que les moines ameutaient sans relâche contre lui et contre le gouverne ment de Léopold. Ainsi se préparaient de loin les troubles que nous verrons éclater à la première occasion favorable, ct quc le pasteur imprudent aurait pu empêcher s'il avait été plusadroit,c'est-à-dires'il avait étéjansénisteaussipeu sincèreque ses ennemis étaientsincèrementdévoués au seul intérêt de leur position, de leur fortune et de leurs loisirs.

121

Le grand-duc voulut bientôtqueRicci réalisât son plan d'académie pour les études ecclésiastiques, à Florence, à Sienne etàPise.L'archevêqueMartini réussità faire avorter ce projet : c'était, disait-il, trop vaste, et cela entraînerait à des dépenses trop considérables. Afin cependant d'amuser le prince par un semblant de condescendance, il présenta un nouveau plan , mais pour Florence seulement, et ne demanda pour le mettre à exécution qu'un simple local. Le grand-duc s'empressa de mettre à sa disposition l'abbaye (la Badia) de Fiesole. L'archevêque s'en fit une maison de campagne pour l'été, et ne songea plus à l'académie ecclé siastique. 9

La montagne de Pistoie. - Jansenisme de Ricci. Permission de faire gras les jours maigres. - Ricci accorde des dispenses de son autorité privée. Les prédicateurs de carêmes. Antagonisme entre Martini et Ricci.

CHAPITRE XVIII.

Afin de connaitre les besoins de ses ouailles, il fit la visite du diocèse de Pistoie et Prato, principalement dans ses paroisses les plus écartées et qui attiraient le moins l'attention. Il parcourut la montagnede Pistoie, ordinaire ment appelée la Montagne, sansplus. C'est une partie des

5

Nous avons déjà dit que Ricci prenait ses devoirs d'évê que au sérieux. Cen'était pas pourvivre dans l'indolence et la mollesse qu'il avait accepté ces hautes fonctions sacerdo tales, mais pour veiller au troupeau confié à sa garde et à sessoins : et ce troupeaunese composait passeulement des riches et despuissantsdontilpouvaitattendre des égardset dela considération ; c'étaient surtout lespetits etles pauvres auxquels il croyaitdevoir son affection et ses secours.

Apennins, sauvage et stérile avant le règne de Léopold, et que ce prince avait conquise à la civilisation et au bien être.

124 2

Autrefois, les montagnards descendaient chaque année dans les Maremmes (les bords marécageux de la Méditer ranée),où ilsgagnaientdequoi vivrepoureux etpourleurs familles, restées à la maison sous la garde du curé du vil lage. Mais pendant l'absence du chef, les enfants étaient négligés, les femmes etles filles devenaient une proie facile pour la séduction, et le plus souvent n'avaient d'autre res source que la fuite, au retour d'un mari jaloux et d'un père irrité. Léopold traça ct fit exécuter un chemin sur Modène à travers la Montagne, et accorda des avantages à quicon que båtirait sur son parcours. Decette manière la Montagne s'était peuplée el enrichie; les habitants en étaient devenus sédentaires; les m urs s'étaient réfor nées. Lesmaremmans d'autre part, privésde tout secours étranger, et obligéspar conséquent à se charger eux-mêmes des travaux dont ils avaientbesoin,endevenantindustrieuxetdiligents, avaient acquis de l'énergie et conservé leursépargnes. Ricci estima qu'il serait utile de créer une nouvelle paroisse, celle de Boscolungo, et aussitôt le grand-duc, en dépit de son mi nistre, fit mettre la main à l quvre pour la construction d'une églisc, dont il supporta personnellement une partic des frais.

Il n'y aurait eu rien à dire, si le jansénisme n'était venu mal à propos apposerson cachet à cette cuvre de bonne et loyaleadministration.Sousprétextequelessaintsmodernesvalaientmoinsquelesanciens,Riccidédialeséglisesqu'il

1 11

125

Ce fut encore le jansenisme de Ricci qui lui inspira ses doléances sur la trop grande facilité avec laquelle, selon lui, la cour de Rome accordait la permission de faire gras, les jours voués par l'église au régime du maigre. Cette affectation de rigorisme, parfaitement en harmonie avec la doctrinejanséniennc, aurait, à l'époque de relâchement où l'on était parvenu , cu besoin d'être appuyée par les lois civiles; mais cela était tout à fait opposé aux principes pro fessés par les jansénistes, qui refusaient à l'église tout re cours aux moyens temporels de coercition. Le saint-siége aussi avait été sévère dans le temps sur l'observance des moindres pratiques du culte, tant qu'il avait pu se faire prêter main-forte pour que ses peines canoniques fussent appliquées aux infracteurs. Mais du moment que l'opinion générales'était montrée indifférenteàcet égard, et quepar conséquent le pouvoir s'étaitvu forcé de se tenir dans la plus stricte neutralité, les papes s'étaient crus trop heu reux, lorsque la grâce leur en était demandée comme une faveur, d'avoir à permettre de violer les lois de l'église, qu'aucuneautre loi n'avaitplus la force de faire respecter : c'était encore, après tout, se soumettre à l'églisc que de reconnaître, n'importe pour quel motif, l'autorité du pape qui en estle chef. Mais les jansenistes, inflexiblement atla

ut appelé à consacrer, à saint Augustin, à sainte Thècle, saint Polycarpe, à saint Jean-Chrysostome, à saint Cyrille, au papesaintGrégoire, àsaintBasile,àsaint Ignacele mar tyr, à sainte Prudence, à saintRemi, à saint Germain, à saint Loup, etc., dont la plupart des noms frappaient pour la première fois les oreilles italiennes.

chés à des maximes qui n'avaient plus de sens, ne l'enten daientpasainsi : aussi furent-ilstoujours en petitnombre, et ne surent-ils jamais, nous ne dirons pas seulement rien fonder, mais même rien conserver.

Ricci se refusa à demander les pouvoirs ordinaires pour dispenser de faire maigre pendant le carême; il permit à ses diocésains, de son autorité privée, de senourrir d'eufs et de laitage. Par là, il demeurait fidèle à l'ancienne disci pline,etnarguaittantsoitpeu le pape : il croyaitremporterune double victoire. Lui-même fait remarquer que la pre mière dispense du maigre, sous Clément XIII (1767), fit élever un cri général de réprobation, et que la sévé rité avec laquelle il prescrivit lui-même le maigre le fit passer pour un rigoriste ridicule. En outre, les dévots, romanoldtres avant tout, l'accusèrent de nepas croire au pape.

126 :

Commesi des dispositions aussi opposées à l'espritdeson siècle ne luisuscitaient pas encore assez d'eunuis, l'évêque de Pistoie et Prato s'attaqua ensuite aux prédicateurs de carêmes. Ces missionnaires périodiques parcouraient les villes et les campagnes comme de vrais histrions nomades, -c'est Ricci qui les flétritdecelteépithète,-briguantles égliseslesplus fréquentécs, lesplusbrillantes, etparconsé quent les plus lucratives, et les plus favorables pour se mettre en réputation.La plupart, vendus àla courdeRome, blâmaient hautement la marche du gouvernement toscan, et en général celle de la maison d'Autriche, pour leur in tervention dans les affaires de l'église. Ricci se prononça vigoureusement contre ces instigateurs de mécontentement

L'archevêque Martini, qui ne cherchait qu'à contrecarrer son collègue quand il pouvait colorer ses actes d'opposition de quelque motifplus ou moins spécieux d'utilité, ordonna à tous les réguliers de son diocèse de faire le catéchisme aux fidèles, chaque dimanche. Ricci, au contraire, argu mentantde l'abus que,toutrécemment encore, les réguliers avaient fait, en Autriche et en Toscane, du droit d'ensei gner, de prêcher et de confesser, pour exciter les peuples contre leurs princes et leurs pasteurs légitimes, défendit aux réguliers de monter en chaire sans en avoir préalable ment obtenu la permission du curé de la paroisse. Les moines refusèrent tout service, et les dévots murmurèrent plus haut que jamais. L'évêque passa outre et, continuant ses travaux, publia un catéchisme qu'il cut soin cette fois de choisir parmi ceux qui avaient été approuvés par l'in quisition elle-même. Il reconnaissait qu'il en existait de meilleurs (ceux nommément des jansenistes avoués); mais, disait-il, il lui fallait éviter autant quepossible, non-seule ment la mauvaise doctrine, mais aussi le soupçon, même mal fondé, de professer une doctrine passant pour mau vaise.

1 <

127

parmi les populations, etdemanda avecinstance l'appui du pouvoir pour les réduire au silence.

S'il avait toujours raisonné dans ce sens, il se serait épargné bien des chagrins.

Rome avait impatiemment rongé son frein lorsque le grand-duc s'était décidé à supprimer toutes les taxes qu'a vant lui la Toscane payait au saint-siége. Elle éclata, à l'abolition définitive du tribunal de l'inquisition.

Abolition des taxes payées au saint-siége. L'inquisition privée de loute force coercitive. Elle est abolie par Léopold. Les images miracu leuses. Via crucis. Les olivétains. L'académie ecclésiastique.

1 1

LedocteurThomas Crudeli,dePoppi, était un poëlefort

11 .

CHAPITRE XIX

Le saint-office en Toscane était desservi par les mineurs conventuels. Sous les Médicis, son autorité avait été grande et terrible, surtout lorsque le prince régnant avait lui mêmequelque intérêt à le faire agir avec sévérité. L'inqui sition ne fut mise hors de toutétat de vexer les citoyens que sous le gouvernement des princes lorrains. Voici à quelle occasion eut licu cette réforme importante :

130

inoffensif,mais qui passaitdansle publicpourprofessersur la religion de son pays les idées, non pasencore de tout le monde, mais du moins de ceux qui se piquaient d'avoir des idéesjustes. Enfermé dans les cachots de l'inquisition, il y seraitmortdessuites desa longue détentionetdes mauvais traitements auxquels il avait été en butte, s'il n'eût trouvé le moyen d'avertir ses amis. Le comte de Richecourt, instruit de la chose, fit sortir Crudeli de prison, et obtint de Benoît XIV que désormais le saint-office demeurerait privé de toute force coercitive. Le pape savait bien, disait il, que c'était anéantir cette juridiction elle-même, mais jugeant, en homme avisé, que le saint-siége n'avait plus d'autre rôle àjouer que d'accorderavec empressementaux puissances ce qu'elles voulaient bien encore condescendre à solliciter auprès de lui, il n'hésita pas un seul instant.

PieVI se montra moins facile lorsque Léopold, non con tent de l'abolition de fait du saint-office, exigea jusqu'à la suppression du nom même d'un tribunal dont l'existence, n'étant plus motivée socialement, était absurde et devenait impossible. Le pape, espérant détourner par là l'attention du grand-duc et la porter sur des intérêts plus graves, favorisa sous main la publication, dans ses états, d'écrits injurieux et même séditieux contre les réformes, en partie janséniennes, en partie philosophiques de Joseph II, sur tout aux Pays-Bas autrichiens, et contre celles purement janséniennes ou canonistes de Léopold lui-même. Sa colère eut principalement Ricci pour objet. Heureusement pour le prélat toscan, le pape ne trouva, du moins alors, d'autre moyen de décharger sa bile qu'en défendant à monsignor

Amaduzzi, un des admirateurs de l'évêque, de lui dédier unc publication qu'il projetait.

131 3

1

Au printemps de l'année 1782, des pluies incessantes menaçaient de compromettre la prochaine récolte. Les ex ploiteurs des églises et des chapelles s'empressèrent de mettre celle occasion à profit pour exposer des images, « improprement nommées miraculeuses, » - ainsi s'ex prime Ricci, - afin de faire de l'argent. C'était au tour d'une Madonna dell' Umiltà, dont il s'agissait avant tout de faire sonner bien haut le pouvoir, et les bonnes dispo sitions à en user en faveur des fidèles qui y auraient droit. A cet effet, les entrepreneurs de dévotions présentèrent à l'évêque de Pistoic une annonce pompeuse à siguer, pourà qu'ellepûtêtreaffichée danslediocèse.Maisloin de les satis faire, Ricci prit à tâche de rectifier les idées de ses ouailles sur l'intervention des saints qu'il appelait nosfrères, etsur le culte des images qu'il fallait bien se garder, disait-il, d'exagérer par la superstition. C'était singulièrementchoisir son temps pour une pareille instruction pastorale. Aussi le vulgaire taxa-t-il l'évêque d'ignorance et d'hérésie. Ce fut bien pis quand il tâcha de régulariser, avec le père Pujati, bénédictin, la dévotion de la Viacrucis ou des stations. La nombreuse famille des enfants de saint Fran çois, en possession de disposer de cette dévotion à son gré et selon ses intérêts, se dressa contre Ricci comme un seul homme. L'évèque prétendait qu'il n'est pas permis d'em bellir ou plutôt de dénaturer l'histoire évangélique de la passion, en y ajoutant des circonstances inventées après coup, telles que les trois chutes de Jésus sur le calvaire , sa

Nous avons vu comment le plan d'une académie ecclé siastique pour toute la Toscane avait échoué, Ricci n'en persévéra pas moins à vouloir le réaliser pour autant qu'il dépendrait de lui, et il obtint à cet effet du grand-duc le couvent des olivétains de Pistoie, qui allaient être suppri més. Afin de ne laisser aucun doute sur les motifs qui né cessitaient cette dernière mesure, l'évêque la fit mettre à exécutionà l'improvisteel sansenavoirfait prévenir. Sur pris au moment même de leur repas, les moines virent sai sir leurs maisons de ville et de campagne, et apposer les scelléssurleurs papiersaprèsqu un inventaire eutétédressé de leurs meubles et de leurs effets. Il fut constaté par là que lesolivetainspossédaient une quantité énormede cartes à jouer, et une bibliothèque où les saintes écritures ne se trouvaient pas même au complet et que le grand-duc es tima à cinq ou six francs. L'aristocratie se plaignit amère >

- 132 rencontre avec sainte Véronique, etc., etc. Ricci fut ac cusé dephantasiasme, c'est-à-dire de professer l'erreurdes anciens docètes, qui refusaient un corps réel à Jésus-Christ, et partout des espèces d'émeutes furent organisées pour le perdre.

Nous rapportons ces puérilités afin de montrer que, s'il importe à une religion encore puissante de se contenir le plus possible dans les bornes de la raison compatible avec son existence , la société où cette religion déjà déchue vé gète encore n'a plus rien à craindre de ses extravagances; elle n'a plus qu'à la laisser succomber sous les efforts in considérés par lesquels on cherche à prolonger son agonie et qui ne font quedéshonorer sa chute.

Dès qu'il put disposer des propriétés confisquées, Ricci demanda un lecteur en théologie au célèbre Tamburini, chef de l'école anti-curialiste de Pavie, qui lui envoya le docteur Jean-Baptiste Zanzi dont il était sûr. L'évêque fit suivre ce choix de dispositions qu'il prit pour l'avantage de son nouvel établissement et pour le succès des études qui allaient s'y faire, toujours d'après les conseils de ses amis lesjansénistes deFranceetde Hollande.Sesregrets,lorsque son départ forcé entraîna la ruine de son institution, furent des plus poignants.

133 ment de la suppression que nous venons de rapporter : les nobles de Pistoie avaient l'habitude de placer chez les oli vétains les enfants dont ils voulaient se débarrasser, et eux mêmes allaient perdre auprès de ces pères leurs heures d'oisiveté et d'ennui.

Pour donner quelque idée des intrigues et de la mau vaise foi qui furent mises en @uvre pour faire avorter les projets de Ricci, nous consignerons ici l'anecdote suivante. Le général des olivétains se prétendit créancierdes moines de son ordre en Toscane pour une somme qui aurait ab sorbé tout leur avoir, et il parvint, soit en trompant les ministres de Léopold , soit en les rendant complices de sa fraude, à leur faire reconnaître la validité de ses préten tions. Mais Ricci découvrit qu'il ne s'agissait que d'une de ces vieilles taxes imposées par la cour de Rome et que le ditesayantgrand-ducavaitabolies.Cen'estpastout:lepapeBenoîtXIV,avantcetteabolition,prévudelonguemainquelestaxesfiniraientparnepluspouvoirêtreperçues,ni enToscane, ni ailleurs, les avait capitalisées, et pour ne pas > 2

134

toutperdre, s'était faitrembourser. Les olivétainstoscans ayant facilement trouvé de l'argent à un taux moins élevé que ne comportaient les taxes romaines, avaient d'abord éteint celles-ci, puis s'étaient peu à peu libérés deleur nou velle dette. Le général espérait, tout en épuisant les res sources de l'académie ecclésiastique de Pistoie, avoir en outre le bénéfice d'être payé deux fois. La fourbe décou verte, il en fut pour lahonte d'y avoir eu recours.

CHAPITRE XX.

Les études théologiques dans les couvents. Ignorance des moines. Publications de Ricci.

Ricci exigeait que des conférences moralesse tinssentré gulièrement dans son diocèse,maisnon plus pour laforme seulement. Il obligea les réguliers, dépendants désormais des évêques, à y assister. Chargé de surveiller les études ecclésiastiques dans les couvents, il commença ses visites parse rendre au couventdes mineurs observantins, à Giac cherino, où ilsavait qu'il y avait une bibliothèque choisie. Malheureusement, elle n'était d'aucune utilité pour les élèves, et elle était à peineconnue par les moines. A Giac cherino,commedanstouteslesmaisonsreligieuses,leslivresétaientreléguésdansquelqueréduitimmonde,dontsouventlaclefétaitintrouvable.AuxpaolettidePistoie,unmoineréponditfranchementàl'évêque:Demandez-moi desmeubles, unvase parexemple, servant àl'utilité ou aux

7

Lesreligieux de saint François nouscontinuons à citer Ricci n'avaient, la plupart du temps, aucune notion dela langue latine. Il leur fallait un dictionnaire pourarriver à comprendre les décisions du concile de Trente et le caté

Aussi , ajoute Ricci à qui nous devons ces curieux dé tails, les moines étaient-ils d'une ignorance crasse,livrés à l'indolence et aux dissipations de toute espèce. Les supé rieurs, afindeperpétuercetétat de choses si commode pour leur proprenullité, allaientjusqu'à défendre à leurs subor donnés d'acheter des livrespourleur usage et à leurs frais. Désirant vivement savoir ce que les professcurs ensei gnaient, Ricci interrogea quelques élèves. La plupart, dit-il, étaient dépourvus de toute instruction; quelques-uns en avaient reçu une mauvaise. Leur théologie se bornait au dogme de l'infaillibilité du pape, maître absolu del'église et des états. Ce qui naturellement intéressait le plus l'évéque janseniste,c'étaitladoctrinedela grâceetdela prédestina tion; il trouva que les moines professaient le molinisme de manière à scandaliser Molina lui-même. Il n'y avait pas là de quoi faire des théologiens même médiocres. En bien ! de pour encore que leur intelligence ne s'émancipât au delà des limites de rigueur, on avait soin de faire continuelle ment passer les élèves d'un couvent à un autre, de sorte que toujours le cours qu'il était en train de suivre, ou bien il ne l'avait jamais commencé, ou bien il ne pouvait jamais le finir.

136 7 agréments de la vie, je vous l'indiquerai à l'instant; mais en fait de livres, nous ne connaissons ici que le calendrier de la sacristie et l'almanach de la cuisine.

12

A l'affaire des couvents succéda celle des livres. Ricci en fit publier un grand nombre à ses frais, en ayant soin de choisirceuxquilui paraissaientles plus instructifs,enmême temps qu'ils étaient le plus à la portée des intelligences or dinaires. Son recueil des Opuscules intéressant la religion (1783) fut portéjusqu'au 17 volume, etne fut interrompu

Il ne s'en était pas moins fait des ennemis irréconciliables dans le clergé régulier, qui, parla soumission des couvents auxévêques, perdait, avectouteinfluence, chacun dans son ordre, les énormes profits qui en étaient la conséquence. Ricci nous apprend, entre autres choses, que le provincial des franciscains de Toscane , qui avait été une seule fois chargé de faire la visite des couvents placés sous sa direc tion,étaitriche pour sa vie entière.Lecouvent d'Ognissanti à Florence, si renommé pour son commerce en draps, lui rapportait en cette occasion près devingt-cinq millc francs.

137 .chisme romain : c'étaient là ceux qu'on nommait docteurs etprofesseurs,pourqu'ilssecrussent obligésd'apprendre au moins quelque chose de ce qu'ils allaient devoir enseigner. Les plus obtus devenaient confesseurs et prédicateurs, et ils étaient fort recherchés dans les campagnes. Tout ce que Ricci put faire pour ré ormer les moines dans l'intérêt de la religion dont ils se disaient les enfants les plus dévoués, ne scrvit à rien. La cour de Rome y mettait obstacle; et les provinciaux, dont elle disposait à son gré, la secondaient activement, au moyen du renvoi incessantdes religieux et des élèves, d'une maison ou l'évèquc avait cru les atteindre, à une autre maison sur laquelle il était sans autorité, dé jouant ainsi ses projets et paralysant ses cfforts.

138 queparsa retraiteforcée; il avaitl'intention d'yreproduire les traités des saints pères, traduits en italien. Malheureusement les préoccupations de l'éditeur don naient toujours à ces entreprises une couleur de secte qui en gâtait l'effet. Nous nepouvons assez répéter que nousne blâmons aucunement l'évêque de Pistoie d'avoir professé et cherché à propager les doctrines janséniennes, plus chré tiennes peut-être que celles des jésuites, professées àRome. C'étaitlà une affaire deconscience privée,à une époqueoù la confusion desopinionsnepermettait plusqu'il y eût une conscience publique. Mais il y avait contradiction manifeste chez lui à vouloir être catholique malgré et contre le chef du catholicisme. Ricci usait de son droit de chercher à servir sa religion comme il croyait qu'elle devait être ser vie ; mais il se trompaitdans le choix desmoyens, car cette religion ne pouvait se conserver pour quelque temps en core que telle qu'elle était, et vouloir la réformer était infailliblement travailler à la détruire. Il y avait de la part de Ricci erreur de raisonnement, non crime : il subit les conséquences de sa faute; on le crut puni de ses mauvaises intentions.

Quoi qu'il en soit, la cour de Rome ne sut plus dissi muler sa fureur à l'ouïe du nouvel attentat du prélat toscan à l'omnipotence pontificale : on l'accusa, à l'occa sion de ses publications,dezwinglianismect de calvinisme; mais il eut peu de peine à confondre ses calomniateursqui, pour le perdre, avaient supposé que, par la présence spi rituelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie, Ricci avait en tendu une présence simplement igurée. Spirituel et réel,

139

dit-il à ce propos etavec beaucoupde raison, ne se contre disentaucunement.Il auraitpu allerplus loin, et dire qu'il n'y a de réel que ce qui est spirituel ou plutôt immatériel ; mais il lui restait à démontrer qu'il y a quelque chose d'immatériel dans du pain, et cela est absurde. Cependant ses adversaires croyaient à cette absurdité aussi bien que Ricci lui-même. Pourquoi alors se combattaient-ils? Pour quoi? par ambition, par vanité, par amourdela faveur et du pouvoir, par ignorance de la vérité, par envie de se distinguerenfaisanttriompherl'opinion dont on s'étaitfait l'apôtre, en un mot, parunedes passions quelconques qui, inévitablement, dirigent les hommes, quand elles ne sont pas soumises à la raison, etqui ne peuvent être soumisesà la raison que lorsque celle-ci est incontestablement déter minée.

Abolition des congrégations de prêtres. Défense aux bénéficiers de se faire remplacer. - Les jours de Ricci sont menacés. Madone miracu leuse. Fautes de Léopold. Intrigues des dominicains. Suppression des autels, hors un seul,dans chaque église. Lesabandonnées.

CHAPITRE XXI.

Léopold chargea l'évêque de Pistoie de prendre la surin tendance destrois congrégations de prêtres quisetrouvaient dans son diocèse. Le grand-duc avait été averti par un membrede l'une d'elles, qu'elle possédait pour près de trois millions de francs de revenus , ct qu'elle jouissait d'une grande influence parles secours qu'elle donnait à beaucoup de prêtres oisifs et inutiles, et par les dots dont elle grati fiait quelques filles du peuple. C'est ainsi que la chose est présentéeparles réformateurs mêmesde l'époque,etellene saurait mieux l'être pour prouver à l'évidence qu'au fond il n'était question que d'une seule chose, savoir : enlever auclergé, avec sesrichesses, le pouvoir qu'il avait acquis, à

12 .

0

Les gouvernementsqui recouraier à ces mesures de con fiscation croyaient-ils ne pas violer le droit de propriété? Nul ne saurait le dire. Ce qui est certain, c'est qu'ils ne négligeaient rien pour le faire croire par les autres. Leurs actes de spoliation avaient toujours pour motifs avoués, soit l'illégitimité de la possession des biens, soit le mauvais usage qui en était fait, soit enfin le danger qui résultait de leur possession pour l'ordre social. Ces prétextes, qui ne manquent jamais aux puissants pour exproprier les faibles, n'ont aucune valeur devant la justice et ne sont quelque chose que par la force qui les appuie. En principe de raison absolue, ou il n'y a point de droit de propriété, ce qui est absurde, ou toute confiscation en estla négation di recte. Ces réflexions faites une fois pour toutes, revenons à notre évêque.

On peut dire que la commission dont Ricci venait d'être honoré par la confiance du prince rendait sa position dans son diocèse, de très-compromise qu'elle était depuis quelque temps, définitivement désespérée et presque sans ressource. A Pistoie, unemploi dans une des congrégations dont nous parlons était l'objet des brigues les plus ar dentes, puisque les avantages qu'on en retirait équivalaient à ceux de la dignité de cardinal. La congrégation de Sainte-Marie di Piazza, la moins riche des trois, - son revenu ne s'élevait que de cinq à six cent mille francs, -

tort ou à raison, il ne s'agit point de cela, -- et s'emparer de ce pouvoir et deces richesses pour disposer dorénavant de l'église, comme l'église jusqu'alors avait disposé de l'état.

142 >

Malgré cela, Ricci ne reculait et même ne s'arrêtait pas dans la voie qu'il avait cru devoir se tracer, et qu'il suivait sans jamais regarder derrière lui, pour remplir ce qu'il considérait comme son devoir envers les hommes et envers Dieu. Son malheur fut, il en convient lui-même, que sa po sition le mit dans l'indispensable nécessité « de heurter å chaque pas les moines et la courdeRome, » Comme il pré tait sans cesse le flanc sous le rapport des doctrines qu'il affichait quelquefois, disons-lesans hésiter, avec une espèce d'étourderie, on continua à essayer de le faire passer pour hérétique. Il lui était, pour ainsi parler, impossible de se

143 était mieux administrée que les autres. Les biens-fonds et lesrentesdes congrégationsde la Trinitéet du Saint-Esprit étaient dans le plus grand désordre. Il fallut avoir recours à la force pour obtenir des comptes un peu en règle.Après quoi, le patrimoine des trois congrégations fut appliqué à l'entretien des curés,qui ne furent plus, dit Ricci, à dater de cette augmentation de salaire, dans la nécessité de tra fiquer des choses saintes pour vivre, ce qu'ils avaient fait jusqu'alors.

L'évêque dePistoie obtint peuaprèsdu prince une loi qui obligeait les bénéficiers de sa cathédrale à faire eux-inèmes leservice pour lequel ils étaient si richement rétribués, au lieu de payer chichement, ainsi que c'était la coutume, des prêtres ignorants et pauvres pour les remplacer. Comme de raison, tous ceux qui vivaient de ces abus ou qui y trou vaient des moyens de se rendre la vie plus commode, de vinrent, quand ils s'en virent privés, les ennemis les plus irréconciliablesdu scrupuleux prélat.

Nous venons de reprocher à Ricci l'inconsidération de quelques-uns de ses actes. En voici un exemple : dans une chapelle du diocèse de Fiesole, dont l'évêque de Pistoic avait le patronage, se trouvait une madone réputée mira culeuse, que, à l'occasion d'une réparation qui avait été faite, quelque temps auparavant, au mur auquel elle était adossée, un maçon avait barbouillée de couleurs d'une façon ridicule. Ricci, en faisant procéder à une nouvelle restaura tion dont la chapelle avait un urgent besoin, fit placer une image toute neuve de la Vierge sur le maître-autel, et une autre de sainte Catherine de Ricci à l'endroit même où était la madone miraculeuse, qu'il avait fait disparaitre sous une couche de badigeon. Un moine, curé à Passignano, paroisse voisine de la chapelle en question, feignant d'igno rer ce qui avait cu licu, se porta processionnellement, à la tête de ses fidèles, pour visiter l'image effacée. Arrivé de

Après cela, vinrent les lettres anonymes, les menaces d'assassinat et d empoisonnement. On chercha à pénétrer dans ses bureaux et dans son cabinet particulier, et un homme mal famé s'offrit à le tuer pour cinq cents francs.

144 laverde cette accusation, etil devait tôtou tard succomber sous la gravité qu'on lui attribuait encore généralement parmi ses concitoyens. Le jour de la fête des Rois, une affiche se trouva collée sur les portes de sa propre église, portant en gros caractères : « Priez pour notre évêque hété rodoxe. » L'hérésie qu'on lui attribuait se bornaitd'abord au jansenisme; puis, lorsqu'on se fut suffisamment fami liarisé avec cette idée, on l'accusa de vouloir détruire la religion chrétienne tout entière.

Des imprudences de Ricci, passons à celles de Léopold : ce prince voulait débarrasser le culte extérieur du catholi cismedes pratiques grossières et superstitieuses que l'igno rance du peuple et l'avidité du clergé y avaientintroduites,y afin, dit l'évêque, de ramener à la religion les personnes raisonnables qui s'en étaient éloignées, et de prévenir l'in crédulité des hommes instruits, suite nécessaire de lamaté rialité des cérémonies religieuses.

Que fit-il au lieu de cela? Il appliqua à la Toscane un mandement de l'archevêque de Salzbourg, qu'il envoya à

vant le mur blanchi, il joua l'étonnement, puis le scandale, et réussit ainsi à scandaliser réellement les dévots ingénus et crédules. Cette affaire brouilla Ricci avec Mancini, évê que de Fiesole, jusqu'alors son ami,

Il y avaitlà, en effet, quelque chose de louable, du moins dans l'intention ; mais de quelle autorité Léopold assumait il une mission qui ne lui appartenait pas plus qu'à tout autre fidèle? Ou il était catholique sincère, et il devait se soumettre à ce que décideraient et feraient les supérieurs du catholicisme;ou il ne l'était pas, etil n'avaitrienà dire, il n'avait même aucun intérêt à dire quelque chose concer nant les catholiques et leur religion, qu'il lui importait au contraire de voir succomber le plus tôt possible sous le poids deses inepties. Il n'avait, en toutétat de cause, aucun droit d'appeler ignorance ce que les dévots appelaientfoi, ni de taxer de superstition ce que les fidèles considéraient comme piété. En sa qualitédechefdel'état, il devait la jus tice et la même justice à tous, sans acception d'opinions religieuses ou autres, voilà tout.

145

tous ses évèques, et que Ricci s'empressa de transmettre aux curés de son diocèse, afin que Dieu ne fût plus adoré qu'en esprit et en vérité. Il en résulta immédiatement que, les fonctions paroissiales se trouvant bornées à l'explication de l'évangile, à l'enseignement du catéchisme et à une simple bénédiction pendant laquelle il était défendu d'al lumer plus de quatorze cierges, tandis que les églises des couvents, jadis si pompeuses ct si fréquentées, devaient rester fermées au public; il en résulta, disons-nous, que le peuple, privé de ses fêtes, du luxe de ses cérémonies et des expositions brillantes du saint sacrement, cria plus haut que jamais. C'était acheter trop cher la réputation que le grand Frédéric fit à l'empereur Joseph II, celle d'être un sacristain modèle.

146 >

Comme tout marchait au gré de ses désirs dans le dio cèse de Pistoie et Prato, Léopold ne se lassaitpas de com blerl'évêque de faveurs et debiens. Il venait de supprimer le couventdes dominicains de Prato; nous dironspour quoi ; - il y plaça les récollets dont il donna la maison à Ricci pour son séminaire.

Les dominicains, malgré ce qui s'était passé au vu et au su de tous, avaient continué à entretenir une correspon dance suivie avec les religieuses des trois couvents de leur ordre. Ils avaient même réussi, en dépit de la vigilance de la police, à s'y introduire de nuit. Dans les conférences secrètes avec leurs pénitentes, plusieurs choses avaient été réglées, et entre autres celle-ci : à défaut de tout autre moyen de communication, tel par exemple que les lettres en chiffres dont les moines s'étaient servis autrefois, il fut

Le grand-duc gratifia également le séminaire de Pistoie du couvent supprimé de Sainte-Claire.

147

convenu, pour ne pas laisser se rompre tout à fait le fil de leurs relations avec les religieuses, qu'à une heure dite, celles-ci s'agenouilleraient, et qu'au son de leur cloche les moines lesabsoudraient de tous leurs péchés.

Celui des dominicains fut donné aux dominicaines sou mises, qui avaient manifesté le désir de se vouer à l'éduca tion des jeunes filles. Mais l'église était trop grande pour elles. Afin de l'adapter à sa nouvelle destination, Ricci y réalisaunedeses pluschères idéesderéforme : il n'ylaissa subsister qu'unseul autel,comme,dit-il, au temps de l'église primitive; comme, ajouterons-nous,chezles chrétiensgrecs et lesjansenistes de l'église d'Utrecht. Il eût certainement mieux valu, religieusement parlant, que la chose fût ainsi ; car il est plus qu'étrange d'avoir dans un même temple plusieurs autels, où, tout à la fois, par l'opération de dif férents prêtres, le même Dieu va descendre corporellement sur la terre, y est déjà descendu et en disparaît par l'effet de la communion. Mais l'usage de la pluralité des autels avait prévalu depuis si longtemps, qu'il n'était plus guère possible de le changer sans choquer l'opinion générale. Au reste, lorsque Léopold vit par lui-même la réforme que Ricci avait introduite dans l'église des dominicains, il fut dans l'enchantement,et s'empressa d'ordonner que, partout dans ses états, la simplification jansénienne fût adoptée pour les temples catholiques. Mais Rome, que cette mc sure menaçait dans le plus clair de ses profits habituels, convoqua le ban ct l'arrière-ban de sa milice, ct le grand

148 nie

duc crut prudent de suspendre l'exécution de son projet. Les translations de religieux et religieuses d'un couvent à l'autre s'arrêtèrent pas à ceux dontnous avons parlé : un hospice defilles, les abandonnées (le abbandonate), ob tint la maison des dominicaines. Ricci saisit avec empresse ment cette circonstance pourrendre à l'institution que nous venons de nommer sa première destination avec la simpli cité qui en était la conséquence. L'hospice dontil s'agit était dans l'origine un lieu de refuge exclusivement; ses direc teurs l'avaient peu àpeu transformé en un véritablecloître. L'évêque de Pistoie rétablit les choses sur l'ancien pied, de manièrequelespauvres fillesqui avaientétérecueilliesdans cet asile, en sortaient quand elles trouvaient à se placer avantageusement dans le monde ou à se marier. La congré gation des nobles qui administrait l'hospice des abandon nées manifesta hautement son improbation ; elle-même, à la vérité, avait provoqué en partic les mesures dont elle se plaignait, mais elle finit par les trouver beaucoup trop radicales pour qu'elle n'eût pas préféré en revenir au vieil ordre de choses avec tous ses abus.

Le lecteur aura remarqué plus d'une fois que la plupart desréformes simalheureusementexpérimentéesparLéopold etparRicci, sont précisément cellesquefirentprévaloirun peu plustard l'assemblée constituanteet le clergé constitu tionnel de France. Elles étaient depuis quelque temps déjà préconisées en Allemagne, surtout par l'aristocratiecléri cale, par les prélats, qui ne tendaient qu'à s'affranchir de ladépendancedeRome. EnFrance,en Espagneeten Italie, ellesfurentsoutenuesparla démocratiedusacerdoce,parce qu'on a appelé le bas clergé, qui demandait, lui, à se sous traire à ses supérieurs immédiats. Nous le répétons, pour l'église commepourlasociété civile,c'étaitpartoutlamême question : chacun voulait monter d'un cran dans la hiérar MÉMOIRES DE RICCI . 13

CHAPITRE XXII.

Réflexions sur les réformes. Léopold s'arrête devant le mécontentement général. Abolition des confréries pieuses. Le patrimoine ecclésias tique.

150

Plus l'évêque de Pistoie était entravé dans ses réformes par les membres du gouvernement qui én redoutaient les suites,pluslegrand- ducl'entouraitd'uneconfianceillimitée, en l'investissantde pleins pouvoirs pour exécuter ses plans sans dépendre d'aucune des branches de l'administration . Lesagents del'autoritélui étaientdonc aussi contrairesque les opposants les plus déterminés; en d'autres mots, il avait tout le monde contre lui.

Ses ennemis profitèrent adroitement de la suppression des trois congrégations dont nous avons fait mention, sup pression qui allait être suivie de l'extinction définitive de toutes les confréries appelécs pieuses. Les prêtres de la Sainte-Trinité et ceux du Saint-Esprit donnèrent le signal de la résistance, en refusant les premiers d'obéir au gou relationsvernement.Léopold,d'unefaiblessecaractéristiquedanssesavecsesministres,quiparvenaienttoujoursàluifairecraindrecequ'ilsfeignaientdecraindreeux-mêmes, et ce qu'au besoin leur connivence avec les adversaires des réformesaurait facilementréalisé,Léopold céda: les décrets furentRiccisuspendus.nereculaitpasaussi facilement, et, voyantbienque >

chie exploitante, parce que personne ne croyait plus à une disposition providentiellequi l'auraitcondamné àdemeurer dans la catégorie exploitée. Le résultat inévitabledecet état général des esprits devait nécessairement être unerévolu tion plus ou moins générale dans l'état des choses. Cette révolution était plus prochaine qu'onne se l'imaginait; elle éclata, six ans plus tard, comme une tempête, et cette tem pête gronde encore.

151

sesprojetspour une meilleure distribution des revenus ec clésiastiquesneseraientjamaisexécutésdanstoutelaToscane,ilinsistadumoinspourqu'ilslefussentàPistoieetPrato, età traversmille difficultés etdes déboires de touteespèce, ilarrivaàsesfins. Romenesepossédaitplus: ellesentait bien que, réussissantdanslediocèsede Ricci, les mesures decet évêque,quel'opinion réclamait partout,etdont tous les gou vernements comprendraient sans peine l'utilité pour eux mêmes, s'étendraientpromptementà la Toscane entière, et ne tarderaient pas à envahir toute la catholicité. Aussi les presses pontificalesde Ferrare, de Foligno, d Assise et jus qu'à celles de Rome ne cessèrent-elles de répandre en tous lieux des libelles diffamatoires contre legrand-duc, dont on fit un autre Henri VIII, et contre Joseph II qui ne manquait jamais d'imiter ce dont son frère avait fait un essai plus ou moins heureuxdans ses états.Ricci,véritable boucémissaire dans ces tristes débats , devint aux yeux du peuple plus hérétique que jamais : les choses allèrent au point que les fidèles refusaient de chanterles litanies de Jésus dont il avait été l'introducteur, et que les livres de dévotion , répandus par ses ordres parmi ses ouailles, étaient publiquementdé chirés et jetés au vent dans les rues. Comme les autorités localesnemettaientaucun obstacle à cesmanifestations per turbatrices, le grand-duc, pour empêcher que les malveil lants ne passassent à la fin à des voies de fait contre le pasteur même , envoya à Pistoie un commissaire spécial, uniquement chargé de veiller à la sûreté personnelle de Ricci.

Cequ'ilavaitfaitétaitcependantfort simplectsefait au

152

Le grand-duc fit don au patrimoine ecclésiastique de Pis toie et Prato des biens des couvents supprimés. Il y ajouta ceux des couvents de religieuses, disséminées en petit nom bre dans plusieurs maisons, etqui furent toutes réuniesau couvent de Saint-Jean.

jourd'hui,en partiedu moins, et sans souleverdes plaintes, partout où des lois fondamentales ont réglé les rapports entre l'église et l'état. Le nombre des paroisses était réduit, mais les desservanls étaient mieux rétribués; le patrimoine ccclésiastique fit à chaque prêtre supprimé une pension équivalente à son revenu légal antérieur, et il remboursa intégralement tous les créanciers laïques des congrégations éteintes; les dots furent déterminées exactement et désor mais décernées avec décence et sans abus. Ce qui resta en caisse après ces opérations, savoir, environ dix-sept mille francs, futdestiné au maintien des filles pauvres. Et, toutes ces charges prélevées, huit millions et demi furent remis en circulation au profit du commerce et de l'industrie. Il fut strictement défendu aux curés, dont le salaire fut porté à mille sept cents francs, et aux chapelains, qui en reçurent la moitié, de rien exiger des fidèles pour officier et pour baptiser, pour marier et enterrer. Les cérémonies étaient tarifées, et le nombre des cierges à allumer, fixé irrévoà cablement.

CHAPITRE XXIII.

Projet de constitution pour la Toscane. Réflexions du sénateur Gianni à ce sujet. Dispositions préparatoires. Principaux articles de la constitution.

Ricci nous fait observer que l'établissement du système municipaldanstoutelaToscane avait fait une énorme brèche à l'ancienne prépondérance de la noblesse, et que le nou veau règlement en matière religieuse allaitla détruire com plétement, en portant le coup de mort à l'aristocratie de l'église,toujours prêteà s'entendre avec celle des priviléges politiquespourfaireplusdurement pesersur le peuple l'ex ploitation sociale. Notre évêque ne se doulait pas le moins du monde que l'exploitation du peuple avait été jusqu'alors le seul moyen de maintenir l'ordre dans la société, et qu tous les efforts de son prince ne pouvaient encore aboutir qu'à fonder le règne de la bourgeoisie,bienplusrapaceet à coup sûr moins généreuse envers le peuple que l'ancienne 13.

Nous avons copié le document dont il s'agit sur unma nuscrit signé par le sénateur François-Marie Gianni, qui l'a rédigé à Gênes (1805), où il vivait alors dans une retraite volontaire,aprèsavoir fidèlementservi la Toscanesous Léo pold, et sous le gouvernement démocratique que la peurdes armes françaises avait permis d'y substituer à celui de Fer dinand III, successeur du prince constituant.

Il trouve que la loi de Jésus-Christ est la scule constitu tion qui s'adapte à tous lespays, àtous les hommes; mais il nc démontre paspluscetteaffirmation, que Jésus lui-même 7 :

Gianni partageait les erreurs de son époque. Il avoue qu'une loi fondamentale ne doit pas être une uvre arbi traire; mais il oublie de déterminer les principes ou plutôt le principe d'où elle doit émaner. Il veutqu'elle convienne auxqualités physiques et naturelles du peuple pour lequel elle est formulée : c'est là du matérialisme pur, si ce n'est pas du non-sens.

154 > noblesse et que le clergé. Le temps n'était pas venu, et il nel'estpasplusaujourd'hui quesousLéopold,oùlepeuple, connaissant la limite de ses droits, saurait, en nelesdépas santjamais, les faire valoir pour ne plus les perdre. Nous n'en donneronspasmoinsdanscechapitre une idée des ré formes auxquelles Léopold attacha son nom , en rendant compte du projet de constitution par la réalisation duquel il se proposait de couronner son æuvre. Cette pièce appar tient, ilestvrai,plusdirectementàl'histoire du grand-duc, mais les idées en sont communes au prince et à l'évêque, qui fut, en toute circonstance et en toute chose, l'instru ment docile et dévoué de son maître.

Il critique avec raison les constitutions exclusivement ré publicaines; mais il ne dit pas que leur défaut capital, dans l'état actuel des connaissances acquises à la société, est de laisser celle-ci à découvert contre les agressions de l'anar chie, nécessairement en progròsaccéléré. Il n'est pas plus favorable au gouvernement absolu , seul remède dans les mêmes circonstances contre l'anarchie que cependant elle ne tarde guère à ramener plus menaçante et plus forte ; mais il néglige de faireressortirque c'estparcequel'emploi prolongé de la force devient impossiblc une fois que l'exa men libre s'est constitué en droit social.

n'a démontré l'obligation de se soumettre à sa loi , en la sanctionnant d'une manière incontestable pour toute intel ligence dans son état normal.

Lecandide sénateur ne voit de refuge que dans lamonar chie tempérée par une loi constitutive. Mais il ne s'objecte pas que, dans l'absence de tout critérium généralement accepté, une constitution est un chiffon de papier qu'in terprètent à leur guise, le roi s'il est le plus fort, et la re présentation nationalesi elleest plusforte que le monarque, et que le peuple déchire et fouleaux pieds,chaque fois qu'il se rappelle qu'il est à lui seul plus fort que tout le reste, et qu'il se flatte, après s'être débarrassé de ce reste, d'être moins malheureux qu'auparavant.

La constitution de Léopold date de l'année 1779.

155

Pour préparer de longue main les Toscans à s'intéresser aux affaires publiques et à y prendre part, le prince com mença par organiser dans ses états le régime municipal. Il institua les communes, et chargea les magistrats qu'il pré

156 posait à leuradministration, de la décision et de l'exécution de tout ce qui était réellement d'intérêt local. Il destinait ces magistrats à devenir plus tard le noyau des assemblées primaires.Lesénateur Gianni nous apprend que trois personnes, tout au plus, dans toute la Toscane, comprirent que cc n'était là qu'une pierre d'attente pour l'érection prochaine d'un édifice plus vaste.

Les communcs étant établies, Léopold affranchit l'in dustrie etle travail de toute entrave réglementaire, et ren dit la disposition des propriétés privées entièrement libre. Les corporations d'arts et de métiers urent abolies, avec lcursjuridictions et leurs tribunaux, leursstatuts et, en un mot, toute restriction quelconque mise à l'activité de l'in telligence dans son application aux choses non défendues expressément par les lois.

Il assura l'égalité devant la loi, en supprimant les privi léges des coursjudiciaires, les cxemptions et les préroga tives attachées à certaines classes et à certains individus. Les droits féodaux disparurent complétement, ne laissant der rière eux que des noms creux et de vains titres. Les fidéi commis et les substitutions par disposition testamentaire, furent abolis sans retour.

Le droit qui s'acquérait par le seul fait de la naissance à l'obtention de certaines magistratures, fut déclaré déchu : ces emplois , d'abord conférés par le grand-duc, furent bientôt dévolus à la nomination d'un jury spécial, sur les preuves de doctorat, de notariat, de pratique dans l'un ou l'autre tribunal, et du mérite personnel,

Abolition de tous les priviléges tendant à affermer les revenus de l'état. Le corps des financiers fut supprimé par le remboursement de l'indemnité stipulée en sa faveur pour le cas de rescision des contrats passés entre l'état et ces hauts fermiers.

Organisation d'une troupe civique.

Les immunités du clergé en fait d'impôt public furent abolics.

Le payement de la dette publique fut dégagéde toute cntravc gouvernementale. Il en résulta une grande simplifi cation par la mise en rapport immédiat des vrais créanciers de l'état et de ses débiteurs réels, la suppression de frais incalculables et d'un nombre infini d'employés, créatures et satellites des ministres, et enfin la facilité pour chacun de se libérer du payement des intérêts en remboursant le capital.

Organisation du pouvoirjudiciaire et des tribunaux, de manière qu'ils pussent fonctionner librement dans la suite sous l'empirede la constitution.

Toute acquisition et toute aliénation d'une propriété par des gensde mainmorte furent soumises, pour être légales, au consentement formel du souverain.

157

L'ordrede Saint-Étienne, réservéaux nobles,devait être supprimé, etson richepatrimoine affecté au payementdes troupes; on n'aurait conservé que la croix d'honneur pour servir de récompense aux officiers et aux soldats.

Plus d'emprisonnement pour dette. - Ferdinand III rendit aux créanciers leur ancien droit de faire incarcérer leurs débiteurs.

Institution dudomaine dela couronne,composédesbiens des Médicis et des acquisitions subséquentes , sous une

Léopoldavait voulu couper court à tous les abus que le pouvoir et ses agents peuvent faire de la dette publique au moyen des ténébreuses intrigues de l'agiotage, au grand préjudice des intérêts du peuple. Il avait préludé par là à l'article constitutionnel qui aurait dé endu rigoureusement de créer à l'avenir aucune dette publique. Ferdinand III arrêta également cette opération de l'amortissement de la delte.

Réforme radicale du code pénal, et principalement de celui de procédure. -- Cette réforme fut profondément dé naturéeparl'aviditédessuppôtsdela chicane, sous Léopold même, et bien plus encore à l'avénement de son fils.

Institution d'une administration des travaux de défense contre les inondations, afin d'empêcher l'égoïsme de quel ques-uns de nuire aux intérêts de tous; administration composée des intéressés seulement, et soustraite à toute influence du pouvoir.

- 158

Nouveau tarifdes droits de douanes, simple,clairet sur tout bref, pourles marchandises imposées toutes également à poids brut, sans obligation de déclarer par qualité et quantité. Suppression des droits de sortie. Abolition des droits communaux. L'armée des employés de haut et bas étage que cette mesure mit à la retraite, devint unmo tif d'opposition acharnée au gouvernement de Léopold. FerdinandIII rendit à la boutiquedu ministère des finances toutes les vieilles erreurs à faire valoir, tous les vieux abus à exploiter.

Lalégislation était l'auvre commune du souverain et de la nation.

Tout citoyen, âgé de vingt-cinq ans, jouissait du droit

Ordre de plaider publiquement les causes civiles devant les tribunaux, afin d'habituer les Toscans à raisonner leurs intérêts, à lesdiscuter età lesdéfendre, etde métamorpho ser des sujets timides et serviles devant le despotisme gou vernemental, en citoyens n'obéissant qu'à la loi librement élaborée et consentie par eux.

159

administration dépendant exclusivement duprince régnant. Le domaine de la couronne, soumis à toutes les charges publiques, ne jouissait d'aucune prérogative particulière. Cette disposition, si odieuse au ministère des finances, était déclarée article constitutionnel.

Lesprovinces étaientcirconscrites,non suivantleur gran deur ou leurpopulation, maissuivantl'analogiedes meurs et des habitudes.

Au souverain appartenait le pouvoir exécutif. Il était investi de l'autorité indispensable pourse faire obéiret du commandement de la force.

La nation était représentée par les assemblées commu nales, provinciales etpar l'assembléegénérale.

L'agrégation de plusicurs communes formait l'arrondis sement, au chef-lieu duquel se tenaientles assemblées pro vinciales, composées des députés des communes.

Cesactes préparatoires étaient destinés à rendre la consti tution nécessaire en la rendant possible. Voici maintenant quelles auraientété les principales dispositions de cette loi fondamentale.

La constitution mettait au nombre des lois fondamentales celle de maintenir une neutralité absolue, même envers les puissances barbaresques. Le gouvernement ne pouvait con tracter aucune alliance, offensive ou défensive, n'accepter la protection ou l'assistance d'aucun état étranger.

Une armée civique, et point d'autre. Pas de nouvelles forteresses; les anciennes devaient être dégarnies de toute artillerie.

Plus de dette, ni publique, ni provinciale, ni communale. Les dettes communales étaient payées par les communes d'après un règlement déterminé.

Le domaine de la couronne ne pouvait être ni aliéné, ni divisé, ni engagé hypothécairement. Et comme son revenu était insuffisant, une liste civile, à charge du trésor, y sup pléait. Etil était strictement défendu de jamais la majorer, sous prétexte de dotation, d'apanage , de frais d'entretien, oud'établissement des princes ou princesses.

Le territoire toscan était déclaré ne pouvoir être ni

160 de pétition à exercer devant les assemblées de sa commune pour des objets simplement locaux, devant les assemblées provinciales pour les objets concernant l'arrondissement. Les pétitions parvenaient ainsi au pouvoir exécutif, déjà discutécs, éclaircies, mûries.

Liberté entière du commerce, avec défense d'y porter jamais la moindre atteinte.

Les assemblées provinciales envoyaient chaque année, à époquefixe, leursdéputésà l'assembléegénérale, qui devait se tenir, d'abord à Pise, puis à Sienne, ensuite à Pistoic, enfin à Florence.

Les princes de la famille régnante et les princes étran gers étaient frappés d'incapacité pour jouir des bénéfices ecclésiastiques à la nomination du souverain, et pour occu perquelque emploi civil ou militaire que ce fût.

14

Le grand-duc avait le droit de faire grâce, bien entendu pour la commutation des peines afflictives ou infamantes exclusivement. Aucun recours en suspension, grâce ou abo lition, n'était admis en matière civile. « Si la loi n'est pas bonne, disait Léopold, il faut la réformer; si elle n'est pas claire, il faut l'expliquer; si elle n'est pas suffisante, il faut la compléter. Mais jamais par d'autres moyens que par la volonté générale, expression de l'opinion publique. Tant que la loiexiste, elle doitêtre appliquée, sans acception ni exception. »

La prérogative souveraine comprenait tout ce qui n'était pas réglé par la loi.

161

Les assemblées générales proposaient des lois, qui de vaientrecevoirla sanction du grand-duc. Celui-ci également

agrandini amoindri, ni échangé en partie contreun autre.

Les sentiments exprimés par ces nobles paroles sont dignes d'admiration, surtout pour l'époque où ils ont été manifestés spontanément par un prince absolu de fait et de droit, et que rien ne forçait à se dessaisir de sa puissance. Mais depuis plus d'un demi-siècle que nous voyons fonc. tionner les machines constitutionnelles, qui elles-mêmes ne font rien autre chose que dissimuler le despotisme de la majorité parlementaire, synonymedu principe de la force, plus ou moins brutale, on se demande, sans trouver de ré ponse, ce qu'on y a gagné. Poursuivons.

La succession au trône avait lieu dans la ligne masculine seulement, et le prince, à son avénement, devait accepter la constitution et s'engager à l'observer scrupuleusement.

Entre autres dispositions réglementaires pour la tenue des assemblées d'élection et de représentation, se trouvait celle d'incompatibilité de la qualité d'employé ou de pen sionnaire de l'état et de la nomination à la dignité de député.Lacommune de Livourne, offrant des différences de po sitionet d'intérêts avec lerestedu grand-duché, demeurait exclue des assemblées provinciales. Les pétitions de ses citoyensétaient transmiseset défendues à l'assemblée géné rale par un député qui n'y avait pointvoixdélibérative, La marine de guerre était supprimée; il ne restait que les postes de terre, et quelques barques servant au cordon sanitaire et au transport des dépêches. Tout cela était fixé et invariablement arrêté.

Le grand-duc avait la nomination aux emplois,mais les employéspouvaient êtredestitués parl'assemblée générale, unanime dans sa déclaration d'indignité.

162

Le compte des recettes et des dépenses était rendu publi quement,et sévèrementcontrôlé. Toute augmentation d'ap pointements, pensions ou gratifications avait besoin d'être accordée parle princeetl'assemblée générale,decommune , volonté.

présentait des projets de loi que la législature acceptait ou rejetait.

Ce que nous venons de rapportersuffitpour montrer que Léopold avait des intentions aussi bonnes et aussi désinté ressées que Ricci. Avant de continuer le récit dece que va lurent à cedernier celles qu'il parvint àmettre à exécution, disons un mot encore du grand-duc.

Contradictions dans le caractère du grand-duc Léopold. Madone qui pleure. Dispenses de mariage. Les communes frontièresdeToscane, soustraitesà lajuridiction desévêques étrangers. Décision relative au sortdes religieuses supprimées. -- Statistique des couvents de fillesen Toscane .

Léopoldd'Autricheétait unsinguliermélangededévotion routinièreet delibertédepenser, dejustice et de raison en théorie et de despotisme en pratique, d'unc apparente rigi dité de meurs et d'un relâchement réel dans sa conduite, d'une fermeté de volonté qui allait jusqu'à l'entêtement et d'une incertitude dans l'action qui dégénérait en versatilité et enfaiblesse. Donnons-en quelques exemples.

CHAPITRE XXIV.

164

Nous venons de le voir favoriser par tous les moyens en son pouvoir le développement progressifchez ses sujets de laliberté de penser et d'agir; montrons-le maintenant fai sant peser sur eux le joug avilissant du plus lourd et du plus incessant espionnage, et punissant avec la pédanterie d'un surveillant de collége, tantôt une intrigue de ruelle, tantôt une querelle de ménage, et jusqu'aux commérages les plus insignifiants. Nous avons dit qu'il abolit l'inquisi tionde la foi; ajoutons qu'il y substitua l'inquisition d'une police tracassière, qui signalait à l'indignation publique ceux qui, entre autres mé aits, négligeaient d'entendre la messe le dimanche ou de communier à Pâques. Les curés et leurs vicairesétaient tenusde faire au prince desrapports secrets surtoutcequi parvenaità leurconnaissance,princi palement desmystères de lavieintime. Leschoses en étaient venues au point que les Toscans qui, en dépitde ce qui se passait sous leurs yeux, croyaient encore devoir confier leurs secrets à un prêtre, se trouvaient forcés d'aller cher cher à l'étranger un confesseur non cnrôlé parmiles espions du gouvernement. Nous avons fait ressortir le zèle avec le quel Léopold s attacha à mettre la chasteté des épouses du Seigneur à l'abri des atteintes du libertinage des moines. Opposons à cela sa propre vie privée : marié et père d'unenombreuse famille, le grand-duc avait cependant des maîtresses, et une entre autres, nommée la Livia, qu'il garda jusqu'à sa mort. Il avait supprimé la peine de mort dans son code criminel; il n'en toléra pas moins, ce qui était le favoriser indirectement, le rapt de la fille naturelle dela grande Élisabeth, fille elle-même de Pierrele Grand.

14.

Veut-on notre jugement sur les contradictions que nous exposons? Le voici. Léopold d'Autriche, comme tous ses contemporains, comme les nôtres, ne savaitpas sur quel principe il devait régler sa conduite; il n'avait plus la foi requise pour soumettre sa conduite à la morale qu'impose la religion; il obéissait tantôt à un sentiment d'habitude, tantôtà ses passions qui l'entraînaient, au hasard des cir constances, aujourd'hui vers le bien, demain vers le mal, sans garantie aucunc pour l'avenir comme sans contrôle pour le présent. C'est l'histoire de tous les hommes, tant que dure l'ignorance sociale. Mais il est temps de ne plus nous occuper que de l'évêque Ricci.

En étendant au diocèse de Prato les réformesdéjà réali sées au diocèse de Pistoie, Ricci fit retirer de sa cachette et remettre à neuf une image en plâtre de la Vierge, à l'occa sion de laquelle il raconte ce qu'on va lire. Cette image, sous l'épiscopat d Alamanni, un jour qu'il faisait un brouil

165

EllehabitaitLivourne; lesOrloffla séduisirent,l'enleverent, et l'immortelle Catherine la fit étrangler. En outre, d'ac cord avec l'empereur Joseph II, son frère, ct ses deux seurs, les reines Marie-Antoinette de France et Caroline de Naples, Léopold fit renvoyer parle roi Ferdinandle minis tre Tannucci, dont l'intrigant Acton, le favori de Caroline, prit la place, ce qui amena dans la suite l'horrible domina tion de l'Autrichienne, secondéedans ses sanguinaires ca prices par une courtisane anglaise, devenue la femme de l'ambassadeur de la Grande-Bretagne et la maîtresse de l'amiral Nelson. Nous donnerons plus loin quelques détails sur ces scènes dégoûtantes.

lard ort épais, s'était, chez le plâtrier où elle se trouvait encore, recouverte de vapeur comme tout ce qui l'envi ronnait. Mais bientôt les gouttes s'étaient ramassées, et en découlant tout le long de la figure enluminée d'une épaisse couche de vermillon, y avaient laissé des sillons blancs que des paysans attroupés devant la boutique prirent pour des larmes. Aux cris de miracle! le vicaire épiscopal s'était rendu sur les lieux,avaitparprudencefaitenlever l'image, et avait donné ordre qu'on la transportât à l'église de la Vierge duLis, où elle fut enchâssée dans le mur de sépara tion entre le temple et la sacristie, et ne tarda guère à être oubliée. Ce fut là l'image que Ricci fit restaurer et surtout repeindre, afin qu'il ne restât pas la moindre trace de son prétendu miracle; après quoi il permit qu'elle fût re placée dans son cadre.

- 166 2

« Que n'a-t-on traité de la même manière, quelques an nées plus tard (1799), s'écrie Ricci à cepropos, la trop fa meuse madone d'Arezzo, qui servit de prétexte aux pillages, aux massacres et aux impiétés, qu'elle semblait prendre sous sa protection, et qu'on rendit ainsi complice des horri bles scènes qui ensanglantèrent, dévastèrent et déshonorè rent le sol de la Toscane? » Nous parlerons dans son temps de l'insurrection d'Arezzo.

Ricci eutbientôtde nouvelles disputesavecle saint-siége. Ce fut cette fois relativement aux dispenses des empêche mentsau mariage. L'évêque de Pistoie ne voulait pas êtrele premier å brusquer la cour de Rome sur ce point délicat. C'estpourquoi, un de ses diocésains se trouvant dans le cas d'avoir besoin d'une dispense, il s'était contenté de la solli

167 »

Il se tourna alors vers le grand-duc, qui s'empressa de lui con érer tous les pouvoirs du chef de l'état en pareille matière. Muni de cette autorité, le prélat n'hésita plus, et dans l'espace de cinq ans, il accorda de son propre chef, « pour motifs légitimes et sansaucunsfrais, » commel'avait ordonné le concile de Trente, trois cent dix-septdispenses, contre lesquelles la cour de Rome ne réclama point, du moins expressément.

Les principes de Ricci sur ce qui concerne le mariage étaient ceux des canonistes de son époque, et ces principes ont fini par être généralement adoptés, hormisparles par tisans exclusifs des anciennes prétentions de la cour de Rome. Le mariage, disait notre évêque, est un contrat dont la loi seule règlc les conditions; Jésus, sans changer sa nature, l'a élevé à la dignité de sacrement : la bénédiction nuptiale, cérémonie religieuse dont l'église a voulu qu'il fût suivi, peut, et pour lescatholiques doit êtrereçueaprès l'acte civil.

citer auprès du saint-siége au nom de l'impétrant. Mais celui-ci était pauvre, et l'infâme boutique, nous citons Ricci même, dont les livres imprimés et autorisés sous le titre de : Pratique (Praxis), par Ventriglia, Pirro Cor rado, etc., dévoilent les honteuses ressources, n'accorde ses faveurs qu'à ceux qui se présententles mains pleines d'ar gent (dummodo gravis ære sit manus). Ricci n'obtint pas même de réponse.

Ricci, avons-nous dit, accordaitses dispensesgratis, mais seulement lorsqu'il y avait en réalité des motifs valables pour les demander. Il refusa donc celles que sollicitaient

168

Léopold avait soustrait à la juridiction des évêques étran gers les communes de Toscane qui faisaient partie de dio cèses dont le siége se trouvait hors du grand-duché. Cette mesure ne donna lieu qu'à un avertissement adressé par le cardinal Gioannetti, archevêque de Bologne, à celles de ses ouailles qui allaient passer sous la houlette de Ricci, afin de les mettre en garde contre les mauvais livres répandus au diocèse de Pistoie. Ricci se plaignit avec douceur de ce procédé d'un ancienami, abonné lui-mêmeà la publication des mauvais livres contre lesquels il protestait.

Une autre affaire était moins facile à régler. Depuis la suppression de plusieurs couvents, des religieux, des reli gieuses surtout, rendus au monde, trouvaient fort durs à observer les veux qui les en séparaient. L'évêque de Pis

lesPiccioli, riche famille de négociants, qui ne s'appuyaient dans leur requête que sur de simples raisons de commerce etd'intérêt pécuniaire. Les Piccioli, en désespoir de cause, s'adressèrent à Rome, où, pour une forte somme d'argent, on ne fit aucune difficulté de les satisfaire. Mais Ricci tint bon, et la future, quoique enceinte, fut obligée d'aller se marier à Rome avant ses couches. Le grand-duc exila les époux, qui, ruinés et au repentir, se soumirent finalement à leur évêque. Ricci n'en voulait pas davantage; il obtint leur grâce de Léopold, leur accorda les dispenses néces saireset seules légales, les maria, comme s'iln'avait jusque là été question de rien, et légitima l'enfant qu'ils avaient eu, entre la bénédiction subreptice et obreptice, - c'est ainsi qu'il la qualifie,---qui leuravait irrégulièrement été donnée à Rome, et celle que lui-même leur donnait canoniquement.

- 169 toie, consulté par le grand-duc, fut d'avis que le prince no27-seulement pouvait, mais encore devait les séculariser. Il aurait voulu même qu'une loi réglát pour l'avenir la con. duite à suivre à l'égard de ceux dont la volonté avait évi demment étésurprise, pour leur faire prendre des engage ments dont ils ne connaissaient pas la portée. Mais cette décision fut ajournée. Léopold se borna å ordonner que désormais aucune fille ne serait reçue à prononcer des veux avant l'âge de vingt-deux ans, ct il défendit aux couvents d'accepter des dots, et à qui que ce fût d'en offrir. Mais, de peur que les famillesne fussentdisposées plusencore qu'au paravant, parcette diminution des frais ordinaires, à forcer leurs enfants d'entrer en religion, il détermina une aumône à verser par chacuned'elles, àchaque vêture, dans lacaisse de l'hospice de l'endroit, proportionnellement à ses moyens de fortune. Il est vrai qu'il avait aboli l'abus qui faisait exiger par les évêques un droit de voile, appelé même droit du sacrement de religieuse, lequel s'élevait parfois jusqu'à près de deux mille francs.

Il fallut cependant en venir, en dernière analyse, à dé terminerle mode futur d'existence des religieuses dont les couvents avaient été affectés à d'autres usages. On leur permit de choisir entre la vie commune et cloîtrée et celle des conservatoires : déjà les conservatoires avaient préa lablement subi une réforme, c'est-à-dire qu'on les avait rendus à leur première destination, celle d'être des licux d'asile, tenant le milieu entre la clôture et la vie ordi naire; les seurs qui les habitaient n'avaient point d'autre devoir à remplir, si ce n'est de donner aux jeunes filles,

---

170

sans distinction de fortune, les premières notions de la doctrine chrétienne et de quelque ouvrage manuel..

Un seul couvent, celui de Saint-Marcel, dans la monta gne de Pistoie, se conforma entièrement aux intentions de Léopold : aussi fut-il en butte aux persécutions de toute espèce sous le règne de son successeur. Ricci compare les religieuses de Saint-Marcel aux saintes vierges de Port Royal en France. L'évêque Toli, un des successeurs de Ricci sur le siège de Pistoie et Prato, lança contre elles, en 1808, l'accusation publique d'être orgueilleuses comme Luci er. Leur ancien évêque espère bien , dit-il, « que le grand Napoléon fera cesser ce scandale, et de son bras puissant purgera l'église des deux grandes plaies qui l'af

Les détails que Ricci nous fournit à ce propos sur les couvents de femmes en Toscane, contiennent des faits cu rieux que nous reproduisons. Le seul diocèse de Florence comptait cinquante de ces couvents, et leur revenu annuel était d'environ douze cent mille francs. Les autres diocèses ensemble en avaient cent cinquante et un, qui recevaient annuellement au delà de la somme susditc. Presque tout cet argent passait aux mains des prêtres, des moines et même des évêques; les confesseurs en titre en prélevaient la plus grosse part. A Florence seulement, il y avait mille neuf cent seize religieuses, et la Toscane entière, la pro vince de Sienne non comprise, cinq mille neu cent soixanteet dix.Florence, dont lapopulationétaitalorsd'un peu plus de la moitié de celle de Rome , comptait plus de couvents dans son enceinte que la capitale même du catho licisme.

171 -

fligent dans ses principaux membres, l'ambition et la cu pidité. »

Cette invocation, faite de bonne foi alors, doit sembler fort étrange, aujourd'hui que lebras puissantde Napoléon, quin'avaitpasrelevélecatholicisme, déjàdebouten France avant le concordat, et qui ne parvint pas à le soumettre à son despotisme, a fléchi sous d'autres bras plus puissants que le sien,et qui, à leur tour, n'ontpas tardé à éprouver le peu deforce réellede leur apparente puissance. L'ambi tion et l'avidité des prêtres, comme de tous, et la force faisant de l'ordre prétendu au jour le jour, ne céderont que devant la vérité, lorsque l'anarchie aura imposé aux hommes la nécessité de déterminer incontestablement la justice et la raison.

Nous avons rapporté plus haut que les innombrables confréries pieuses de laToscane avaient été remplacées par les confréries dites de charité. Cette réforme religieuse de Léopold est la seule qui ait été complètement abolie parson successeur. Aussi les confréries ou Trous (buche), dénomi nation empruntée aux chapelles souterraines où elles se auxréunissent,continuent-ellesàoffrirunspectaclefortbizarreétrangersquivisitentlaToscane.Celaneseraitpeut-êtrepasarrivésilepland'organisa tion proposé parRicci avait été adopté. Mais le ministère le modifia de tellesortequeRieci lui-mêmedemandaqu'ilne fût point étendu à son diocèse. Il avoue,et c'est beaucoup 15

Les confréries de charité. Indulgences. Ricci combat toute action temporelle de l'église sur l'état. Les omcialités. Salaire du haut clergé. Quêteurs des campagnes. Obstacles. - Faiblesse de Ricci. - Son puritanisme. Le serment desévêques. Cas de conscience.

CHAPITRE XXV.

pour un sectaire, que ses adversaires avaientpu trouver un prétexte d'opposition dans l'apparence de ba anisme qu of fraitson instruction pastorale pourla mise en pratique des constitutions nouvelles. Le lecteur sait que le ba anismeest la doctrine d'un docteur wallon, nommé Dubay, sur la quelle celle de Jansénius fut entée.

174 >

L'auteur des présentsMémoires a copié une inscriptionà peu près semblable, à Florence, dans l'église de la Santis sima Nunziata, en faveur de ceux qui diraientla messe å l'autel du Crucifix (1576).

Ricci avait pour but d'ôter à l'église toute action tempo relle,ce qui était la séparer de l'état et même de la vie active et pratique. Selon lui, c'était là l'esprit du chris tianisme. Quoiqu'ilen soit, il est certain que, si les choses avaient toujoursété considérées sous ce pointde vue,jamais il n'y aurait eu de société chrétienne. Pour nous,le prin cipechrétien,aprèsavoir,pendantplusieurssiècles,servide :

Ricci se consola de son échec par la propagation de ce qu'il nommait les bons livres, c'est-à-dire les livres jansé nistes. Il le faisait surtout pour éclairer ses diocésains contre les fausses maximes répandues alors même à Pistoie et à Prato, parles colporteurs d'indulgences. Et à cette ocà casion, il cite une inscription placée à Pistoie, au couvent supprimé des servites, portant, au nom de Grégoire XIII (1580), une indulgence plénière, applicable, par le prêtre qui célébrerait la messe à l'autel de l'Assomption, à l'âme d'un chrétien, mort en état de grâce, mais devant encore expier dans le purgatoire : le bénéfice de cette application coûtaitdeux francs et demi.

175

Les officialités (tribunaux ecclésiastiques), entièrement soustraitesàl'action civile, étaientencore envigueur. Ricci en demanda l'abolition sans réserve ni restriction. Les in trigues de la cour de Rome et la complicité du ministère toscan firent avorter ce projet, qui ne reçut d'exécution qu'à Pistoie et Prato. Dans les autres diocèses, on remédia à quelques abus par trop criants, mais la source d'où ils re naitraient à la première occasion favorable demeura ou verte comme auparavant.

Ricci ne réussit pas davantage à faire salarier le haut clergé, ainsi queles curés etles vicaires. Lesévêques pous sèrent unanimement un cri d alarme à la première propo sition qui en fut faite. A les en croire, ils allaient perdre

base à la société politique, a, comme tout principe ne rc posant que sur une hypothèse, sur la foi, cessé d'exister socialement.Sous le règne de Léopold,ce principe était déjà assez fortementébranlé pour qu'il fût devenu indispensable de le suppléer par des mesuresque le grand-ductâcha d'in troduire et que la révolution française, plus forte que les obstaclescontre lesquelsla volonté deLéopold s'étaitbrisée, pouvait seule consacrer. Oui, il fallait que l'église se pliat aux idées nouvelles et aux nouveaux intérêts de la société, mais dans son intérêt à elle exclusivement. Les gouverne ments pouvaientbien éclairer l'église à cet égard, mais ils devaient borner là leur sollicitude : après cela, ou le catholicisme aurait cédé pour continuer encore quelque peu à vivre, ou il se serait roidi contre la nécessité et ses partisans auraient disparu de l'arène sociale pourfaireplaceà deplus flexibles et par là même de plus habiles lulteurs.

Pendant que cela se passait, les dominicains renouve laient leurs intrigues pour ne pas se laisser entièrement oublier dans un diocèse où ils avaient été en quelque sorte les maîtres absolus. Ricci dénonça au grand-duc leurs Avis aux dévots à l'occasion des fèles du Rosaire et de celles

toute leur indépendance : Ricci leur réponditqu'ils ne per draient que le soin qu'ils avaientété forcés de prendre jus qu'alors de leurs revenus, ce qui nécessairement les avait détournés du soin qu'il était de leur devoir de prendre des intérêtsspirituels deleur troupeau. Les évêques cependant avaient raison : l'église salariée par l'état tombait sous la domination de l'état. Mais Ricci aussi avait raison, en ce sens du moins que, l'église étant devenue moins forte que l'état, il était naturel que, sous le règne de laforce, l'état s'emparât du patrimoine de l'église pour ne lui laisser que sa portion congrue , bien entendu encore quand elle péri tait de la recevoir pour les services qu'elle rendait au maître, monarque, noblesse, bourgeoisie ou peuple.

L'évêque réformateur exposa au grand-ducque l'impor tante amélioration qu'il avait réalisée en formantun patri moine ecclésiastique ne serait complète que lorsque les menses épiscopales en feraient partie, et que chaqueévêque recevrait une pension convenable. Mais l'opposition com mençait à se manifester trop vivement pourque le gouverà nement se hasardât à passer outre. Ce fut tout au plus si Ricci obtint d'aliéner une partie de la mense de Pistoie, pour laquelle il toucha une rente équivalente au revenu qu'il en retirait auparavant. Il se félicita d'avoir du moins par là donné un exemple utile qui serait suivi plus tard.

176

On comprend sans peine, qu ainsi entouré d'ennemis secrels, Ricci , qui aurait eu besoin d'une collaboration active et zélée, ne rencontrait jamais que de la tiédeur et des obstacles. C'est ainsi que, lorsque le secrétaire des droits de la juridiction s'enquit du chiffre du revenu nécessaire aux caisses ecclésiastiques, afin de suppléer aux dépens du trésor là où les revenus étaient insuffisants, il nereçut de réponse que de Ricci seul. Les autres évêques se bornèrentàsedirepauvresetincapables de semaintenir 15.

Surlesentrefaites, Seratti, secrétairedu grand-duc,était devenu ministre d'état. Rome s'en réjouit fort; elle comp tait bien mettre à profit l'ascendant qu'elle exerçait sur l'esprit de cet homme, ennemi naturel des réformes qu'il n'avaitpasinspirées,qui lui imposaientdestravaux extraor dinaires, et qui augmentaient l'influence d'un prélat dont il était jaloux. L'archevêque Martini était toujours prêt à seconder Seratti dans ses efforts de résistance, mais uni quementpar enviedu premier rôle que Ricci était naturel lement appelé à y jouer; car nul plus que lui n'était contraire à la politique romaine.

177 des douleurs de Marie, Ce fut le motifqui porta le gouver nement à défendre pour l'avenir toute publication d'in dulgences au moyen desquelles de fortes sommes d'argent étaient soustraites aux ignorants et aux simples,par les fourrageurs des campagnes, les quêtes des chercheurs, envoyés par les ordres mendiants, et les loteries de dots. Les dots, comme nous l'avons déjà dit, à charge désormais du patrimoine ecclésiastique, étaient distribuées avec dis cernement, convenance et utilité.

Il en était de même sur toutes les questions. Ricci s'était créé deux monstres pour les combattre : l un, le pélagiu nisme, cette consolante doctrine des jésuites, qui permet à l'homme de se croire au moins pour quelque chose dans ce qu'il pense, veut et fait; l'autre, l'hildebrandi me, ce sys tème despotique, il est vrai,mais unitaire, de GrégoireVII, sans lequel il n'y auraitjamais eu de christianisme comme principe social, qui, en un mot, avait été le levier de notre moderne civilisation , mais dont il ne restait plus que quelques vaines formules, dépouillées de tout sens positif pour la société, et un grand souvenir historique. L'évêque réformateur voyait ces monstres partout, et pour les mieux exterminer il ne cessait d'éplucher les livres qui servaient à l'instruction des jeunes clercs, et où il lui semblait en apercevoir l'ombre.Aucun de ses collègues, cela se com prend de reste, ne l imita dans ce puritanisme de sectaire, et le grand-duc fut assez sage cette fois pour ne pas venir à son aide au moyen d'une mesure législative. Ricci ut réduit à renforcer la dose de ses antidotes aux mauvaises doctrines, dans le recueil qu'il publiait. Il lui parut alors avoir découvert le véritable motif de l'opposition obstinée des prélats à la volonté du prince : c'était, selon lui, leur attachement scrupuleux aux devoirs que leurimposait le sermentprêté entre les mains du pape, dont le principal était de résister au gouvernement chaque fois que le gouvernement se montrait hostile aux préten

178 par eux-mêmes, comme faisait leur collègue de Pistoie et Prato. Ricci les convainquit facilement d'imposture et de mauvais vouloir.

Du serment prêté par les évêques, Ricci passa aux cas de conscience que les évêques s'étaient réservés, pour les absoudre à l'exclusion de tous autres confesseurs. Il fait rcmarquer à ce propos que, les papes ayant ravalé les évêques au rang de leurs agents secondaires, les évêques à leur tour s'étaient en quelque sorte indemnisés en usur pant de même sur les droits des prêtres et des curés. Cela étaitvrai. Mais tousles efforts imaginables ne pouvaientplus faire remonter les choses vers la source dont elles étaient issues. Le temps seul, c'est-à-dire le changementopéré dans les esprits, aurait rendu ce travail inutile, en circonscri vant rigoureusement dans un cercle fort étroit l'action du pape, des évêques et des prêtres.

179 tions de la cour pontificale. La prétendue découverte de Ricci n amena aucun résultat. Nous disons découverte prétendue, parce qu'en effetles évêques ne tenaient au pape et à ses prétentions que pour autant que c'était dans leur intérêt propre, et uniquement parce que c'était dans leur intérêt, et qu'ils n'observaient leur serment avec scrupule que dans le seul but de protéger cet intérêt qui s'y trouvait formulé. Elle n'eut aucun résultat, parce qu'il était impos sible d'empêcher les évêques dejurer obéissance au pape; il l'était exclusivement de punir les évèques qui n'obéis saient pas aux lois.

Les cas réservés continuèrent à demeurer en vigueur, et par exemple l'archevêque de Pise put seul, comme aupa ravant, relever des péchés de bestialité, de sodomie, de viol, de séduction, d'homicide volontaire et de faux témoi gnage, péchés placés sur la même ligne que ceux de faire

Les cas réservés variaient avec les diocèses. La sodomie, qui n'étaità Florencequ'un casordinaire, était spécialement réservée aux portes mêmes de Florence, à Fiesole. Rappe lons à ce propos que son altesse royale et éminentissime, lc cardinal Henri, duc d'York, vice-chancelier de l'église romaine, évêque de Tusculum (Frascati), et le dernier des Stuarts, avait, aidé du promoteur de son synode diocésain (un jésuite), inventé une nouvelle distinction entre les di verses espèces de ces péchés exorbitants dont il seréservait l'absolution ; c'était la sodomie avec des poissons mâles. Nousavonscru que la mémoire de cette singulière aberra. tion de l'imagination des casuistes, bien qu'étrangère à notre sujet, était digne d'être conservée. Elle rattache d'une manière bizarre les dernières extravagances de la théocratie sacerdotale à l'un des derniers représentants des extravagancesde la légitimité monarchique.

180

gras pendant les jours maigres, de cohabiter avec lesjuifs, de blasphémer, et, ce qui est bien plus fort, de couper du bois dans les forêts appartenant à l'illustrissime et révé rendissime monseigneur.

Chicanes tendantesà ruinerle patrimoineecclésiastique. Intrigues con servatrices. Rachat des charges de messesetde prières.

CHAPITRE XXVI.

Les ennemis de Ricci sentaient fort bien que toute sa force dépendait du maintien de son patrimoine ecclésiasti que : cetteinstitutionmanquant, toutessesréformesétaient compromises. Ilsavaient d'abord essayé de fairecroire que l'évêque lui-même en hâtait la ruine en l'épuisant par ses nombreusesbâtisses; puis ils lui demandèrentd'en distraire cnviron soixante-huit mille francs pour suppléer à ce qui manquait au diocèse de Pise. Ricci fit ressortir auprès du grand-duc la contradiction qu'il y avait entre ces deux moyens de le perdre, et il en prit occasion pour dévoiler les ressources de l'archevêque de Pise, dontla mense était beaucoup plus considérable que la sienne. Il attribue, comme de raison, toutes ces persécutions aux intrigues

fait que difficilement une idée de l'interversion des rôles que produisit souvent cette guerre, tantôt ou. verte et brutale, tantôt pateline et ténébreuse. En voici un exemple : Talenti, mauvais médecin de Pistoie, mais intri gant audacieux, avait insulté publiquement le curé Bartolo qui, prétendait-il, avait administré trop tôt l'extrême onction à un malade. Talenti, ancien amant de la Corilla (Corinne), l'improvisatrice récemment couronnéc au Capi tole, étaitaux gages de la cour de Rome, qui le soutint en cettecirconstancecontreson évêque, pendantquele grand duc, à la demande de celui-ci, forçait le docteur à faire agréerses excusespar le curé.

182

diaboliques lc mot y est de la cour de Rome, dont les émissaires et les satellites excitaient précisément alors à la rébellion les sujets de l'Autriche en Belgique, en Alle magne et en Italie, contre Joseph II et contre son frère Léopold.Onnese

Ricci avait à cæur de soulager la conscience de ses dio césains desscrupules qui les obsédaient, à cause des chargesà de messes et autres offices religieux qui grevaient la plu part de leurs propriétés. A cet effet, il leur permit de se libérer moyennant une rétribution en argent destiné à la réédification de l'église de Saint-Marcel dans la Mon tagne, dont les chapelains et les plébans auraient le devoir de prier pour tous lesbienfaiteurs du patrimoine ecclésias tique. Cela s'appelait composer, et était tout à fait dans les habitudes de la cour de Rome, mais n'avait jusque-là eu lieu qu'avec cette cour seule et exclusivement à son profit. Qu'on juge des clameurs qu'y excita la mesure introduite

183

par Ricci, composant de sa propre autorité et disposant de la taxe composée.

Cette mesure en inspira une autre à Léopold. Il essaya d'abolir les bénéfices simples, patrimoines des clercs igno rants, scandaleux et sans vocation. Des enfants pauvres, élevés pour être prêtres et forcés plus tard de se faire pré tres, parce qu'on neleur avaitenseigné que ce métier, trou vaient dans les bénéfices simples de quoi su fire à leur misérable entretien, aussi longtemps qu'ils étaient capa bles d'officier. Mais, réduits à l'impuissance, soit par l'âge, soit par les infirmités, ils mouraient de faim, comme l'ou vrier hors d'état de travailler pour se nourrir. Tous les efforts du grand-duc pour faire disparaitre cet abus furent infructueux.

Mancini, évêquede Fiesole, fut le premier à obéir; mais il le fit si maladroitement ou si malignement, que Ricci, consulté par le grand-duc, démontra l'impossibilité de laisser paraître, tel qu'il était rédigé, le mandement de convocation du prélat. Mancini corrigea cette pièce, et le ministère approuva sans réserve cette seconde édition du mandement épiscopal. Mais Ricci ne lejugea pasaussi favo MÉMOIRES DE RICCI .

CHAPITRE XXVII.

>

Synodes diocésains. - Un mandement d'évêque, supprimé. Réflexions. Articlesde réforme,soumis aux évêques. Léopold, théologien. 11 estaccusé de toutepart. Visites diocésaines.-Neuvaines nocturnes. Garde-robedupatrimoine ecclésiastique.

Afin de mettre, autant que possible, de l'ensemble dans l'impulsion réformatrice qu'il voulait donner à l'église de Toscane, Léopold fit inviter tous ses évêques à tenir au moins unsynodediocésain tousles deux ans,afin de signa lerles abuset d'y chercher un remède.

16

186 >

rablement ; l'ayant déclaré, malgré ses amendements, plus dangereux encore qu utile, l'évêque de Pistoie réussit à le faire supprimer tout à fait par le grand-duc. C'étaitpour Ricci un ennemi de plus en plus acharné. Mancini avait évidemment été mis en avant, à son insu peut-être, par les adversaires de toute espèce de change ment, nécessaireou non, bon ou mauvais. Son mandement signalait comme modèle pour tous les synodes à célébrer, celui tenu dans le temps par l'évêque Strozzi, lorsque les maximes de lacour romaine avaient encore quelque valeur. Excommunications latæ sententiæ, c'est-à-dire sansmoni tion préalable, peines pécuniaires prononcées parl'autorité religieuse contre des laïques, bulles In coena Domini, Superdominicamgregem , Unigenitus et autres, soutenant les prétentions du saint-siége devenues les plus insoutena bles, en étaient les principes fondamentaux. Le grand-duc ne pouvait pas admettre ce manifeste rétrograde; il fut accusé, en le rejetant, de ne vouloir de synodes que ceux quise conformeraiententoutàsesopinionset àses désirs; end'autrestermes, denepasvouloirdesynodes du tout, du moinsdesynodes libresetparconséquentdignesdecenom. Cela était vrai et devait nécessairement l'être. Une fois la discussion des opinions et des croyances affranchie de toute compression, leséglises nationales ou plutôt gouvernemen tales devenaient aussi absurdes qu une église universelle. Car la discussion met bientôt au-dessus de tout doute rationnel, que le pouvoir civil peut se tromper comme le pape; que ce que veulentles princes et les majorités, c'est uniquement leur plus grand avantage, ainsi que le pape

187

voulait le sien, ce qui ne constitue jamais que des inté rêts soutenus par laforce, et non des vérités imposées par la raison. La raison seule, démontrant incontestablement quel est l'avantage de tous, a désormais le droit de s'im poser elle-mêmecommedevant confondre l'étatavecl'église en organisant la société.

On était en 1786, c'est-à-dire à la veille des révolutions qui, comme une trombe, allaient parcourir la Belgique, la France, l'Italie, l'Allemagne. Le grand-duc proposa par une circulaire à ses évêques plusieurs points de réforme, sur lesquels il appelait leur attention, leur donnant six mois pourréfléchir avantde répondre; ces points seraient, après cela, débattus au concile national. Les évêques répondi rent à Léopold, mais sous la dictée du pape. C'était une petite guerre de théologien à théologien, entre le princeà réformateur et le prêtre couronné. Ricci exalte beaucoup l'érudition ecclésiastique de son maitre, qui forçait la cour de Rome à lui disputer pouce à pouce le terrain qu'enva hissaient la discussion et le doute universel. Nous pensons au contraire que sa théologomanie aurait fini par donner gain de cause à la cour de Rome qui se défendait chez elle et avec sesarmesaccoutumées, si l'heurene fûtvenuepour elle de faire place à d'autres idées et aux intérêtsdont elles étaient le germe.

Léopold n'avaitqu'unseulmoyen devaincrelepapedans ces débats en le réduisant au silence; c'était delui dire : « Lorsque les peuples chrétiens reconnaissaient tenir de vousseull'ordreavecl'unité, parcequevousseulétiezcensé posséder et pouvoir interpréter infailliblement la vérité, 1

Le grand-duc avait été accusé d'irréligion lorsqu'il avait diminué lenombredesprêtres,tropconsidérable selon lui; on leblâma comme impolitiquelorsqu'ilaugmentale nombre des paroisses en plaçant un curé partout où il crut qu'il pouvait faire du bien. A cette occasion, Ricci visita de nouveau la Montagne, où le besoin de cures se faisait sentir le plus vivement. On tenta de l'y faire périr dans un guet apens. Ce fut après cette tournée dans laMontagne que le

488 > :

vous étiez tout-puissant et deviez l'être ; devenu exclusive mentle chefd'unesectechrétienne,sans prépondérance ra tionnelle là même où elledisposede la force, de la majorité, vous n'êtes quelque chose aujourd'hui que pour ceux qui, partageant vos doctrines, se soumettent volontairement à vos lois : les peuples se font chacun leur unité et l'organi sent comme il leurplaît.Ne troublez pascelle delaToscane. A cette condition,je vous laisse une autorité pleine et en tièresurceuxqui croienten vous;cenesontpasmesaffaires. Je veillerai seulement à ce qu'ils ne cessent point de re connaître mon autorité; cela nous regarde, eux et moi. » Il aurait, dans ce cas, laissé les jansenistes injurier les jé suites, et Rome se défendre contre Ricci; le temps, entrai nant les uns et les autres, aurait fait oublier ces oiseuses querelles. Il avait assez à faire pour résister au despotisme révolutionnaire dont la force brutale menaçait la force hy pocrite de son despotisme conservateur. L'anarchie pro gressive n'avait nullement besoin que lui aussi joignit ses efforts à ceux de tous pour bouleverser le monde un peu plus profondément et un peu plus tôt. Continuons à enre gistrer les faits.

En attendant, Ricci allait toujours droit devant lui, sans regarder en arrière, et renversant tous les obstacles que ses adversaires dressaient sous ses pas. Il avait un avantage inappréciable sur ses ennemis, c'était l'amitié et la protec tion du prince; en outre, il étaitindépendant par lui-même sous le rapport de la fortune. Il en profitait pour faire ses visites diocésaines avec simplicité, à la vérité, mais aussi à ses frais, tandis que ses collègues ruinaient les curés chez lesquels ils allaient s'établir avec leur fastueux équipage et une suite nombreuseque le pauvre prêtre devait régaler et combler de présents. Les visites de Ricci ne lui coûtaient par an que la somme que ses collègues faisaient dépenser à chaque curé pour un seul repas.

16.

Poursuivant la réforme des abus, l'évêque de Pistoie abolit les neuvaines de nuit, qui étaient devenues une source de désordres.

189 9 grand-duc, enthousiasme de ce que l'évêque de Pistoie avait fait pour le seconder dans ses réformes, le présenta à sa sæur, Caroline d'Autriche, reine de Naples, et à Ferdi nand, son mari. Celui-ci interrogea Ricci sur ce qu'il avait à faire chez lui pour imiter son beau-frère, le docteur, c'estainsiqu'il qualifiait Léopold : l'évêque fut heureux de pouvoir le lui indiquer, et en outre de pouvoirlui nom mer les principaux d'entre les Napolitains, hommes d'in telligence et de caractère, qui l'auraient puissamment aidé de leurs lumières et de leur patriotisme. Ces hommes fu rent précisément les premières victimes que les royaux époux firent immoler lors de l'atroce et stupide terrorisme monarchique de 1799.

Puis il annexa au patrimoine ecclésiastique de son diocèse une garde-robe où il fit déposer les ornements qui avaient appartenu aux couvents supprimés , afin que toutes les églises de Pistoie et Prato pussent s'y fournir selon leurs besoins. Le grand-duc étendit aussitôt cette institution à toutelaToscane. Mais les intrigues habituelles firent bien vite avorter les bonnes intentions du prince et du pasteur: c'était toujours au patrimoine ecclésiastique que les ennemis des réformes en voulaient le plus, parce qu'il soustrayait les évêques à la dépendance de la cour de Rome, et qu'il les soumettait aux lois de leur pays. Ils réussirent dans tous les diocèses, celui de Pistoie et Prato excepté, à empêcher le bien que cette institution aurait produit en Toscane; ils entravèrent dans ce dernier diocèse la marche régulière des choses, mais sans cependant parvenir à l'arrêter entiè rement.

190

!

On auraitpuluiobjecter que, conservantun dogme quel conque, c'est-à-dire une opinion dont la vérité n'est pas démontrée incontestablement, son prétendu redressement n'avait pas plus de valeur aux yeux de la raison que l'er reur prétendue du papeetde ses adhérents n'enmanquait. La seule erreur capitale à redresser était celle professée jusqu'alors, et qui consistait à accepter comme vrai ce qui

Nécessité de démontrer désormais à la société ce que la société a cessé de croire. Ricci combat lejésuitisme. Le bréviaire. Machinations. Synode de Pistoie. Opposition. Duplicité de la cour de Rome. Réponsedes évêques au grand-duc. Assembléepréparatoire au concile national.

Nous avons déjà vu que la réforme du culte n'était pas ce qui importait le plus à l'évêque de Pistoie et Prato; ilà s'attachait plus spécialement encore à ce qu'il appelait le redressement des idées erronées sur le dogme.

CHAPITRE XXVIII.

Ce fut à la pénitence et aux indulgences, corrompues par les maîtres d'une fausse doctrine (les jésuites aux yeux de Ricci), que l'évêque s'en prit cette fois. Les disciples de saint Augustin et de saint Thomass'étaientopposésau mal, nous dit-il, et ses prédécesseurs, Alamanni et Ippoliti, avaient fait beaucoup d'efforts pour le déraciner. Mais il restait encore à faire après eux , et Ricci l'entreprit sans tarder, avec l'aide du canoniste Palmieri qu'il fit venir de Gênes tout exprès, et qu'il attacha à son église cathé drale.

Puis il expurgea le bréviaire, en faisant disparaître des leçons ce qui le choquait le plus. Ses amis, les jansénistes de France, auraient voulu davantage. Mais il sacrifia à la prudence, en cette occasion, etréserva ce qu'ilnejugeapas opportunpour le moment, à la célébration de son synode diocésain.

ne pouvait être néanmoins affirmé que comme hypothé tique. Les catholiques, les chrétiens de toutes les sectes, les révélationnistes de toutes les écoles, n'avaient garde de s'élever à cette hauteur.

EN

192

Rome trouva alors un nouveau moyen de le vexer : elle se fit adresser des prêtres censés appartenir au diocèse de Pistoie et Prato, et qui se plaignaient des dilapidations de leur pasteur, de la profanation des reliques et des images, des erreurs qu'il faisait répandre, du dénûment dans le quel il les laissait, parce qu'ils refusaient de se faire ses complices. Le pape, se donnant l'air de les repousser, les renvoyait au saint-office, pour faire plus de bruit. Le grand-duc, à qui on fit part decette machination, ordonna

9

Le synode de Pistoie s'ouvrit le 18 septembre 1786. Commec'étaitl'acteleplus éminentde son pontificat,ctcelui qui devait sanctionner tous les autres, Ricci s'était entouré des lumières des hommes les plus renommés dans la secte à laquelle il appartenait. Le professeur Tamburini, janse niste et régaliste célèbre de l'école de Pavie , était le pro moteur de l'assemblée; le chanoine Palmieri disposait les matières à traiter; Fabius de Vecchj, de Sienne, et l'abbé Tanzini, de Florence, en étaient les colonnes. Le concile comptait deux cent trente-quatre membres, dont cent soixante etonze curés, quatorze chapelains, autant de cha noines, et trente-trois prêtres séculiers et réguliers. Rome n'osa pas élever la voix, elle se borna à pousser avec plus de vigueur que jamais la guerre ténébreuse qu'elle ne cessait de faire à tous ceux qui travaillaient à la combattre, en mettant au grand jour l'inapplicabilité de ses anciennes > 2

1939

à son ministre à Rome de poursuivre les imposteurs. La division allait croissant en Toscane entre les catho liquesanciensetlesmodernesjansénistes.Déjàon entendait parler de refus de sacrements, comme en France. L'arche vêque de Florence se prêtait volontiers à ces menées de sacristie; il les excitait même, notamment à Prato, sa ville natale, où des chanoines et des prêtres, séduits par son influence, professèrent ouvertement des principes opposés à ceux que leur évêque voulait faire prévaloir. Le but principal de cettelevée deboucliers était le désir d'em pêcher la réunion de l'assemblée diocésaine que le saint siége redoutait au-dessus de toute chose, et dont rien ne put détourner le zélé pasteur.

Après la récitation dusymbole de Pie IV, on mit immé diatement sur le tapis la matière si controversée de la grâce et de la prédestination, ainsi que celle des fondements de la morale chrétienne. Quoiqu'il y eût liberté entière de discussion, cependant les opposants refusèrent constam ment, non-seulement de signer les résolutionsprises parle synode, mais encore de donner le moindre éclaircissement sur le motif qui les portait à se séparer du corps de l'as semblée délibérante.

Lasixième session fut consacréeau mariage, dont Léo pold fut prié de réglersouverainement toutes les conditions comme contrat civil, matière du sacrement dont la consé cration religieuse, sous la forme de bénédiction nuptiale, était la seule cérémonie qui fût du ressort de l'église. Le concile chargea également le prince de porter remède aux abus qui naissaient de la trop grande fréquence des scr ments et du nombre excessif des fêtes, et à ceux qui tien nent à l'organisation des ordres réguliers.

Le grand-duc était journellement instruit de ce qui se passait au synodeetl'approuvait au plus haut degré; Rome l'était également, et elle ne négligeait rien pour semer la zizanie et faire naître des troubles dans l'assemblée. Elle avait pour cela plusieurs brouillons gagés à ses ordres, et entre autres l'abbé Marchetti, d'Empoli, qui, plus tard, cer tifia authentiquement le clignotement d'yeux des madones italiennes, hostiles à la première invasion du général Bona parte; qui fut ensuite nommé gouverneur du fils de la

194 . > maximes et l'anachronisme de ses prétentions d'autrefois, renouvelées de nosjours.

Ricci y voyait plus clair que lui en cette rencontre : il fit part au prince de ses craintes relativementaurésultat d'une :

Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que Ricci, ayant rendu compte à Rome, dans son rapport triennal, de la te nue du synode de Pistoie, ne subit aucun blâme dela part du saint-siége, qui cependant, sur la dénonciation et à la demande de la noblesse de Pistoie, faisait diffamer cesynode de toutes les manières et partout.

Mais il ne tardaguèreà êtredésabusé. Lesréponses qu'il reçut aux cinquante-sept points qu'il avait soumis aux évêques, étaient en général contradictoires entre elles, pleines de réticences, de tergiversations et de doutes, et ne se rattachaient les unes aux autres que dans un sens, celui précisément qui témoignait d un dévouement unanime au saint-siége, quelles que fussent sa doctrine et ses préten tions. Léopold n'en persista que plus résolûment dans son projet de concile national, dont la réalisation, pensait-il, aurait forcément mis un terme aux intrigues pontificales.

195 reine d'Etrurie, et enfin prêcha les missions dans Rome après la retraite définitive des Français. Léopold le fit chasser de Pistoie.

Peu après, Ricci adopta pour l'instruction religieuse des enfants de son diocèse le catéchisme de Montauzet, et son exemple fut suivi par Sciarelli, évêque de Colle, par Pan nilini, évêque de Chiusi et Pienza , et par Alessandri , évêque de Cortone. Cettecirconstance permit augrand-duc de se flatter, avec quelque apparence deraison, quepeu à peu son haut clergé finirait par marcher d'accord dans la voie qu'il lui traçait.

196

Sur ces entrefaites, la menace de créer une congrégation de cardinaux pour examiner lesactes du synode de Pistoie aussitôt qu'ilsauraient paru, en faisaitretarder la publica tion ; ce dont Rome profitait adroitement pour faire ré pandre le bruit que Léopold lui-même désapprouvait ce synode, et refusait en conséquence son exequatur, indis pensable à l'impression demandée. Le prince fut réduit à écrire à son évêque favorique, s'il croyait devoirdifférer la publication des actes du synode de Pistoie, c'était exclusi vement pour des motifs de circonstance , qui ne pouvaient impliquer aucune désapprobation de sa part ni le moindre blâme.Etpourleprouver,legrand-ducnetarissaitpasdans sa leltre en témoignages d'estime et de satisfaction qu'il autorisait le prélat à communiquer à qui bon lui sem blerait.

L'assemblée des évêques dont la mission était de prépa rerletravailà soumettreau concilenational, futconvoquée pour le 23 avril 1787, par une lettre qui en indiquait le but , savoir : « L'avantage de la religion, la réforme des abus dans la discipline, la détermination de principes purs pour servir de base à l'instruction du peuple, l'institution d'études raisonnables pour la formation d'un clergé utile, l'unité de doctrine , et enfin la concorde entre les fidèles avec la paix. »

assemblée, composée d'évêques qui n'avaient de commun que la haine de ses réformes, et réunie à Florence même, dont l'archevêque était secondé par tous les agents du pou voir dans son opposition systématique à toute espèce d'in novation,

2

197 mmun neme, pou l'in Lionbie a ritdisré. erla usi ndreient Hans

Les évêques, pour ne pas trop offenserlegrand-duc, s'é taient, dans leurs réponses écrites, donné l'apparence de vouloir tout concilier. C'est ce qui avait trompé Léopold. D'autre part, ils étaient eux-mêmes trompés sur les inten tions de Léopold; car on les avait induits à se figurer qu'ils avaient été appelés pour juger, en d'autres termes pour condamner Ricci , et pour abolir les réformes en discus sion. Martini dirigeait cette cabale, fondée sur l'ignorance et fomentée par la mauvaise foi. Tous les évêques, hormis ceux de Colle et de Chiusi, les seuls qui n'évitassent pas qu'il em Epa uée tle 2 des urs Lionile,Eles

Tout cela est ort sonore comme phrase, aussi longtemps qu'on ne cherche pas le sens précis et rationnel de chaque expression, afin de n'en faire éclore que des propositions irréprochables; mais toutcela s'évanouitcomme une ombre devant la considération qu'il n'y avait alors, comme il n'y a encore aujourd'hui, - nous l'avons ditplus d'une fois, et nous ne croyons pouvoir assez le répéter , que des opi nions, chacune dépourvue des preuves indispensables pour écarter toutes les autres; que par conséquent l'opinion du grand-duc, d'accord avec celle de Ricci, quand bien même elle eût eu pour appui l'opinion du clergé el du peuple toscan réunis, n'avait pas plus de droit à se prétendre con forme à la raison démontrée,que ne l'avait ladoctrine pro fessée par le pape, par sa cour, et par tous les catholiques qui lui étaient demeurésaveuglément soumis. La confusion des esprits et des consciences, c'est-à-dire la théorie de l'a narchie, avait seule quelque chose à gagner dans unelutte à ciel ouvert, où la vérité, inconnue à tous, n'était réelle ment invoquée parpersonne.

17

- 198

>

leur collègue de Pistoie,se groupaient autour de l'arche vêque de Florence.

Dèsl'ouverture de l'assemblée, les évêques témoignèrent publiquement de leur mauvais vouloir, en imposant le si lence aux théologiens du gouvernement,auxquels ils di rent : « Nous sommes les maîtres ici;vous n'êtes que les disciples. »

Le recueil des actes de l'assemblée de Florence forme sept volumes in -quarto. Nous en donnerons unelégère idée au chapitre suivant.

CHAPITRE XXIX.

Statistiqueecclésiastique de laToscane.-Marcherétrogradedel'assemblée des évêques. - Quelques-unes de leurs réponsesau gouvernement.

Les archevêques La Gherardesca, Incontri et même Mar

L'abbé Réginald Tanzini, quifut chargé de publier tout ce qui concernait l'assemblée ecclésiastique de Florence, entre en matière par un triste tableau de l'ignorance et du bigotisme sous lesquels le clergé toscan se trouvait, pour ainsi dire, abruti avant le règne de Léopold. Et ce clergé formait une partie notable de la nation, quand surtout on considère la domination qu'il exerçait sur tout le reste : or, en 1784, on comptait en Toscane, entre séculiers,réguliers, religieux et religieuses, le nombre effrayant de vingt-deux mille deux centsoixante-huit individus, uniquement cons crés à faire tourner le culte à leur profit d'abord, puis au maintien de l'omnipotence romaine.

tini, avaient amélioré autant qu'il dépendait d'eux ce triste état de choses à Florence; Alamanni, Ippoliti et surtout Ricci firent de même, et firent plus, à Pistoie et Prato : les évêques de Colle et de Chiusi s'efforçaient de marcher sur leurs traces.

200

Il vasansdirequelesaméliorationsopéréesfurent, selon l'abbé Tanzini, exclusivement dues à la propagation des écrits jansenistes de France.

Le grand-duc avait ordonné que, à l'assemblée ecclé siastique,lesdécisionsfussentprisesà l'unanimité. L'assem blée, dont les cinq sixièmes se rangèrent, dès la première session, sous le drapeau de l'opposition, décréta qu'elle déciderait à la majorité des voix. Elle décréta également contre l'opinion du prince, ainsi que contre la pratique des apôtres et de toute l'église primitive, que les prêtres n'auraient de voix que consultativement. Puis l'usage de la langue vulgaire pour l'administration des sacrements demeura suspendu jusqu'à ce que les fidèles y eussent été préparés. Finalement, les évêques décidèrentqu'ils deman deraient au pape de pouvoirrentrerdans leur droit d'accor der toute espèce de dispenses.

L'unité de doctrine et d'enseignement souleva une tem pête. Le grand-duc et ses trois évèques fidèles voulaient que saint Augustin fût pris pour régle; l'opposition n'y consentitqu'à condition que saint Thomasen serait l'inter prèteobligé. OrsaintThomas avaitlui-mêmeété interprété dansle sens desjésuites,surtout depuis que ceux-ci faisaient cause commune avec les dominicains. Dans cette discussion, saint Augustin fut traité de déclamateur et de tête chaude,

qu'il ne fallait ordonner que des prêtres instruits et pas plus que de nécessité ; mais l'oppo sition voulut demeurer maîtresse absolue de juger la capacité des ordinands et de limiter leur nombre. Il ne fut pas même possible de diminuer celui du clergé eugénien, chargé du service de la cathédrale de Florence, et qui, de trente-trois clercs qui le composaient jadis, était monté à cent cinquante, ni de débarrasser ce clergé des enfants de cheur, « cette pépinière de petits vauriens, » disait le prêtre Longinelli qui avait été leur directeur.

201 et saint Thomas accusé d'avoir obscurci saint Augustin, de manière à donner lieu à toutes les disputes quisuivirent sonLesenseignement.évêquesconvinrent

Léopold désirait qu'on abolit le prix des messes; l'oppo sition décrétaque chaque évêque réglerait ce point d'après les besoinsdeson clergé, c'est-à-dire selonsonbon plaisir. Il désirait aussi la suppression des oratoires et chapelles privées, dont le privilége était accordé à la richesse, qui n'est pas un mérite aux yeux de Dieu : les opposants con: sentirent seulement à ce que, pour y officierles dimanches et jours de fête, il faudrait dorénavant l'autorisation de l'ordinaire,

Nous ne rappelons que pour mémoire la puérile discus sion sur les petits rideaux ou manteaux (mantellini), dont on couvrait les images. L'opposition ne permit pas sans peine qu'on dévoilât les moinsvénérées.

On parla du trop grand nombre de messes anniversaires et de messes en général. Une fois l'aumône la messe admise, rien naturellement n'avait été négligé par les pour

17 .

L'évêque de Chiusi etPienza avait, dans le temps, publié une instruction où se trouvait l'affirmation jansénienne

On parla également à l'assemblée des évêques de l'indé cence qu'il y avait à célébrer plusieurs messes à la fois dans une même église; des querelles que soulevaient dans les sacristies les concurrents qui se présentaient pour les dire; de l'application de la messe dite, à tel ou tel fidèle, vivant ou mort; des priviléges attachés à des autels, à des prêtres, à des jours déterminés, etc., etc. Mais on ne parvint pas à rien décider, car on ne s'entendit sur rien.

prêtres pour multiplier à l'infini les messesà dire, et les moines, en offrant aux fidèles, tantôt un saint particulier, tantôt une nouvelle relique, tantôt une image miraculeuse ou quelque autre objet propre à stimuler la dévotion, les accaparèrent presque toutes. Il en résulta que bientôt les religieux furent hors d'étatde dire toutes les messes qu'on leur confiait, qu'ils acceptaient et dont ils touchaient le prix stipulé. Qu'arrivait-il? que, pour en finir, les moines composaient avec le saint-siége, auquel ils donnaient une part de ce qu'ils avaient reçu pour officier, et qui les dispensait de tenir leurs engagements. En 1743, il avait été découvert dans deux couvents de Venise un arriéré de trente mille messes !

L'auteur du recueil fait remarquer à ce propos que le nombre de messes privilégiées, célébrées journellement, étantbien plus considérable que celui des décès de chaque jour, non-seulement, d'après la doctrine romainc, le pur gatoire était toujours vide, mais qu'il restait encore un immense crédit pour les délivrances futures.

202 9

Vint la question des livres que le grand-duc et Ricci proposaient pour faire partic de la bibliothèque des curés, et parmi lesquels, dit l'abbé Tanzini, se trouvaient par hasard quelques-uns de ceux qui étaient à l'index du saint-office de Rome, entre autres Quesnel, Lelourneux, Nicole, l'auteur des Provinciales, Godeau, Duguet, etc., tous coryphées du parti janseniste et canoniste. Les oppo santsles rayèrent sans exception de la liste gouvernemen tale, mais sculement parce que les livres mis aux mains des prêtres doivent être au-dessus même du soupçon de renfermer l'erreur.

9 7

L'opposition maintint le privilége de la quête, dont le grand-duc voulait dépouiller les ordres mendiants, ainsi que les serments inutiles. Elle n'osa pas défendrele serment de vasselage prêté par les évêques au pape, et que le grand-duc proposait de remplacerpar unesimple promesse d'obéissance canonique.

Elle rejeta aussi lesdemandes faites par Ricci au prince, savoir, celle de remettre toutes les fêtes au dimanche sui vant, et celle de réduire tousles ordresreligieux à un seul, sous la règle de saint Benoît, ainsi que tous les couvents à

203 ; 2

concernant lesvérités du christianisme qui avaient fini par s'obscurcir, affirmation déjà condamnée par le saint-siége. Le pape l'avait condamnée de nouveau, et en avait pris texte pour injurier le prélat, tout le clergé réformateur et le gouvernement de la Toscane. Le grand-duc demanda leur avis aux évêques sur cette pièce scandaleuse. Tous blåmèrent le pape. Un seul docteur taxa d'hérésie l'évêque de Chjusi.

204 9 unseul pourchaqueville,mais placé au milieu des champs. Dans les différentes réponses des évêques aux questions posées par le grand-duc, il y a quelques particularités bonnes à conserver. Par exemple : l'évêque opposant de Fiesole,Mancini,convint quelevéritable motifde sonrefus d'en revenir à l'ancienne discipline était que, dans l'église primitive, lesdiocèsesn'avaient pas de circonscription dis tincteet déterminée; queles prêtresn'étaientpas astreints au célibat, et qu'ils vivaient au jour le jour des offrandes des fidèles; que la communion se donnait aux laïques comme aux clercs, sous les deux espèces, etc., etc. Ricci repoussa toute dépendance réelle des évêques envers le pape, et des prêtres envers les évêques. Franceschi, arche vêque de Pise, demanda lecontraire absolument de ceque désirait son collègue de Pistoie : il voulait un clergé riche et puissant,etdes fidèles superstitieux. Borghesi ne croyait qu'en la bulle Unigenitus, et n'avait peur que de Quesnel qu'elle a condamné. Santi, évêque de Soana, tout à la fois augustinien (janseniste) et politique (canoniste), ne voyait de salut que dans une église nationale : comme Ricci, il proposa pour modèle de tous les synodes possibles celui qu'avaient tenu les jansénistes d'Utrecht (1763). Franzesi, évêque deMontepulciano, estimait que les tentatives faites pour réformer l'église de Toscane étaient des efforts pour introniser dans le grand-duché le grossier déisme de Hol lande, d Angleterre et de presque toute l'Allemagne. Il regardait la doctrine de saint Augustin comme des plus dangereuses, puisqu'elle a donné lieu aux hérésies de Luther, de Calvin et de Jansenius.

L'évêque de Montepulciano avait fait remarquer que le grand-duc , qui aurait voulu que chaque église n'eût qu'un autel, faisait néanmoins construire lui-même des temples où il y en avait plusieurs. Ricci demanda si le prélatavait prétendu conclure de là que le souverain avait changéd'opinion oubienqu'ils'était contredit?Etil ajouta: « Ce serait un sacrilége que d'en oser seulement concevoir la pensée. > --- On le voit, le jansenisme substituait l'in faillibilité du prince dominant l'église nationale, à l'infail libilité du pape régnant sur l'église universelle. C'estde la foi rétrécie.

Monsignorde Vecchj rapporta qu'étant vicaire général à Sienne, il avait supputé le nombre des messes à célébrer annuellement dans le diocèse, pour satisfaire aux legs pieux : ce nombre s'élevait à quatre-vingt-dix-neuf mille.

Pannilini, évêque de Chiusi et Pienza, déclara que le jansénisme était un fantôme d'hérésie. Ricci cxalta outre mesure les miracles opérés par les jansénistes, depuisceux du diacre Pâris jusqu'à celui qu'avait approuvé le cardinal de Noailles, en 1725, et dont le jubilé centenaire a été célébré pompeusement à Paris, il n'y a guère que trente 4 ans ,

Le même Franzesi avait publié une condamnation bru tale des jansénistes : l'auteur du recueil des actes, en rap portant cette circonstance, en prend occasion pour porter les jansenistes aux nues,etnommément Neercassel de Hol lande et le fameux diacre Paris ; puis il nie, contre la vérité la plus évidente, que le livre de Jansenius renferme les cinq propositions condamnées par le pape.

205

CHAPITRE XXX.

Les choses avaient tourné tout autrement que le grand duc n'avait- espéré en réunissant ses évêques; il fallait maintenant empêcher le plus possible que le résultat n'en fût aussi funeste qu'on avaitraison de le craindre. C'est à quoiLéopold etRicci s'appliquèrent, chacun dansla sphère où il lui était donné d'agir.

Tactique des ennemis des réfo nes . Menées cléricales. Émeute à Pralo. - L'assemblée ecclésiastique est dissoute. Réflexions.

Mais les ennemis des réformes étaient bien décidés de leur côté à ne pas demeurer en aussi beau chemin. Ils se voyaient à la veille de remporter la victoire; il ne fallait plus qu'un peu d'audace, et leurs intrigues aboutissaient. Voici comment ils s'y prirent.

Ils firent répandre à Pistoie et à Prato que l'assemblée des évêques avait condamné les innovations de Ricci.

Le 20 mai, le peuple de Prato se rendit, armé de bâtons et de haches, à l'église principale pour empêcher la démolition d'un autel auquel personne ne songeait. Le

208 7

Aussitôt l'alarme adroitement colportée dans tout le diocèse y causa un trouble général. Les curés et les prêtres cou rurent à Florence demander pardon de ce qu'ils s'étaient soumis aux réformes du gouvernement, et ils en sollici tèrent l'abolition immédiate.

>

Ce n'est pastout : l'assemblée de Florence traitait préci sément les questions du culte des images, des reliques et des indulgences. On annonça , sous main, aux diocésains de Ricci que l'évêque avait été convaincu d'hérésie sur ces points de la doctrine chrétienne. L'évêque de Volterra et le secrétaire du nonce pontifical se portèrentà Prato et orga nisèrent le parti des mécontentsqui dès lors devinrent des turbulents. Ricci, dirent ces éminents personnages à qui voulait l'entendre, était à la veille de faire abattre l'autel où se conserve lacintolaou ceinturede lasainte Vierge, et d'opérer encore nombre de changements que le peuple redoutait comme des calamités. Ces calomnies étaient secondées, à Florence même, par les évêques réunis, qui ne cessaient de conseiller le retour pur et simple à l'an cien ordre de choses, sous prétexte qu'il estde l'intérêt du prince que le peuple soit crédule et ignorant, etque trou bler la conscience publique par l'examen au moins intem pestif, si ce n'est encore inutile, des questions qui ne le regardent en rien, est toujours dangereux pour la tran quillité de l'état. Léopold cependant ne cédait point. Les émeutes furent décidées.

Ricci était navré de ces événements. Lorsqu'il se pré senta le lendemain au sein de l'assemblée ecclésiastique, ses partisans l'accueillirentavec intérêt, les opposants avec un insultant mépris. A Prato, le repentir succéda bientôt à l'effervescence : les habitants implorèrent la clémencedu grand-duc, surtout quand ils eurent été témoins d'un pré tendu miracle par lequel il leur paraissait que Dieu lui même rendaithommage à l'orthodoxiede leurpasteur. Un Pratois, qui avait mangé des légumes cuits au feu, fait avec lcs débris de la chaire pontificale de Ricci, mourut aussitôt après son repas, et cela sans confession. Le biographc de Ricci rapporte ce fait et l'apprécie dans son sens, avec une

Le lendemain, ce fut le tour des paysans qui vinrent adorer, derrière les rideaux dont on les avait de nouveau couvertes , les images qui, à leurs yeux, y avaient retrouvé leur première valeur. Déjà tout le diocèse prenait feu, lorsque Léopold en appela à la force. Des soldats furent envoyés sur les lieux; il se fit de nombreuses arrestations, et toutes les choses furent remises sur le pied où elles se trouvaient avant le tumulte.

18

209

tocsin fut sonné, les livres qu'on trouva dans la sacristie furent lacérés, on fit illuminer l'église et la sainte cintola fut exposée à la vénérationdes fidèles. Cet exploit terminé, la foule alla prendre les images des anciennes confréries religieuses et les porta au temple. Le domicile des prêtres connus pour partager les sentiments de l'évêque fut violé, et ces prêtres se virent forcés de se rendre, moitié nus, aux églises pour replacer les petits rideaux (mantellini) devant les images qui en avaient été dépouillées.

Jl leurdit qu'il savait fort bien d'oùétait parti le coup; que l'affaire avait été machinée à Rome; que, d'après le mot d'ordre donné à Florence, l'émeute aurait dû éclater, à un moment convenu,dans toute la Toscane,et que dans la pré vision de sa réussite, lesaint-siége avaitretardé la signature de son concordat avec le royaume des Deux-Siciles, dont, après un événement aussi favorable aux desseins du souve rain pontife, il aurait indubitablement obtenu de bien meil leures conditions.

Puis il forma le projet d'abdiquer. Se considérant comme une pierre d'achoppement à la réalisation du plan du grand-duc, il adressa à celui-ci la prière de lui permeltre de se retirer, ne demandant pour récompense de ses ser vices que de pouvoir se laver des calomnies répandues sur son compte,principalement en publiant sans retard les actes de son synode diocésain. Il pria en outre Léopold d'accorder aux Pratois, et surtout aux plus pauvres, un pardon sans restriction ni réserve pour ce qui venait de se passer. Le prince répondit, mais uniquement pour consoler l'évêque

210

Pour le moment, tout rentra dans l'ordre.

Ricci intervint alors auprès du prince en faveur des mal heureux qui avaient été égarés, et il obtint une commuta tion de peines pour quelques-uns, la grâce pleine etentière de tous les autres. Il vint lui-même au secours des ouvriers que l'emprisonnement avait réduits à un état de gêne. Finalement il s'appliqua à calmer les esprits en éclairant ses diocésains sur leurs intérêts et leurs devoirs.

bonne foi assurément fort rare à la fin du dernier siècle. Le grand-duc accueillit avec bonté les députés de Prato.

- 211 dans ses peines et pour approuver sa conduite en toutes choses ; il n'accepta pas sa démission. Léopold se montra sévère envers les évéques, qui avaient été lespremiersme neurs des troubles et qui n'en devinrent pas plus dociles. Ne pouvant rien obtenir d'eux, il rompit leur assemblée (5juin 1787), et les congédia sèchement. Il songea sérieusement alors à tout faire par lui-même et à faire seul, et il chargea Ricci de dresser un plan général. L'évêque de Pistoie se mit immédiatement à l'auvre; mais le fruit de son travail demeura à l'état de simple projet. Les révolutions qui grondaient sourdement de toute part met taient à l'ordre du jour des questions autrement graves que celles du jarsénisme et des jésuites, des cabinets et des sa cristies, des églises nationales même et de la cour de Rome.

Certes, il yavait beaucoup à faire; mais tout se résumait àréaliser dans la pratiqueles idées généralementacquises à la société, et rien en dehors de ces idées, rien au delà. Le pouvoir avait à faire des lois pour les prêtres comme pour tous les citoyens, sans distinction d'opinion et de culte, et là où l'intervention de la loi n'était pas indispensable, à ne rien faire du tout, laissant chaque opinion et chaque culte se produire ets'agiterlibrement, se développer ou déchoir. Les tentatives aussi imprudentes qu'inconsidérées de Jo sephII, de Léopold, de l'assemblée constituantede Franceet de Napoléon pour tout déterminer, limiteret réglementer, ont passé sans laisser de traces. La séparation absolue, clai rement et nettement tracée, de l'église et de l'état, est de meurée en principe du moins, et ne saurait plus éprouver de changement; l'indépendance absolue de l'église comme

212 - ) de l'état, en est la conséquence logique, mais cette consé quence n'a point encore été appliquée avec la franchise etla loyauté qui anraient dû en ètre inséparables.

Ajoutons tout de suite qu'elle ne saurait être appliquée d'une manière complète; caril estimpossiblequel'églisene dirige pasl'état, à moins que l'étatn asservissel'église. Etlà précisément cst l'absurdité : ce qui devrait être ne saurait être actuellement sous aucune condition ni en aucun état de cause; la société notre société établie se trouve dans l'impuissance la plus absolue de réaliserce dont néanmoins la réalisation est, toujoursactuellement, devenue pour elle une condition d'existence.

Nous sommes loin de préconiser le dualisme ou plutôt l'antagonisme de l'idée et de la force, du droitet du fait, comme le dernier motde l'intelligence ; mais nous consta tons cette dualité comme étantle dernier mot que l'intelli gence ait prononcé, comme résumant l'état des esprits et des choses actuellement. Nous constatons en outre qu'il y a plusieurs églises, différentes nations, des opinions par tout, et rien que des opinions, sur ce qui est juste et vrai; mais nous savons que l'idée du droit absolu, devant laquelle s'évanouiront nations et églises, doit se réaliser et rendre >

Cet ordre de choses, anomal, contradictoire, absurde, mais inévitable avec les connaissances acquises et dans les circonstances données, durera jusqu'à ce qu'il ait été dé montré qu'étatet église, société et religion, ne sont qu'une seule et même chose, dérivant d'un principe unique, repo sant exclusivement sur ce principe , et ayant ce même principe pour unique soutien.

toutes les opinions vaines. Nous constatons enfin que le droit absolu, encore indéterminé, subordonné au fait d'un droit relatif, droit indéterminable en principe, et accepté ici dans un sens, là dans un autre sens, aujourd'hui sous telle forme, demain sous telle autre, n'offre rien de stable, rien de réel, et dépend toujoursde la force, qui seule peut êtredéterminée aussi longtemps que la réalité du droit ne l'est pas.

Et nous en concluons qu'il est nécessaire que provisoi rement l'esprit demeure indépendant dans sa sphère, tandis que la force fait plier tout le reste soussaverge d'airain,... jusqu'à ce que l'esprit, rationnellement, incontestablement et surtout socialement déterminé, ait soumis la force à la vérité, substitué la justice à la force. 2

213 -

18.

CHAPITRE XXXI.

L'opposition devient menaçante. Le peuple abolit les réformes. Apologie deRicci. Sa fermeté. Publication des actes du synode de Pistoie et de l'assemblée de Florence. -Commissions papales pourjuger Ricci.

L'opposition flagrante des évêques au gouvernement devait entraîner après elle celle du clergé et par suite de tout le peuple toscan. De Pistoie et Prato, on ne cessait d'adresserdes pétitions au ministrede la police (presidente del buon governo) pour demander le renversement complet de ce que Ricci avait établi dans son diocèse. Léopold sou tint le prélat. Il avait acquis la conviction qu'on voulait soulever contre lui tout le grand-duché comme on avait réussi à faire révolter les Pays-Bas contre son frère, comme on cherchait à semer le trouble dans le royaume de Naples et en Lombardie. Un prêtre du diocèse de Pistoie lui avait révélé le complot, en exposant les machinations et les

216 vexations auxquelles il avait été en butte de la part de ses supérieurs, qui ne faisaient, cux, qu'exécuter les instruc tions que Rome leur communiquait par l'intermédiaire de ses nonces. C'est ce qui fit généralement songerà lanéces sité de supprimer les nonciatures, seul moyen de se débar rasser des intrigues que dirigeaient les agents en titre de la cour pontificale.

En outre, les lettres que Ricci recevait coup sur coup, deFrance,deBelgiqueetmêmedeRome,luidémontraient à l'évidence que tout ce qui se tramait alors dans un sens opposé à l'esprit du siècle émanait du saint-siége. « La résistance du Brabant ferait un grand plaisir au pape, si elle pouvait faire changer le système de la cour de Vienne par rapport à l'enseignement de la doctrine, écrivait len cardinal de Bernis à sa cour (23 mai 1787). Le nonce Zondadari, réfugié à Liége (1790), promettait à la gouver nante des Pays-Bas, pourle cas où elle parviendrait à faire que l'électeur de Cologne, son frère, se déclarât contre le congrès d Ems, que le pape, de son côté, ferait rentrerles Belges sous la domination impériale. Nous reparlerons de ce nonce, à propos de la bénédiction pastorale qu'il donna, quelques années après, aux Arétins qui venaient d'égorger et de brûler des juifs.

Quoi qu'il en soit, les pétitions au gouvernement semul tiplièrent : elles avaient surtout pour but la suppression des litanies en langue vulgaire. Le gouvernement ne voulut pas avoir l'air de céder devant ces démonstrations ; il fit ordonner aux pétitionnaires d'obéir à leur pasteur, et il exhorta l'évêque à se montrer facile sur ce qu'on lui de

Ricci vit bien que le mouvement rétrograde ne s'arrête rait plus : il voulut du moins poser un dernier acte qui le réhabilitât aux yeux de quiconque comprenait ce qu'il lisait, et il publia son apologic (5 octobre 1787). Cette pièce éloquente fut traduite en latin, en français et en allemand, et réimprimée partout. Le succès qu'elle obtint aigrit con sidérablement la cour de Rome, qui, dans l'état incertain des choses et surtout des esprits, aurait volontiers jeté un voile sur le passé pourvu que la victoire lui demeurât pour l'avenir. Elle craignait d'ailleurs la publication annoncée des actes du synode de Pistoie et de ceux de l'assemblée ecclésiastiquede Florence. Pour l'empêcher, s'ilétait encore possible, ou du moins pour paralyser d'avance l'effet que cette double publication allait produire, elle fitde son côté paraitre les Annotazionipacifiche (Annotations pacifiques) de l'abbéMarchetti, véritable libelle incendiaire pour cette époque d'effervescenceet d'agitation. Le grand-duc prohiba le pamphlet de Marchetti, exila ce prêtre fougueux, et se plaignit au pape qui ne put se dispenser de blâmer Mar

217 mandait. Ce mezzo termine n'eut, comme de coutume , aucun résultat positif. Le peuple, las d'attendre, se mit finalement à son tour à régler les cérémonies religieuses selon son caprice, fit exposer le saint-sacrement, doubla le nombre légal des cierges, exigea des processions solen nelles, fit replacer partout où ils manquaient encore les mantellini si puérilement controversés, imposa le silence aux curés qui ne pensaient pas entièrement comme lui, força tous les prêtres à ne lire le canon de la messe qu'à voix basse et d'une manière inintelligible, etc., etc.

Léopold somma aussi l'évêque de Pistoie de répondre à ses agresseurs. Ricci le fit aussitôt : il démontra à sa ma nière, c'est-à-dire enaffirmant, comme tous les opinionistes, qu'il n'avait fait que suivre la voix de sa conscience, qu'o béir,selonl'expressionreçue,à Dieu plutôtqu'auxhommes; qu'il avait agi justement; que toutes ses réformes, qu'il énumérait une à une, étaient nécessaires, utiles, et qu'elles devaient être réalisées sans retard si elles ne l'étaient pas encore. Cette persistante fermeté ne fit qu'irriter ses ennemis dont il s'obstinait à mettre les torts au grandjour, en prétendant et en prouvant autant qu'il était en lui que lui-même avait raison. Il n'en fit pas moins ce que voulait le grand-duc qui, après avoir pris toutes les précautions nécessaires,lui ordonna de se rendre à Prato. L'évêque y administra avec pompe le sacrement de la confirmation au mois de juillet (1788), et son apparition inopinée, malgré tant de menaces contre savie, imposa même aux plus vio lents : tout demeura tranquille.

218 : chetti et d'imposer silence aux journaux des étatsromains.

Vers la fin del'année, parurent les actes de l'assemblée de Florence et ceux du synode de Pistoie. Ces derniers sur tout produisirent le plus grand effet dans toute la catholi cilé; ils étaient en quelque sorte l'expression des besoins de tous les gouvernements qui voulaient continuer à mar cher avec, sans ou malgré les catholiques, dont ils étaient appelés à administrer les intérêts, conjointement avec les intérêts de ceux qui ne reconnaissaient plus à l'église le droitdedisposerde la société. Les actes du synode de Pis toie furent traduits partout, comme l'avait été la dernière>

La congrégation, après un mûret minutieux examen, ne trouva ricn à blâmer.

Une seconde commission fut convoquée alors, et reçut ordre de se montrer plus sévère que la première. Mais celle-ci encore ne s'arrêta qu'à des scrupules, à des doutes sur la signification des mots et sur les intentions non avouéesdesmembres du synode inculpé. Lepape n'osa pas faire part de ce résultat à Léopold. Il se borna à faire ré pandreenToscanequeRicci seraitcitéàcomparaîtreàRome.

pastorale de l'évêque,etRicci reçut deFrance,d'Allemagne, d'Espagne et de Portugal, les lettres les plus flatteuses et les plus sincères compliments. Rome étaitatterrée, d'autant plus que le grand-duc saisit ce moment pour supprimer la nonciature , soustraire tous les ordres religieux à leurs supérieurs hors de Toscane, et renvoyer les moines étran gers. Le pape n'osa rien entreprendre contrc Léopold; il s'attacha à perdre Ricci.

Lacongrégation, dont la menace étaitdepuissi longtemps suspendue sur sa tête,s'assembla enfin àRome, et le diocèse dePistoie et Prato retentit du bruit de la condamnation pro chainede son pasteur. Pour conjurerautant que possible la nouvelle tempêtequ'ilprévoyait,legrand-ducexigeadupape la promesse de lui communiquer, avant toute publication, la sentence de censure ou de condamnation qui émanerait de la commission pontificale, afin queRicci eût le temps de songer à sa défense etde préparersajustification. Ilmena çait, en cas de refus du saint-siége, de rappeler son ambas sadeur. Pie VI donna sa parole, et les poursuites conti nuèrent.

219

Une troisième congrégation succéda bientôt aux deux autres. Mais celle-ci parut n'avoir reçu pour instructions que de paraître s'occuper des questions en litige, dans le but d'entretenir l'inquiétude dans les esprits et de fomenter les troubles du diocèse de Pistoie et Prato, par l'attente de l'imminente condamnation de son évêque et même de l'ex tradition de celui-ci pour être détenu à vie comme héré tique, au château Saint-Ange.

220

L'archevêque Martini se prêtait merveilleusement à ces basses intrigues. Il les secondait de tous ses moyens, en accueillant avec faveurlarétractation des prêtres de Pistoie et Prato, de manière que les fidèles en vinrent jusqu'à se figurer que les sacrements qui avaient été conférés par Ricci et par ses partisans étaient de nulle valeur et devaient être conférésde nouveau : cela amena un véritableschisme. Mar tini faisait baptiser et confirmer les enfants qu'on lui cn voyait du diocèse de son collègue, et il ordonnait prêtres les jeunes clercs du même diocèse en dépit des plaintes de l'ordinaire, et malgré l'avis charitable que celui-ci lui avait fait parvenir, savoirque, par le seul fait de ces irré gularités, l'archevêque encourait les censures ecclésiasti ques déterminées par les canons.

Rien de tout cela n'ébranla la fermeté de Ricci. Il per sistadansson systèmed'opposition auxprétentionsdu saint siégejusquedans lesmoindres circonstances. Par exemple, il défiait, pour ainsi dire, journellement le pape en s'inti tulant évêque par lagrâce de Dieu et nonparlagrácedusaint-siége,parce que,disait-il,ses droitsépiscopauxétaient égaux à ceux du pape, de même que lesdroits sacerdotauxà ,

221

des curés qu'il nommait ses frères, étaientégaux auxsiens. Pour les mêmes motifs, il repoussait la qualification humi liante de sujets que les curés avaient l'habitudede prendre lorsqu'ils s'adressaient à leur pasteur.

MÉMOIRES DE RICCI. 19

4 1 1 1 1

Les choses en étaient là quand la mort de Joseph II, qui avait suivi de près une amputation rendue nécessaire par les effrayants progrès d'une maladie honteuse, c'est un descorrespondants deRicci qui lui apprendce fait,--appela Léopold sur un plusvaste théâtre. Rome avait vu avecjoie s'approcher un événement qui allait la faire triompher en Toscane. Afin d'en tirer tout le parti possible, elle s'était, en attendant,refusée à instituer les évêques nommés parle roi de Naples; elle espérait des conditions de plus en plus favorables de ceprince, une fois qu'illaverraitdébarrassée des entreprises de Léopold, d'autant plus que, de son côté, la cour des Deux-Siciles, alarmée des progrès de la ré >

CHAPITRE XXXII.

Mortde Joseph II. Espérances de la cour deRome. Illusions de Ricci, -Réflexions. Léopold quitte la Toscane. Insurrection du diocèse de Pistoie et Pralo. Florence suit cet exemple. La démission de Ricci est acceptée par le grand-duc Ferdinand III. -Petites vexations.

224volution française, était de plus en plus pressée d'en finir avec le pape.

De même que les changements opérés en Toscane ne s'y étaient maintenus jusqu'alors que par la présence de Léo pold, de même ce qui s'était fait sur un plan analogue en Allemagne, en Lombardie et aux Pays-Bas autrichiens, tenait essentiellement à l'action personnelle de Joseph II. L'une et l'autre allaient manquer à la fois, et la cour de Rome, qui ne voyait que les faits, qui ne songeait pas à l'influence des opinions et à leur force irrésistible, se crut un moment à la veille de ressaisir toute sa puissance.

On remarquait déjà que, avec la superstition du peuple, le déréglement du haut clergé se remontrait dans toute son ancienne effronterie. L'évèque de Foligno, particuliè rement protégé par le cardinal Buoncompagni, était pu bliquement accusé à Rome d'escroquerie et de débauche; le cardinal de la Busca se vantait tout haut d'être un des amants favorisés de la princesse Santa-Croce, auparavant maîtresse du cardinal de Bernis : c'étaient là les nouvelles que les amis de l'évèque Ricci lui mandaient de la capitale du monde catholique. Aussi celui-ci ne mettait-il pas en si une réformesageetéquitable avait été opérée en temps utile, on aurait par cela scul empêché bien des violences et évité beaucoup de malheurs. Pasplus que tant d'autres, il n'avait l'idée qu'au-dessus de laquestion de quelques petitsscandales, inséparables de l'exercice d'un pouvoir créé par l'ignorance et soutenu par l'argent, pla nait celle de l'émancipation de l'intelligence, dont les pre miers actes devaient nécessairement être de dévoiler tous : douteque,

225 les scandales, sans pouvoir l'ignorance n'étant pas en core détruite -- y substituer l'ordre avec la régularité.

Comme si le sort du christianisme et de ses ministres ne dépendait pas désormais du catholicisme tel que l'avait constitué la nécessité de maintenir l'ordre social au sein de l'ignorance; comme si le protestantisme de l'église gal licane n'avait pas fait plus de mal au catholicisme dont il dévorait les entrailles, que les protestantismes antérieurs, luthérien, calviniste et même philosophique, qui s'étaient bornés à lui retrancher quelques membres; comme si la domination de l'église parl'étatn'étaitpaslaruinedel'église, et l'église faisant défaut,comme si l'état lui-même, privé de toute sanction , ne s'affaisserait pas sous son propre poids; comme si la confiscation des biens du clergé n'était pas une spoliation qui attaquait le principe même de la propriété, dernier refuge, avec celui de la famille, du sentiment so cial que la foi abandonnait et que le raisonnement n'était pas encore parvenu à fonder sur la raison ; comme si enfin la convocation des états généraux n'était pas précisément 19.

Du reste, l'aveuglement et les illusions de Ricci étaient partagés par tous ses co-sectaires. Dans sa volumineuse cor respondance, se voit l'espoir qui, généralement en France, était placé dans les bonnes intentions du roi et la convoca tion des états généraux. On louait le peuple françaisd'avoir osé extirper jusqu'à la racine du mal, en enlevant ses richesses au clergé, en supprimant les ordres religieux, en faisant passer dans la loi le protestantisme catholique gal lican. Partout lejansenisme était dans le ravissement, parce que Rome était dans les angoisses.

226

La royauté était évidemment coupable, soit; le roi, cou pable ou non, ne pouvait pas ne point subir les consé quences de ce qu'il représentait la royauté, soit encore : mais l'autorité, déjà effacée enprincipe parla déchéance de l'église qui jusqu'alors en avait été scule dépositaire, ne perdrait-elle pas même son nom à la chute de l'homme en qui elle se disait incarnée? Et en attendant que la réalité du droit eût été démontrée par la véritable science, que mettrait-on à la place du droit hypothétique qui avait péri avec la foi ?

Nous revenons souvent, et nous croyons ne pouvoir trop souvent revenir sur cette contradiction, qui, se résumant en une impossibilité, dans l'absurde par conséquent, doit immanquablement mener la société à l'anarchie.

Quoi qu'il en soit, dès qu'on eut acquis en Toscane la certitude du départ prochain du grand-duc Léopold, rien ne put arrêter la fougue réactionnaire des ennemis des réformes. Rome faisait exciter le clergé, le clergé fanatisait le peuple, le peupleà son tour forçait les prêtres à lui ren dre toutes ses idoles, Ricci réclamait, le prince punissait, ct l'exasperation atteignait ses dernières limites. Il ne man quait plus, pour qu'on se révoltât ouvertement, que de s'as surer d'avance que la résistance violente au pouvoir serait le meilleur moyen pour le faire céder; on le vit clairement dans la proclamation de l'empereur Léopold aux Belges, par laquelle le nouveau souverain, fléchissant devant l'in

le recours au nombre, à la force, souslesquels devait infail liblement succomber la royauté, dernière expression de la vieille autorité sociale.

9 1

Le premier magistrat de Pistoie, Fabroni, fit imprudem . ment, et peut-être méchamment, démolir pendant la nuit un desautels que le peupleavait fait relever.Ce futlesignal des désordres : Ricci fut menacé et poursuivi pour un motif dont il n'avait pas même connaissance, ct on le força à prendrela fuite. Pendant que cela se passait, on répandait à Prato le bruit que l'évêque allait y faire démolir l'autel de la Cintola. Puis on changea de batterie : c'était à Pistoie qu'il ferait reblanchir l'image de la Vierge de l'humilité (la madonna dell' Umiltà), ct aussitôt cette image se mit à cligner des yeux, à pleurer, à suer. Ricci avait beau pro tester qu'il ignorait même les faits qu'on lui attribuait ; rien n'y fit, et le 24 avril 1790 , la révolution cléricale du diocèse de Pistoie et Prato fut complète.

A peine l'évêque s'était-il retiré à Florence, que toutce qu'il avait fait pendant son pontificat disparut devant ce qu'on appelait la volonté du peuple, aux grandsapplaudis sements des ennemis de Ricci, qui ne se doutaient pas en corequ'ils disparaîtraientbientôt eux-mêmes à leur touret devant la même volonté. Les scipionistes, hérétiques de nouvelle création,furent obligés de quitter lediocèse boule versé, pour faire place à la dévotion au sacré-cour, à la célébration des messes à prix d'argent, et à la restauration des limbes dont lesjésuites, constamment combattus cn cela par les augustiniens, avaientgratifié les enfants morts sans baptême.

227 surrection, abrogeait tous les actes de son prédécesseur, l'empereur Joseph II, son frère. Voici à quelle occasion le feu qui couvait sous la cendre éclata en un vaste incendie.

9

On était en 1791. Léopold protestait toujours de sa constante résolution à maintenir les actes de son règne; mais à cela se bornaient ses efforts. Les troubles des états héréditaires de la maison d'Autriche,la révolution française où la famille royale et surtout la reine , sa sæur , étaient

228 }

Sur les entrefaites, le nouveau grand-duc, Ferdinand III, fils de Léopold, était arrivé en Toscane, accompagné de l'empereur. Celui-ci aurait voulu que Ricci rentrât dans son diocèse; mais l'évêque refusa d'aller y affronter inutilement des dangers certains : car les magistrats qui avaient sou tenu le peuple dans ses actes de rébellion, ne voulaient pas se mettre en contradiction avec eux-mêmes, en forçant les diocésains de Ricci à se conformer aux vues de ce prélat, eux qui avaient hautement proclamé le droit du peuple à choisir l'enseignement qui lui convient, et qui avaient con damné comme janseniste quiconque osait soutenir le con traire. Les choses demeurèrent par conséquent dans l'état oùlesavaient misesles révoltés, les ennemis desréformes et la cour de Rome.

Ce qui s'était passé au diocèse de Ricci n'était quele pré lude de ce qui allait nécessairement avoir lieu dans toute la Toscane. L'insurrection de Pistoie et de Prato se renou vela à Florence, le 8 juin, ct y eut les mêmes résultats. Ricci se réfugia dans sa villa de Rignana, province du Chianti, dans le diocèse de Fiesole, où l'évêque, les prêtres et le peuple fuirent à l'envi sa présence, de peur de la contagion de l'hérésie, ou plutôt pour éviter que même une simple rencontre ne les compromît auprès du parti triomphant.

Riccisavait que le nouveau gouvernement comptait sur sa démission. Aussi, à la première demande officielle qui lui fut adressée relativement à ses intentions, s'empressa-t-il d'en faire l'offre pure et simple. Cette offre fut agréée avec le même empressement, et l'évêquc signa sa renonciation sans condition aucune. Le grand -duc, à qui il envoya la pièce, crut devoir lui assigner une pension viagère; le pape,auquel Riccien fit part,répondit de sa propremain par une lettre fort obligeante. L'évêque démissionnaire désirait en outre de pouvoir, dans une lettre d'adieu , prendre solennellement congé de ses anciens diocésains; mais le gouvernement ne le permit point : il craignait que le public ne finit par prendre intérêt à Ricci dans lequel il aurait vu une victime, et par accuser le prince ou du moins ses agents d'être descendus au rôle de persécuteurs.

229 > menacées jusque dans leur existence, l'avaient frappé au cour. Toute force moralc était éteinte en lui, et on pré voyait déjà que ses forces physiques ne tarderaient guère à l'abandonner également. Cet état d'affaissement peut seul expliquer la manifestation, si contraire aux principes qui l'avaient guidé jusqu'alors, à laquelle Léopold se prêta dans ses déclarations de Mantoue et de Pilnitz.

On avait eu raison de l'évèque; on voulut maintenant mater l'individu. Un procès interminable fut intenté à Ricci dans le but de pouvoir lui refuser le payement de sa pension. Il y mit fin par un seul mot : il déclara qu'il renoncerait à toute pension plutôt que de plaider. Ricci apprit à la campagne, où il vivait dans la solitude la plus entière, l'impulsion décidément réactionnaire que son suc

230

cesseur avait imprimée au diocèse de Pistoie et Prato, où ses moindres partisansétaientcongédiés, l'un avant, l'autre après, en haine de lui. Le prince lui avait fait promettre des honneurs et des titres, qui du moins auraient servi à démontrer que le fils ne punissait pas le zèle et la fidélité avec lesquels le prélat avait servi son père, aux dépens de son propre repos et au péril de sa vie. Mais ces promesses furent bientôt oubliées. Léopold seul continua à rendre justice à son ancien collaborateur en réformes, jusqu'à ce qu'il mourût(1792).

Dès qu'il n'eut plus l'empereur à craindre, le nouvel évêque de Pistoie et Prato,Falchi,ne garda aucune retenue. Voulant frapper son prédécesseur dans sa réputation et sa personne, il l'accusa, dans un procès-verbal qu'il fit dresser exprès, d'entretenir une correspondance secrète avec quel ques-unsdeses diocésains, afindeparvenir par leurmoyen à le faire empoisonner.

Conduiteodieuse de l'évèque Falchi, successeur de Ricci. Le papeprêche le massacre des Français. Ceuxqu'iln'avaitpu faire tuer, illesdéclare sesmeilleurs amis. Ricci, en rapport avec le clergé révolutionnairede France. Condamnation du synode de Pistoie. - La bulle Auctorem passe inaperçue. Réflexions.

Rome non plus n'avait dorénavant plus rien à ménager. C'est pourquoi, se mettant ouvertement à la tête des adver saires de l'ancien évêque, clle fit recommencer les pour suites contre les actes du synodede Pistoie, qui soulevaient d'autant plus son indignation qu'ils venaient en quelque

CHAPITRE XXXIII.

sorte de servir de modèle à la constitution civile du clergé de France. Le pape avait hâte de les condamner, afin de condamner indirectement du moins, par la même sentence, le clergé français contre lequel il hésitait encore à sévir d'une manière plus franche. Mais bientôt les événements déjouèrent sa prudence; il ne crut pas pouvoir se dispenser de lancer un monitoire direct, qui devait avoir pour suite l'excommunication des évêques constitutionnels, et, sur la demande formelle qui lui en fut faite par le comte de Provence (Louis XVIII), il nomma cardinal l'abbé Maury, qui avait refusé de prêter serment à la constitution.

232

Cependant le progrès des armes françaises en Allemagne et dans la haute Italie fit ajourner par Pie VI ses projets de vengeance contre Ricci : il avait à donner tous ses soins à la guerre qu'il méditait pour combattre des ennemis qui menaçaient à la fois sa souveraineté temporelle sur les états de l'église et sa domination spirituelle sur toute la catholicité. Ricci, toujours soucieux du bonheur de ses semblables, souffrit cruellenient lorsqu'il vit la cour de Rome prêcher une croisade religicuse contre les Français en enflammant le peuple par des missions bruyantes et scandaleuses. Le cri de mort à tous les Français! vociféré contre ceux qui habitaient Rome, l'assaut donné à l'aca démie des beaux-arts de France, le pillage de l'hôtel du banquier français Mout,l'assassinatde Basseville, secrétaire de la légation française à Naples, quiy Jogeait, et la tenta tive de saccager le Ghetto et de massacrer tous les juifs, au nom de Marie, des saints apôtres et du pape, en furent les déplorables suites (1795).

Pie VI chercha à se disculper de l'odieux qui retombait sur son gouvernement et sur lui-même après ces excès coupables : il ne pouvait, dit-il, permettre qu'on étal t dans sa capitale les armes de la nouvelle république qui n'avait pas empêché qu'on brûlåt son effigie en pleine place publique; il avait le droit de montrer son ressentiment de l'occupation par les Français de ses états d'Avignon et du comtat Venaissin, et rien ne pouvait le forcer, lui gardien des biens de l'église et du dépôt inviolable de la foi, à reconnaître un gouvernement qui le repoussait lui-même comme souverain et comme pasteur. Cela était irrépro chable en principe. Mais, nous le répéterons à satiété : tous les principes devenus contestables socialement devant le libre examen, étaient en effet contestés par l'ignorance sociale encore entière, et la force brutale seule mettait fin aux débats en tranchant violemment les questions. Au reste, Pie VI ne tarda pas à réfuter lui-même le raisonne ment qu'il avait hasardé : trois ans plus tard, battu parles Français qui n'avaient changé àson égard ni de maximes,à ni de conduite, il ne mit plus aucun obstacle à ce que les armesdelamêmerépublique, désormaissameilleure amie, brillassent au sein de la capitale de ses étals, dont lui , gardiendudépôtinviolabledela foi et desbiensdel'église, avait livré aux vainqueurs les chefs-d' uvre des arts, les millions, et, outre Avignon et son territoire, les légations de Bologne et de Ferrare.

Laconnexitédes opinionsjanséniennes,decellesdeRicci, des actes du synode de Pistoie et de la constitution civile du clergé de France était flagrante. Voici encore ce qui vint 20

233

234 -

surabondamment l'établir: quelques jansenistes timidesde Paris consultèrent l'ancien évêque toscan surl'orthodoxiede la constitution civile du clergé, sur le serment imposé aux prêtres, et sur l'obéissance due à ceux-ci par les fidèles. Ricci opina hardiment dans le sens des réformateurs fran çais. La constitution, répondit-il, ne réglait que la disci pline, qui dépend du pouvoir et n'a rien de commun avec la religion; les biens de l'église sont spirituels exclusi vement ; elle a le droit de défendre ceux-ci et n'a aucun droit aux biens temporels; quant au pasteur de fait, on doit, jusqu'à ce que l'église universelle aitjugé la question, lui demeurer soumis, sans faire schisme sous aucun pré texte quelconque. La réponse de Ricci fut partout colportée et publiée en France. En Italie, elle fit accuser le prélat 'd'hérésie, d'esprit révolutionnaire etmême de jacobinisme. Rome la fit réfuter dans une brochure de l'abbéSpedalieri contre les droits de l'homme, écrit véritablement révolu tionnairedans unsensopposé, car au lieu de faire menacer l'église par les peuples, on y faisait menacer les états par l'église. Terrible nécessité d'une époque qui dure encore, où, sous la double pression de l'ignorance et de la liberté, conservateurs et démolisseurs, progressistes et réaction naires, tous doiventfatalement contribuer à détruirecequi est, afin de rendre possible ce qui doit être, et ce qui ne pourra être que lorsque ce qui est ne sera plus ! En attendant, les événements lesplus étrangesetles plus imprévus se succédaient rapidement et se poussaient à tel point qu'ils déroutaient tous les esprits. Chacun les jugeait d'aprèssespréjugésetses passions. Les partisans de la cour

Au moisd'avril 1794, Ricci reçut une citation pour com paraître à Rome. Le grand-duc, auquel il communiqua la

Pendant que les armées de la république menaçaient la domination temporelle du pape, le ministère espagnol atta quaitson omnipotencespirituelle pardesmesures analogues à celles qui avaient avorté en Toscane lors du départ de Léopoldet de la retraite de Ricci. Pour déjouer cesvelléités de réforme, auxquelles la traduction annoncée des actes du synodede Pistoieallait donner un commencement d'exécu tion, on résolut à Rome de ne pas tarder davantage à fou droyer ces mêmes actes, qui, toujours et partout, se dres saientdevantla papauté comme un épouvantail.

235 de Rome accusaient les jansenistes des maux qui, de plus en plus, accablaient l'église et les peuples; les jansenistes voyaient dans les impiétés et les crimes qui déshonoraient la révolution française, la punition des crimes des jésuites. Le pape déplorait la chute de Robespierre, parce que ce tribun ne voulait pas la guerre qu'il croyait contraire aux intérêts de la liberté, et que Rome désirait le maintien à tout prix de la paix, favorable à ses intérêts à elle, ceux de la conservation des états de l'église. Tous attendaient les événements, pour en profiter s'ils leur étaient propices, pour chercher à en esquiver les conséquences s'ils ne l'é taient pas. Comme à l'approche d unnaufrage, laplus lâche inertie et l'égoïsme le plus étroit étaient le seul mobile des partis et dessectes. La peur paralysait tous les sentiments généreux, et, ce qui en d'autres temps eût paru une bas sesseou une atrocité, n'étaitplus pour chacun quel'amour légitime de sa propre conservation.

pièce, défendit au prélat d'obéir à la sommation et même d'y répondre. Il fallut qu'au lieu d'exposer ses raisons comme il eût convenu et de justifier sa conduite,ce qui ne lui eût guère été difficile, en reprochant au pape la viola tion des promesses qu'il avait faites à l'empereur défunt, Ricci se contentât de prétexter le mauvais état de sa santé. Il fallut plus même : il lui fut formellement ordonné, cn protestant de son dévouement au saint-siége, d'insinuer que, vu les circonstances exceptionnelles où l'on se trou vait, il serait prudent de laisser le synode de Pistoie qui avait déjà huit ans de date, dans l'oubli où le reléguaient les actes diametralement opposés de l'évêque actuel.

236 . 1

La cour de Rome se serait peut-être arrêtée à ce dernier parti, si les affaires d'Espagne n'avaient stimulé son zèle. Le bruit de la condamnation prochaine du synode de Pis toie empêcha la publication espagnole des actes de cette assemblée, comme la crainte de cette publication allait faire procéder à leur condamnation. La peur, nous l'avons dit un peu plus haut, et toujours la peur, et rien qu'elle! La fameuse bulle Auctorem fidei parut enfin (28 août 1794). Ricci n'en eut connaissance que comme tout le monde, par la publicité; il l'envoya à Ferdinand en lui faisant part de l'intention où il était de ne pas répondre à ce qu'il était censé ignorer. Legrand-duc l'approuva, et fit défendre la réimpression et la vente en Toscane de la bulle pontificale. Ce qu'il y eut de remarquable pour ceux qui n'allaient pas au fond des choses, ce fut le peu d'effet que produisit la sentence du saint-siége : des intérêts trop importants en réalité étaient en jeu pour qu'on attachât la moindre im .

237 portance à une querelle de prêtres, à des débats de sacris tie. On sentit cependant que ce nouveau brandon de dis corde ne pouvait qu'augmenter le désordre qui se montrait de toute part et sous toutes les formes, et la bulle Auctorem fut suppriméeà Naples, à Turin, à Venise, à Milan, en Es pagne, en Allemagne et en France. A Rome même, elle n'excita ni intérêt, ni curiosité, etle pape fut forcé, pour la soustraire au mépris par le silence, de faire défendre à ses journalistes et à ses pamphlétaires de s'en occuper, soit en bien, soit en mal.

La bulle n'en avait pas moins été envoyée à tous les évêques de Toscane par le nonce pontifical. Falchi en exi gea l'acceptation formelle par le clergé de son diocèse, dont il accueillit les rétractations et les abjurations, et auquel il accorda l'absolution des censures, comme s'il se fût agi d'une hérésie manifeste, aux temps où l'hérésie étaitencore un crime social. Cet éclat, etc'était probable ment ce qu'on avait voulu par là, devait inévitablement retombersur Ricci : en effet, lorsque, à la campagne où il vivait dans la retraite la plus absolue, il se rendait à l'é glise,lepeuples'écartaitdeluicomme d'unpestiféré;cequi l'obligea à ne plusdirela messeque dans sa chapelle privée. Il y eut plus : son confesseur ordinaire lui ayant refusé l'absolution, il se vit réduit à en chercher un autre, ou moins ignorant, ou plus facile.

Ricci consacra ses loisirs à l'examen de la bulle dont il était l'objet : il constata facilement qu'aucune proposition n'était censurée positivement; iln'yavait decondamné que le sens dans lequel les propositions avaient été prises , 20.

238 1 etRicci repoussait ce sens aussi bien quele pape lui-même. Cette justification est demeurée manuscrite dans les ar chives de la famille, et rien ne détruisit dans l'opinion pu blique l'idée quel'ancien évêque, tel qu'un autreNestorius, c'était la phraséologie consacrée, - était un hérétique des plus dangereux. Et il l'était aux yeux des partisans de la cour de Rome, qui regardaient le jansenisme comme la cause du constitutionalisme français, au lieu de ne voir dans l'un et dans l'autre que des effets du changement des idées relativement aux relations sociales entre l'état et l'église.Hors de Toscane, il parut quelques réfutations de la bulle Auctorem fidei, notamment à Bruxelles etàLugano. Il y eut en cette circonstance ceci de particulier : les auteurs et coopérateurs du synode de Pistoie reconnurent l'orthodoxie des propositions avancées par le pape, mais, nièrent lajustesse de l'application de ces propositions pour démontrerl'hétérodoxiede leur doctrine, quele pape, pré tendaient-ils, n'avait pas comprise, etqueparconséquentil n'avaitpu anathématiser. Les étrangers, au contraire, taxè rent hautement le pape d'hérésie : c'était, disaient ceux-ci, le loyolisme ct le relâchement ( lassismo) des Bolgeni, des Cuccagni, des Marchetti et des Zaccaria; c'était une nou velle preuve évidente, bien que superflue, de la faillibilité du ponti e romain.

Mais le changement dans les événements amena néces sairement un changement dans les circonstances et dans les choses.Le synode de Pistoie, foudroyé à Rome, triomphait avec la constitution du clergé en France, et Ferdinand III

239

2qui venait, au profond chagrin de la cour pontificale, de conclure un traité de neutralité avec la grande nation, les républicainsfrançais étaientgénéralementdésignés sous cette épithète, -ne put plus,comme auparavant,permettre qu'on traînât dans la boue chez lui ce qui était élevé sur le pavois par ceux qu'il devait bien se donner de garde d'ir riter, pour ne pas compromettre son existence comme souverain. Ricci revint habiter la capitale.

CHAPITRE XXXIV.

Tandis que l'archevêque de Milan, les évêques et les prêtres de la haute Italie, occupée par les Français, van taient l'humanité et la piété des ci-devantcannibales, leurs vainqueurs, le saint-siége faisait passer les Français qu'il comptait vaincre, pour des impies et des barbares, décla rait dans ses proclamations qu'ils épousaient plusieurs

Proclamations sanguinaires et incendiaires du pape. Miracles à Ancône. Paix de Tolentino. Rome devient république. Elle se fait ré or matrice. La Toscane est envahie.

(Par un inexplicable « esprit de vertige et d'erreur, ) Rome croyait pouvoir résister à la république française. Elle rêvait une guerre de religion qui, à l'époque où l'on était parvenu, ne pouvait plus être autre chose qu'une échauffourée de quelques fanatiques, ni avoir pour résultat définitif, au lieu du succès qu'on s'en promeltait, que la ruine et la mort de plusieurs milliers de dupes.

> >

242 9

Quoi qu'il en soit, à peine les prodiges d'Ancône eurentà ils obtenu un succès aussi brillant, que Civita-Vecchia , Macerata, Ascoli et Rome elle-même voulurent avoirleurs madones miraculeuses. Pendant ce temps, les envoyés pontificaux à Paris, ayant essayé de ruser avec les membres du Directoire français qui les pressaient de conclure ou de rompre, reçurent leurs passe-ports, et la guerre fut déci

On avait eu soin, pour leur faire produire tout leur effet, de les faire coïncider avec les bruits généralement répandus de défaites que les armées républicaines auraient récem ment subies en Italie et en Allemagne. Aussitôt tous les habitants d'Ancône et de la banlieue , le cardinal-arche vêque Ranuzzi à leur tête, coururent voir l'image de la Viergeouvrir et fermer les yeux, comme, disait-on, Jésus Christ le lui avait ordonné. Après des enquêtes minutieuses, authentiquement constatées, plus de quatre-vingt mille témoins oculaires certifièrent le prodige dont, plus tard, le saint-siége fit perpétuer la mémoire par une inscription monumentale, et auquel riches et pauvres, simples et savants, incrédules et dévots, catholiques et réformés, ma hométans, jui s, tout le monde , en un mot, le général en chef Bonaparte nominativement compris, avaient, s'il faut en croire le professeur abbé Albertini , rendu un hom mage public et solennel.

femmes et adoraient plusieurs dieux, entre autres, l'arbre de la liberté, les accusait de violer les femmes et les filles partout où ils pénétraient, et de manger les enfants. Ces manifestes, stupidement incendiaires, furent bientôt suivis des prétendus miracles de la madone d'Ancône (juin 1796).

243 dée. En fin de compte, les miracles avaient échoué : la paix qui mit un terme à cette guerre dont la madone avait été la principale instigatrice, coûta au saint-siége, comme nous l'avons dit, deux provinces, trente-trois mil lions, les chefs-d'oeuvre de l'art ancien , beaucoup de per fidies inutiles, et une humiliation sans bornes.

Cette paix qui venait d'être conclue à Tolentino était aussi peu sincère que la lutte avait été peu sérieuse; elle cut pour résultat la singularité que nous allons rapporter. Le clergé anticonstitutionnel de France attaqua vivement le pape qui avait traité avecla république française; leclergé constitutionnel reprocha à Bonaparte de ne pas avoir saisi cette occasion unique pourmettre fin au schisme de l'église gallicane : la suite prouva qu'en agissant ainsi ce dernier s'étaitréservé,avecousansintentiondéterminée,lesmoyens tout à la fois de sacrifier l'église de France pour gagner le pape, et de faire peur au pape, non de l'église constitu tionnelle de la république, mais de l'église gallicane de Louis XIV.

Tout le monde aujourd'hui s'étonne de la facilité avec laquelle le général en chef de l'armée d'Italie, contre l'avis de tousses officiers, accordala paixau prêtre couronnéqui, l'empereur Napoléon l'a avoué à Sainte-Hélènc, avait fait assassiner soixante-quinze mille Français. Une ambition sans bornes, aussi prévoyante qu'opiniâtre, peut seule ex pliquer cette circonstance. Le monarque futur faisait déjà bon marché de ses soldats d'alors.

Rome n'en subit pas moins, peu de temps après, le sort qu'elle s'était préparé. Après le meurtre du général Du

phot, au milieu d'un tumulte populaire, l'orgueilleuse cité pontificale fut envahie par les Français, et déclarée républiquedémocratique, aux chants du Te Deum entonné par les cardinaux devant le grand autel de Saint-Pierre (1798), sans queles émeutes, excitées par quelques moines au nom de Marie, de la religion, du pape, pussent l'empê cher.

Un autre défenseur du serment civique fut l'abbé

C'était fort naturel : Rome, sous le gouvernement des prêtres, avait combattu à outrance pour les abus qui fai saient vivreles prêtres et dont elle-même vivait en partie; débarrassée d'eux, Rome sapait vigoureusementcesmêmes abus dont les prêtres seuls continuaient à profiter, tandis qu'elle en faisait en partie les frais. Lesréformesdont nous parlons rencontrèrent donc, de la partduclergécatholique dans l'ancienne capitaleducatholicisme,la même résistance contre laquelle elles s'étaienttoujours heurtées et souvent brisées ailleurs; le serment civique fut attaqué par lesuns, défendu par d'autres; défendu il faut le dire pour l'étrangeté du fait, même parmi tant de faits étranges en tous les genres - par l'ex-jésuite Bolgeni, conseiller in time de Pie VI, qui, outre cela, prit égalementsur lui de décider quelavente des biens du clergé par le gouverne ment, bien que condamnée par le saint-siége, n'en était pas moinsvalable etjuste.

- 244

La république romaine, à peine organisée, se hâta d'ap pliquer chez elle la plupartdesréformesecclésiastiques que le pape avait condamnées après que Ricci les eut exécutées au diocèse de Pistoie.

- 245 a

Le pape et le docteur Marchetti condamnèrent le ser ment.

21

Rappelons à cette occasion que le rédacteur de ces Mé moiresa eu l'honneurd'avoirpourcritiqueofficiel de l'His toire du Christianisme, alors Esprit de l'église, l'éminen tissime apologiste de la formule : Haine à la royauté et à l'anarchie, fidélité et attachement à la république.

PieVI s'était réfugiéen Toscane où, par unecirculaire, le grand -duc fit défendre à tous ses évêques d'aller le voir. Ricci,qui voulait éviterjusqu'aux moindres occasions dese compromettre ou plutôt d'être coinpromis, se retira de nou veau à sa villa du Chianti. Pendant qu'il s'y trouvait, les Français chassèrent de Rome les Napolitains qui les y avaient surpris, et refoulèrent leurs imprudents ennemis jusqu'à leurproprecapitale, d'où le roi Ferdinand de Bour bon passa en Sicile. Le 25 mai 1799, ils prirent possession de la Toscane.

Mastrofini qui, dans la suite, prouva mathématiquement, selon lui, l'unité réelle et la triplicité de Dieu; qui en 1822, futjugédigne d'allerramerpourtoutesa vieauxgalères,et qui enfin est mort cardinal. La confusion régnait jusqu'au sein du sanctuaire.

CHAPITRE XXXV.

Défaitesdes Françaisen Italie. Miracles anti-français en Toscanc. Les Arétins à Florence. Ricci est arrêté. Atrocités. Motifs de l'em prisonnementde Ricci. Martini abuse de lafaiblesse du prélatdétenu.

Ricci se trouvait accidentellement à Florence lorsque les Français y entrèrent, et il y fut retenu comme tout le monde par les lois contre l'émigration. C'était fåcheux pour lui, car on pressentait déjà que cette occupation armée de l'Italie centrale et méridionale ne durerait guère. Les troupes dela république essuyaient revers surrevers dans la haute Italie et en Allemagne, ce qui, joint aux troubles deParis sous un gouvernement faible et corrompu, devait ne pas tarder à forcer les républicains à la retraite. La réaction alors serait d'autant plus dure que l'action avait été vive, et l'ancien évêque de Pistoie, depuis si longtemps en butte aux calomnies et à la persécution, en deviendrait na turellement la première victime.

Quoi qu'il en soit, les Arétins placèrent leur madone, en possession depuis trois ans de faire des miracles continuels, à la tête de l'armée insurgée des catholiques, chargée de poursuivre les traînards républicains, en pleine retraite depuis la déroute de la Trebbia, de lesdépouilleret de les égorger partout où ils les rencontreraient. Les Français

248 !

Lorsque éclata la trop fameuse insurrection d Arezzo, tout était prêt à Florence pour prendre unepart active aux excès qui allaient souiller la cause du catholicisme et des monarchies. Pendant qu'avaient lieu les miraclesdes états romains, la capitale de la Toscane avait aussi ses prodiges. Des lis placés devant une image de la Vierge dans une des rues de Florence, quoique déjà desséchés en apparence, venaient defleurir : l'archevêque crut le momentfavorable à l'opinion àlaquelleil appartenait, et il alla processionnel lement prendre l'image pour la déposer à la cathédrale. Depuis cette époque, Martini, bien qu'il n'y crût pas le moins du monde, se vit, pour ainsi dire, forcé d'appuyer tous les miracles qui seprésentèrent,soit avant l'arrivée des Français, soit après leur départ; car, pendant le temps de leur séjour, il ne s'opéraitordinairementaucunprodige. Ce fut ainsi qu'en 1800, il favorisa ouvertement l'enthousiasme du peuple qui se portait en foule dix mille personnes à la fois aux collines de Rosano, pour voir une bergère qui assurait qu'elle voyait une åme ; ce fut ainsi encore que, six ans après, il confirma la multiplication surnaturelle de l'huile servant à alimenter les lampes d'un couvent de do minicaines, ct que la dévotion des fidèles qui venaient s y oindre épuisait à chaque instant.

s'étaient repliés sur Gênes. Les Arétins entrèrentà Florence (7juillet 1799), comme nous l'avons dit plus haut, sous la protection spéciale de l'image miraculeuse de la Vierge qui, alliée de l'Autriche et des Turcs, devenus les champions avoués de la foi orthodoxe, des Russes se constituant les défenseursde la papauté, etdes Anglais protégeantles états de l'église romaine et le despotisme des gouvernements absolus, couvrait de sa bannière le ministre Windham et sa maîtresse, la Mari, en habit d'homme, tous deux décorés de l'ordre de Marie, et un capucin chargé de crucifix et de pistolets. Les amis de Ricci le pressaient de quitter la Toscane : il s'y refusa, pour ne pas exposer sa famille, comptant d'ailleurs sur l'évidente neutralité dans laquelle il s'était tenu pendant tout le temps qu'avait duré l'occupa tion française.

249

Les choses se seraient en effet passées pour lui comme il se le figurait, si les Arétins n'avaient obéiqu'àleurs propres impulsions. Leur levée de boucliers n'avait eu pour but ostensible que la délivrance de leur patrie et le rétablisse ment de l'ancien ordre de choses; ils n'en voulaient qu'aux Français etaux républicains italiens qui les avaient ouverte ment favorisés. Mais ce n'étaient pas là les projets des ennemis de Léopold et de ses réformes. Les grands, les moines, les prêtres, la cour de Rome, auraient cru n'avoir rien fait, s'ils n'avaient profité des circonstances pour écraser l'ancien ami et coopérateur du dernier grand-duc, et la perte de Ricci fut jurée. Accusé du crime de léopol disme,on le traqua partout, et finalement il futarrêté à Flo rence (11 juillet) sur un ordre signé par le commandant 21.

Mari, le mari de la maitresse de l'Anglais Windham, con duità piedentredeuxsbires, à travers la ville, pendantune soirée d'illumination générale, et traité en prison de la manière qu'on estima la plus ignominieuse et la plus pé nible pour lui.

Une fois Ricci en prison, lesArétins,qui n'avaient aucun grief contre lui, qui même, pour la plupart , n'en avaient jamaisentendu parler, nes'en occupèrentplus. L'évêque fit alors un appel à la générosité de l'évêque de Fiesole et de l'archevêque Martini , en laquelle il avait l'ingénuité de

1 >

Ricci, qui nous a laissé de précieux quoique déplorables détails sur cette époque honteuse pour son pays, ne se plaint, quant à lui personnellement, que de l'impossibilité où sa détention le mettait de se soustraire aux scènes de cruauté, d'impiété , de débauche, dont les Arétins vain queurs se rendaient coupables sous ses yeux, au cri de vive la madone! Le meurtre des jacobins - on appelait ainsi ceux dont on voulait se défaire était hautement prêché comme uneactionhéroïque. Le professeur pisan, César Ma lanima,letendre défenseur desenfants mortssansbaptême, alla même jusqu'à publier une apologie raisonnée de ces horreurs , et il l'appuya sur l'ordre donné aux Juifs par le Dieu de ce peuple choisi, d'égorger tous les idolâtres qui, dit le prêtre érudit, étaient lesjacobins de leurépoque. Des malheureux auxquels les Arétins n'auraientjamais songe, étaient signalés à leur vengeance par leurs fanatiques con citoyens, par des prêtres surtout, qui ne se faisaient pas faute, pour acquérir le mérite d'une action aussi louable, de violerle secret quela confession leuravaitfaitconnaîlre.

250

251 >

>

croire, comme il avait la bonhomie de se figurer qu'il était, ainsi que tant d'autres,victime des passions politiques du moment. L'archevêque,tout-puissantauprèsdu gouver nement provisoire sénatorial , alla trouver son ancien col lègue et le traita avec dureté et mépris. Ricci apprit de lui qu'il était détenu, non comme partisan des Français, mais comme instigateur des réformes léopoldines, et que, s'il ne sehâtait d'accepter, aveclemondecatholique, la bulle Auc torem qui l'avait condamné, s'il ne condamnait son propre synode de Pistoie, s'il ne rétractaitl'approbation qu'il avait donnée au serment de fidélité à la constitution civile du clergé de France, s'il n'abjurait enfin ses relations avec l'église hérétique et schismatique d'Utrechtet tousles pre tres novaleurs de ce temps, le peuple se porterait contrelui aux dernières extrémités. Ricci eut peur. Martini s'en aperçutet, d'accord avec les meneurs de son parti, résolut d'exploiter la situation aussi largementquepossible. L'ar chevêque retourna auprès du prisonnier, mais cette fois avec une affectation pateline de sensibilité et de dou ceur que l'ancien évêquepaya de la plus entière confiance. Il écouta Ricci avec toutes les apparences d'un intérêt sin cère, et lui donna presque toujours raison dans la conduite qu'ilavait tenue envers ou plutôt contre la cour de Rome; mais il n'en conseilla pas moins au prélat de céder aux cir constances, en réprouvant lui-même tous les actes de sa vie passée et lesmaximes qui en avaient été la règle constante, seul moyen, affirmait le prêtre cautelcux, d'échapper à la vindicte publique et de recouvrer sa liberté. Ricci finit par se soumettre.

Mais la lettre qu'il écrivit à Martini dansle sens convenu et pour être rendue publique, ne parut pas assez catégori que. L'archevêquerevint à la charge, et l'ancien évêque de Pistoie, qu'un premier acte de faiblesse avait rendu plus fa cile à persuader pour qu'il en commit un second, s'en remit au prélat même, son ennemi, pour les corrections à faire à sa missive. Cette pièce importante fut donc rédigée denou veau et cette fois par l'archevêque de Florence même : malgré cela, elle fut déclarée insuffisante par les chefs du parti papalin. Il fallut que, poursortir de peine, l'évêque démissionné acceptât purement et simplement la bulle Auctoremfidei. Ricci céda encore. Dans unelettre adressée au pape, et qu'il corrobora par une autre lettre à Martini que celui-ci étaitautorisé à publier, le malheureux évêque renouvela ses tristes déclarations.

C'était assez pour les projets rétrogrades des ennemis de Léopold; ce ne l'était pas pour les ennemis de Ricci, Ils reprochèrent à l'archevêque, leur instrument, de s'être mêlé, sansautorisationspéciale, d'uneaffaire qui regardait directement lepape, et que le nonceseul pouvait terminer régulièrement, d'après les instructions et sur l'ordre du saint-siége. L'archevêqueavait obtenu ce qu'il voulait, l'hu miliation de son rival; il l'abandonna volontiers à ceux qui voulaient en outre prolonger leur vengeance. Il avait ré pandu partout les lettres que Ricci lui avait confiées; il n'envoya pas au pape celle qui lui était destinée, et l'ancien évêque de Pistoie demeura en prison.

>

252

On s'étonnera peut-être de la facilité, disons mieux, de la faiblesse avec laquelle l'ancien évêque de Pistoie avait cédé aux perfides suggestions et aux menaces odieuses de l'ar. chevêque Martini. Cet étonnement cessera en grande partie si l'on réfléchitaux malheurs de cette terrible époque, et si l'on se rappelle les atroces vengeances qui ensanglantèrent alors l'Italie, livrée aux colères de la royauté et du sacer doce triomphants après avoir été si cruellement humiliés.

Ce qui se passait dans la patrie même de Ricci et, pour ainsi dire, sous ses yeux, nous voulons parler de l'auto da-fé de Sienne, où, de seize juifs immolés par les Arétins, trois avaient été brûlés vifs avec l'arbre de la liberté, scène affreuse que bénit l'archicvèque Zondadari, ancien nonce

CHAPITRE XXXVI.

>

Malheurs de l'Italic. Les Bourbons de Naples. -- Cruelles persécutions. -Guerre contre les Français. République parthénopéenne. Terro risme monarchique, Emma Hamilton. Carolined'Autriche.

pontifical en Belgique, - ce qui se passait sous ses yeux n'était que trop fait pourébranler la fermeté du prélatdé tenu. Lesévénementsde Naples, oùses amisétaientsacrifiés en masse à l'idolâtrie monarchique et pontificale, étaient de nature à briser une tout autre énergie que la sienne.

L'Autrichienne Caroline régnait de droit sur les Deux Siciles : par stipulation matrimoniale, Ferdinand de Bour bon n'avait de rôle à jouer que comme son mari. Fille de Marie-Thérèse, la Pieuse, seur du philosophe Joseph II et du réformateur Léopold, Carolineavait montré, elle aussi, des velléités de redresser les abus; les hommes éminents du royaume de Naples s'étaient empressés de seconder ses désirs. Elle les avait connus de cette manière, et quand le caprice lui eut inspiré une fantaisie opposée, quand la peur lui cut fait augmenter et renforcer les abus anciens pourne pas se voir exposée à être balayée elle-même avec les abus qu'elle avait cherché à renverser, il lui fut facile de témoigner sa haute reconnaissance à ceux dont elle s'était servie, en faisant tomber sur eux ses premiers coups.

On avait, à Naplescomme enFrance, préludé à des idées plus graves par la vogue de l'anglomanie. On ne sentait cncore généralement qu'une chose, c'est qu'il fallait qu'on

Qu'on nous permette d'interrompre notre récit : une courte digression sur le terrorisme légitimiste de la basse Italie nous ramènera tout naturellement aux procès réac tionnaires de l'Italie du centre. L'histoire n'a point de pri viléges, et il ne serait pasjuste de charger la seule démo cratie du monopole des violences , de l'horreur et du dégoût.

254

255

fût autrement qu'on n'était : tout le monde en Europe éprouvait une espèce de gêne, de malaise, qui portait jus qu'à ceux qui avaient le moins à se plaindre de l'ordre existant, à vouloir le changer afin d'en jouir plus commo dément. Et ceux qui souffraient de cet ordre, les aidaient de leur mieux. Comme le despotisme se montrait partout, c'était partout à la liberté qu'on aspirait plus ou moins ouvertement. On ne comprenait pas encore que la liberté est un fléau quand elle n'a pas la vérité pour guide. Là même où l'on ne s'avouait pas qu'on voulait être libre, on s'efforçait à singer, du moins dans leurs ridicules, ceux qui passaient pourjouirde la liberté. C'est ce qui avait lieu à Naples. Mais bientôt la cour craignit que la jeunesse ne prit la chose ausérieux, et lesanglomanes furent convertis en conspirateurs, les prisons se remplirent, le sang teignit les échafauds.

La police, c'est-à-dire l'espionnage et la délation, incri minantlesgestes, les intentions,la pensée,le silencemême, répandant partout le soupçon et la défiance, rompant tous les liens moraux pour mettreàla place l'espritde cupidité, de vengeance, de vanité, d'ambition, d'égoïsme en un mot, était regardée comme le seul moyen de gouvernement qui pût sauver l'état, tandis qu'ill'entraînaitrapidement vers sa ruine. Les lois secondaientcette inquisition politique, dont on se fera quelqueidée par lespeinesappliquées à certains délits : par exemple, l'habitude de monter à cheval ren dait véhémentement suspectde tendances révolutionnaires ; la lecture des écrits de Voltaire était punie de trois ans de travaux forcés, et celle de la gazette de Florence, à 7

256

Rome, on devait s'y attendre, profita de circonstances aussi favorables à ses vues : lorsque le roi de Naples, à son retour de Vienne , avait traversé la capitale des états pontificaux, il s'était facilement laissé insinuer par le pape qu'il n'y avait quedes ennemissecrets du trône qui eussent pu se proposerd'ébranlerl'autel,d'où ilavait naturellement conclu queles défenseurs des droits dela royauté contre les prétentions du saint-siége étaient en réalité d'ardents et dangereux démagogues. Serao, évêque de Potenza, écrivit à ce propos à Ricci, son ami (1797), unelettredanslaquelle il lui fit part de l'arrestation de Jérôme Vecchietti, official au département des affaires ecclésiastiques, qui s'étaitlaissé

cause des réformes de Léopold, de six mois de prison. Acton, médecin ranc-comtois,que la hainepoursa patrie où il avait échoué, et la honte de sa profession avaient changé en Hecton, noble anglais, né pour les postes les plus élevés dans la marine, était la cheville ouvrière de ce triste rebroussement : ministre du roi, favori de la reine qu'il dominait par le plaisir et par la peur, il fit des conjurés de tous les hommes d'intelligence et de dévoue ment qu'il redoutait, parce que, sans talents lui-même, sans vertu et sans pudeur, il n'avait ni dévouement ni mérite. Il ne savait qu'une seule chose : ramper sous le pouvoir pourparvenirà le dominer, puisécraser tousceux qu'il avait laissés sur la route. Le marquis Vanni, le Fou quier-Tinville de cette déplorable époque, et son complice le prince de Castelcicala furent, conjointement avec la junte d état, les instruments serviles et actifs du ministre Acton.

Ricci voyait déjà là ce qu'il avait à attendre du touchant accord qui, dans ces temps d'agitation et de trouble, régnait en Toscane entre ses ennemis du dedans et ceux qu'il avait à la cour pontificale.

Maiscen'étaitrienencore en comparaisondes actesféroces qui ensanglantèrent le même théâtre deux ans après ce que nous avons rapporté. Le roi de Naples, burlesque cham pion de ce qu'on appelait les idées de religion et d'ordre, voyant l'Italie échapper aux Français, attaqués à la fois par l'Autriche, la Russie, l'Angleterreet jusque parla Tur quie, s'était porté sur Rome, à la tête d'une armée qui semblait formidable, mais en avait bientôt été refoulé par une poignée de républicains; ceux-ci, à la poursuite des fuyards,allèrent, sanss'arrêter,organiserlarépubliquepar thénopéenne à Naples même, etFerdinand, emportant tout l'or, les joyaux et les choses précieuses qui étaient sous sa main, et faisant brûler ce qu'il devait laisser derrière lui, se retira comme un voleur, sous la protection de sa femme, de lady Hamilton et de Nelson, dans ses élats de Sicile. La nouvelle république, comme celle de Rome, comme la dé mocratie toscane, n'avait d'avenir que par la présence des MÉMOIRES DE RICCI. 22

257 mourir de faim pour échapper aux rigueurs et aux ennuis de la détention; de Forges Davanzati, évêque de Canosa ; de Conforti, théologien du roi; du savant Marius Pagano, juge del'amirauté et professeurde droitcriminel; deJoseph Cestari, archiviste de la cour; du père Monticelli; d'Ignace Gioja; de Louis Rossi, et de tant d'autres serviteurs de la monarchic, tous amis éclairés et zélés du roi, et tous pour suivis pour opinions antimonarchiques.

2

Nous répétons que, par lui-même, Ferdinand n'était pas 7

troupes françaises, et ces troupes, mal soutenues par un gouvernement sans force et sans pudeur, n'avaient plus de chance de salut qu'en une prompte retraite. Bientôt une capitulation, honorable pour les vainqueurs comme pour les vaincus, si elle avait été respectée, rendit à Ferdinand la capitale de son royaume. Ses auxiliaires les plus actifs avaient été les insurgés des Calabres, qui, enflammés et fanatisés par le cardinal Ruffo, venaient d'assassiner dans son lit le même évêque de Potenza dont nous venons de citer la lettre à Ricci.

258

Fabrice Ruffo, vicaire du roi et du pape, c'est ainsi qu'il se faisait nommer, - excommunié par le cardinal Zurlo, archevêque de Naples, qu'il avait excommunié à son tour, était, hátons-nous de le dire, le seul au milieu de cette écume et de cette lie de notre civilisation cor rompue, qui eût conservé quelques sentiments généreux; comme chef de guerre, comme chef de partisans, il ne permettait que les excès et les turpitudes qu'il ne pouvait empêcher et qui sont inséparables de toute insurrection violente. Quand il donnait sa parole, c'était loyalement, et avec la ferme intention de la tenir. Le seul reproche qu'on pût lui faire dans la terrible mission qu'il s'était donnée, était d'être prêtre. Du reste, il se battait pour son pays contre les étrangers, pour ses opinions contre ceux qui en avaient d'opposées, mais nullement pour Ferdinand qu'il méprisait pour le moins autant que le méprisaient les ré publicains eux-mêmes. Voyons maintenant comment cette brute couronnée usa de son triomphe.

Onarrêta sous les yeux du roi plus de trente mille indi

259 plus capable de mal que de bien ; mais la reine Caroline, impérieuse et faible, superstitieuse et incrédule, livrée à toutes ses passions qui la ballottaientsans fin ni cesse entre les excès les plus contraires, ne pouvait faire que le mal. Obsédée par Acton, elle disposait de lady Hamilton, femme de l'ambassadeur anglais à Naples, qui disposait elle-même de l'amiral Nelson,etNelsonn'hésita pasà sacrifier, en cette circonstance si horriblement mémorable, son propre hon neur avec celui de son gouvernement. La capitulation faite par les patriotes napolitains, capitulation signée par le car dinal Ruffo et le commandant Micheroux pour le roi des Deux-Siciles, par les Anglais, les Russes et les Turcs, fut froidement violée par Nelson, exécutant un décret de Fer dinand, obtenu par la reine et imposé par l'ambassadrice anglaise à son amant l'amiral anglais ; les patriotes napo litains furent vendus à prix d'or par les républicains fran çais aux égorgeurs de Naples, et lâchement abandonnés, signalés même au milieu des rangs français, par le chef des républicains, Méjean; une commission de jugeurs fut nommée, et la coupe réglée des meilleurs citoyens, roya listes et démocrates, évèques, prêtres, moincs et laïques, commença.

Les noms des membres de lajunte appelée pour condam ner et non pour examiner les prévenus, véritable tribunal de sang, ou plutôt abattoir humain, méritent d'être con servés : ce sont Ange Fiore, Joseph Guidobaldi, Antoine la Rossa , Damiani, Sambuti, et le plus monstrueux de tous, le Sicilien Speciale.

Dans les provinces, les autorités réactionnaires faisaient de leur mieux pour atteindre à cet idéal de cruauté. Le meunier Caïelan Mammone, nommé par Ruffo comman dant de l'insurrection de Sora, fit, dans l'espace de trois mois, fusiller trois cent cinquante personnes, tandis que ses satellites en massacraient le double. Il buvait le sang de ses victimes,-ceci est à lalettre,--et, à défaut, buvait le sien propre lorsqu'on le saignait.Sa coupeordinaire était un crâne fraîchement préparé.Ferdinand,encore en Sicile, lui écrivait :« Mon général et mon ami! »

Les traits de l'inhumanité la plus froide et la plus raffinée )

On mit en prison des enfants de cinq ans; on en exila de douze ans; on en mit à mort qui avaient à peine atteint leur majorité.

- 260

vidus, parmi lesquels se trouvaient des aliénés, échappés de l'hospice des fous.

Non content de frapper les citoyens du glaive de la loi, loifaite pourla circonstance etaprès coup,on les massacrait dans les rues: on enjetajusqu'à cinqà la fois, vivants,dans les flammes, et leurs membres rôtis furent dévorés par les cannibales du royalisme!...

Tout ce que Naples possédait de noble par la naissance, de plus noble encore par l'intelligence et le caractère, des hommes dont le nom était connu et honoré dans l'Europe entière, des femmes illustres à plus d'un titre, des familles coupables seulement de posséder des richesses que le pou voir ou ses agents convoitaient, périrent ainsi de la manière la plus atroce, par la volonté d'un imbécile que la peur avait fait tyran.

Avant de clore ce triste chapitre, et pour ne plus avoir à revenir sur les deux femmes perdues qui y jouent un rôle si honteux, disons-en encore quelques mots.

261

distinguent cette époque de terrorisme monarchique ; l'his toire contemporaine en a conservé l'horrible souvenir.

Le roi assistait paisiblement à la tuerie,du haut d'un bâti ment mouillé dans le port,etentouré d'autres bâtiments où mouraient sous de barbares traitements des centainesde pri sonniers. Lorsqu'on lui en présentait un plus particulière ment, il ordonnait, avec sa stupide bonhomie ordinaire, de le bien traiter, ce queses gens exécutaient aussitôt en le menant au supplice. Ce fut là que Ferdinand vit à ses côtés le cadavre de son ancien ami , l'amiral prince Caracciolo que Nelson, jaloux de son mérite, avait fait condamner à mort par la junte napolitaine; à qui il avait refusé la grâce d'être fusillé, et qui maintenant, la corde encore autour du cou, venait, poussé par les vagues,reprocher en quelque sorte à son royal bourreau son infamie et sa lâcheté.

Ces détails fort incomplets d'ailleurs n'expliquent-ils pas suffisamment, nousdironsmême nejustifient-ilspas jusqu'à un certain point la peur de tous les Italiens qui avaient quelques bonnes idées à se reprocher , dont la conscience était chargée de quelque action méritoire, et surtout celle du malheureux évêque de Pistoie?

Emma, fille de Henri Lyon ou Lyons et d'une femme Ca dogan (1764),prit,outre lenom de sonpère, celui de Harte; on ignore à quel titre et pourquoi. D'abord servante de ca baret,s'abandonnantau premiervenu,puisprêtantses char mes aux spéculations d'un charlatan qui l'exposait, pis que 22.

nue, aux regards de ses adeptes, après cela faisant lemé tier de modèle pourles peintres qui la représentèrent sous toutes les formes, enfin livrée à la prostitution publique, Emma étaitpassée, des mains deCharles Greville, neveu de lord Hamilton et dont elle avait trois enfants, à celles de l'ambassadeur lui-même qui l'acheta au prix du payement des dettes de son amant, en fit sa propre maîtresse, finit par l'épouser (1791), et la partagea pacifiquement avec la reineCaroline et lord Nelson dont elle eutune fille, double mentadultérine.Car,remarquablementbelle,lady Hamilton ne serefusait pas plus à aucune espècedelibertinage,qu'elle ne reculait devant aucun crime. En traçant ces lignes, nous avons sous les yeux une lettre originale de Nelson, duc de Bronte, écrite parlui peu avant la bataille de Trafalgar, et dont une page est de la main d'Emma Hamilton, qu'il avait introduite au sein de sa famille, où elle avait été accueillie. Nous trouvons ce trait plus extraordinaire que celui de la bassesse des souverains coalisés contre la France, et qui acquittaient en adulations envers la courtisane anglaise, la dette qu'ils avaient contractée envers le marin anglais. Après la mort de son mari et de son dernier amant, qui avaitsollicité pour elle une pension du gouvernement bri tannique,Emma seretira riche,mais méprisée, en Hollande, et, ayant repris, avec la vie de sa jeunesse, ses habitudes de prodigalité et de désordre, elle alla mourir en France dans une auberge près de Calais(1815) : elle était retombée dans la misère etl'avilissementde ses premières années. Caroline d'Autriche avait débuté par vouloir faire assas siner à Bâle, où il s'était réfugié pour échapper au glaive 2

- 262

263 de la terreur démocratique de France, l'historien Gorani qui, dans ses Mémoires critiques des cours, des gouverne ments et des moeurs des principaux états d'Italie, avait vigoureusement flétri la cour de Naples.

Un de sesagents révolutionnaires,le tropfameux FraDia volo, venait d'être pris et pendu, lorsqu'elle envoya (1807), du fond de la Sicile à Naples, AntoineMosca pour, cette fois sans ambages ni circonlocutions, tuer le roi Joseph Bona parte. Mosca fut arrêté les armes à la main, une tresse des cheveux de la reine au bras, et dans sa poche le billet auto graphe par lequel l'auguste conspiratrice lui ordonnait « de faire pour le bon service du roi ce qu'il avait promis, » et elle « l'assurait de sa protection (28 février). » Une lettre de la marquise de Villa Tranfo , confidente de Caroline, complétait la missive royale, en disant que ce que la reine lui avait ordonné au mois de février était de délivrer sa patrie de l'usurpateur,et qu'on exécution de ses promesses, elle le ferait colonel et le comblerait de biens (30 avril). Mosca fut jugé militairement et fusillé (juillet), mais les pièces principales du procès demeurèrent inconnues au pu blic, le Corse, autocrate du continent, jugeant avec raison que, pour ne pas faire évanouirle peu de respect qui s'atta chaitencore à laroyauté,il fallaitcacheravecsoin lesforfaits de ceux qui, amis ou ennemis, portaient une couronne. Quelque temps après, Caroline, qui voyait la plus brillante des couronnes s'affermir de plus en plus sur la tête de Napoléon, essaya de capter sa bienveillance en lui faisant proposer dela soutenir par les armes après qu'elle aurait, pour lui rendre service, fait massacrer tous les Anglais qui

264

Ces motifs ne peuvent rien sur nous : nous n'écrivons ni pour un homme, ni pour unecaste ouune classe d'hommes, ni pour une institution quelconque, ni pourquelque opinion que ce soit ; notre but est exclusivement de rendre justice aux hommes etauxchoses du passé, ainsi qu'à préparer la voie au triomphe social de la raison pourl'avenir, et de ce point de vue nous pouvons dire avec le comte de Maistre que, quand on possède une vérité, fût-elle de nature à cho quer toutle genre humain, il faut se hâter de la lui jeterà la face.

Et maintenant que nous avons bien mis au jour quel était le véritable état des esprits et des choses en Italie, nous revenons à l'histoire de Ricci.

Toutes les pièces du procès d'Antoine Mosca, et entre autres le billet de Caroline, la lettre de la marquise 'Tranfo, le sauf-conduit particulier de Mosca , signé W. Sidney Smith, et le passc-port sicilien de l'assassin, apostillé par le même Sidney Smith, qui déclare que Mosca est employé au service public, sont entre nos mains.

se trouvaient en Sicile. Ceite proposition infernale demeura ensevelie dans uneprison d'état avec l'agent qui en avait été l'intermédiaire,jusqu'à la chutedel'empereurdes Français, et pour les mêmes motifs.

Caroline,devenue à chargeauxAnglaislorsqu'ilsjugèrent qu'elle ne pouvait plus leur être utile , fut envoyée par lord Bentinck à Vienne, où elle mourut (1814).

CHAPITRE XXXVII.

>

Ils se soumirent, mais de mauvaise grâce et en murmu rant tout haut. Ricci fait remarquer que rien n'eût été plus facile en ce moment que de déterminer les Arétins à sejeter entre les bras des Français pour chasser, de concert avec eux, les Allemands de l'Italie, C'eût été un spectacle, sinon édifiant, du moins fort instructif.

Les excès et turbulence des Arétins, et surtout leurs insoutenables prétentions de mettre au pillage le quartier des juifs en compensation de la aveur qu'ils avaient, di saient-ils, faite à la ville de Florence en ne la saccageant pas lors de leur entréc, lassèrent jusqu'aux Allemands même, au profit desquels l'insurrection arétine avait éclaté. Le général Klenau ordonna aux soldats de la madone de vider la capitale de la Toscane.

Les Arétinssont renvoyésparles Allemands.--- Ricci en liberté. Gouver nementsénatorial. Ricci est arrêté de nouveau. Le père Bardani. Vexations monacales.-Jérôme Savonarole. - Ignorance d'un professeur.

Mais les souffrances du prêtre persécuté ne devaient pas encoreavoirun terme. Après le départdes Arétins, le pou voir arbitraire tomba aux mainsd'un comité, composé des sénateursAméric Antinori , Roland del Benino et Marc Co voni, assistés de l'auditeur Pierallini, du secrétaire Giunti etde l'avocat Cremani. Pour donner une idée de ce qu'était cette junte gouvernementale, il suffira de dire que les deux derniers que nous avons nommés finirent leur car rière par se faire condamner pour banqueroute fraudu leuse et pour faux. Giunti, afin de mériter la confiance du triumviratsénatorial , avaitfaitdresserun acteauthentique pour constater que, pendant l'occupation française, il avait joué,au profit de la restauration future des Autrichiens, le rôle d'agent provocateur, d'espion et de traître. Ces tyran neaux au petit pied se constituèrent en chambre noire, et organisèrent une véritable proscription contre tous ceux qui ne partageaient pasleurfanatisme rétrograde : rapines, cruautés, emprisonnements, expositions infamantes,est-ildit dans une brochure du temps, rien ne fut épargné pour tirer une éclatante vengeance des citoyens qui , sous le règne précédent, avaient travaillé à l'extirpation des abus. C'était exactement comme à Naples, pour autant toutefois que le permettaient les moeurs du peuple toscan, sinon meilleures au fond, du moins infiniment plus douces dans la forme que celles des lazzaroni.

Peu après sa sortie de la forteresse, Ricci tomba malade.

266 7

Avant de quitter la place, le commandant du fortoù Ricci était détenu lui annonça qu'il n'y avait rien à sa charge et le fit mettre en liberté.

267 1

A peine rétabli, il se rendit chez l'archevêque qui se vanta complaisammant devant lui de l'autorité sans bornes dont il avait été investi par le nouveau gouvernement sur les prêtreset les fidèles soupçonnés d'immoralité et arrêtés en conséquencedepuislaretraite des Français.Il en usa bientôt contre Ricci lui-même.L'ayant fait appeler chezlui,Martini signifiaàsoncollèguequelesénat,seconformant à lavolonté dupeuple,-on voit que, sous lapression de l'ignorance, la populaireparolesertaudespotismeautocratiquecommeaudespotismepourdéguiserlapensée,-luiordonnaitdese retirer dans un des couvents de la capitale. C'était le livrer à ses plus mortels ennemis. Aussi Ricci, qui avait peine à y croire, demanda-t-il à voir le décret des sénateurs. Mais ce décret n'existaitprobablementpas,et le prélat n'en fut pas moins obligé de plier sous la force. Il ne lui restait que le choix de sa prison : il demanda à se rendre chez les pères de la mission qui eurent la lâcheté de refuser de le recevoir. Il se décida finalementpour les dominicains, et se retira au couvent de Saint-Marc. secrétaireIlyeutpourgeôlierlepèreBardaniquidevintdanslasuitedelacongrégationdelIndex,etquiprouvadèslorssavocationpourunemploiquelconqueausaint-office, en traitant son prisonnier comme appartenant déjà à l'in quisition. Le père Bardani était un dévot entêté, dur et peu éclairé. Il vit donc de mauvais æil les nouvelles démarches de l'archevêque qui cherchait sincèrement ou se donnait l'air de chercher à faire aboutir la première négociation entre l'évêque emprisonné et le pape. Voici comment, cette fois, les chosesavaientété disposées. :

Mais ce n'était pas là ce que voulait l'atrabilaire domi nicain. L'espèce d'accord qui semblait régner entre un moine d'un ordre jadis rival de celui de saint Dominique, l'archevêque aussi janséniste, disait-il, et aussi peu ami dupape que Ricci lui-même, et cet ancien évêque, dont il ne pouvait croire la rétractation sincère, le tourmentait fort. Il chercha à le rompre, et y réussit facilement, en réveil lant les craintes de Martini relativement à l'improbation avec laquelle le saint-siége ne manquerait pas d'accueillir son intervention inconsidérée. Ce point obtenu, il ne s'agis saitplus que d'empêcher les lettres de Ricci de parvenir à leur adresse : à cet effet, le père Bardani attira l'attention des Autrichiens surles allures suspectesdu père Ariete,qui :

268

Un ex-jésuite espagnol, fortinsinuant,pour ne pas direin trigant, nommé EmmanuelAriete,de la familledelaPuebla, qui avaiteul'artde se faire nommerprofesseuràVienne par JosephII; qui après cela était devenu précepteur desjeunes princes Ypsilanti,à Constantinople;qui avaitsuivile général Bonaparte dans le cours de ses victoires en Italie et l'avait mis en rapport avec le cardinal Mattei, le médiateur entre le conquérant républicain et le souverain pontife lors du traité de Tolentino; qui enfin se vantait d'être le confesseur du général Gaultier, commandant en chef des troupes françaises en Toscane chose au moins douteuse, à une époque où les confesseurs n'étaient guère de bon ton aux armées de lagrandenation ; -un ex-jésuite, disons-nous, se chargea de remettre à Pie VI, à Valence, les lettres de Ricci, auxquellesjusqu'alorsl'archevêque n'avait pas donné cours.

23

Pie VI était mort sur les entrefaites. Martini à qui on ne saurait refuser quelque velléité, du moins en apparence, de meltre in terme aux souffrances de son collègue, lui conseilla d'écrire au pape futur par l'entremise du doyen du sacré collége. Bardani l'apprit, et il engagca le nonce pontificalàintervenir sansdélai à sontour, afin,espérait-il, d'empêcher les bons effets de cette démarche. Ricci s'ex cusa auprès du nonce sur ce qu'étant déjà engagé envers l'archevêque, il se trouvait dans l'impossibilité d'accepter ses bons offices, et le nonce se retira irrité. Martini, qui avait appris que le nonce s'était offert, refusa de son côté de s'occuper davantage d'une affaire que l'agent du saint siége avait voulu prendre sur lui , et le père Bardani triompha.Cependant la santé de son prisonnier déclinait à vue d'ail. Les amis de Ricci s'adressèrent à l'archevêque pour obtenir sa mise en liberté; l'archevêque répondit que le sénat seul avait cette autorité : ils se tournèrent vers les sénateurs, et ceux-ci s'excusèrent sur ce qu'ils avaient chargél'archevêque de réglersouverainement et sans appel les affaires ecclésiastiques, et de décider de la mêmema nière du sort des évêques, des prêtres et des moines qui avaient été incarcérés. Ce qu'il y eut de clair dans tout cela, c'est que Ricci demeura séquestré à Saint-Marc.

Ce qui le chagrinait le plus, c'est que les moines, avec la permission de Martini, l'empêchaient de dire la messe dansleuréglise,et qu'il était même question de lui défendre :

269

fut arrêté à Bologne comme espion, et dont les papiers fu rent saisis.

270 ) entièrement de la dire. En attendant, il la célébrait dans la chapelle du « vénérable Savonarole, saint martyr, dit Ricci, dont les malheurs avaienteu beaucoup d'analogie avecles miens. » Et à cetteoccasion l'ancien évêque de Pis toie nous apprend que ce moine réformateur, visionnaire sans aucun doute, zélé républicain, condamné par l'inqui sitioncomme hérétique, etbrûlé par ordre du plusinfâme des papes qui ont déshonoré ce qu'on appelle la chaire de saint Pierre. , uniquementparce qu'il avait dévoilé ses tur pitudes et sa perversité,avait été invoqué parsainte Cathe rine de Ricci, et tacitement canonisé par Benoît XIV. Nous venons de voir que Ricci l'honorait comme un saint; les dominicains, ses geôliers, au couvent desquels néanmoins les cellules de Savonarole portent encore aujourd'hui l'in scriptiond'homme vénérable et apostolique, levilipendaient comme un fanatique et un brouillon.

Ricci utilisaitses loisirs à la bibliothèque du couvent, en méditant les écrits des anciens pères de l'église. Un de ses biographes nous a conservé à ce propos l'anecdote sui vante : lepèredominicain Arizzarca, professeur à l'univer sitéde Pise etqui s'est fait un nom par sa naïve ignorance, se plaignait souvent au cuisinier de Ricci, - le père Ariz zarca passait la plus grande partie de son temps aux cui de l'aveuglement de l'évêque, qui s'obstinait dans sescrreurs, et s'y enfonçait de plus enplus, en lisant continuellement les écrits de saint Augustin,auteurde plu sieurs hérésies qu'il avait été forcé de rétracter.sines,

Tant de preuves d'acharnement, coup sur coup, alté rèrent finalement d'une manière grave la santé du prison nier. Les médecins se crurent obligés alors de demander sa translation à la campagne Le sénat, interpellé cette fois d'une manièrecatégorique etdirecte , réponditsans hésiter

CHAPITRE XXXVIII.

Persécutions de famille. Duplicité des ennemis de Ricci. On l'envoie malade àsa villa. Tracasseries. Procèsde l'ancien évêque.

Il ne manquait au prélat proscrit que de se voir en butte à la hainedesa proprefamille.Son frère,lesénateur Frédé ric de Ricci, lui fit éprouver cette douleur. Il se remua tel lement auprès de ses collègues, qu'il réussit à faire sus pendre,jusqu'à la fin du procès intenté à l'évêquc, procès qui n'était pas même commencé,le payement dela pension que le grand-duc Ferdinand lui avait assignée lors de sa retraite.

que Ricci n'avait point été arrêté par son ordre, et que le gouvernement n'était pour riendans la prolongation de son incarcération. Les médecins s'adressèrent àl'archevêque,et celui-ci allégua, pour se dispenser d'agiret même de se pro noncer, qu'il n'avait personnellement aucuneautorité sur un prévenu détenu pour délits révolutionnaires. C'était la première fois que cette accusation était articulée. Jusqu'a lors l'archevêque lui-même avait certifié à Ricci quc la po litique n'avait que faire avec ce qui lui arrivait ; que ses opinions religieuses seules étaient cause de la haine du peuple contre lui, et que sa réconciliation avec Rome lève rait toutes les difficultés mises à son élargissement.

272

Outre ce conflit d'inhumanité, d'où l'on ne parvint à sortir qu'en mettant à profitle premier moment d'absence forcée de l'archevêque, il y avait encore à vaincre l'obstina tion, entachée de fanatisme, qui animait le sénateur Frédé. ric : ce persécuteur intime du prélat malade voulait qu'on nerelâchâtson frère qu'après avoir terminé tous les procès établis contre les prétendus révolutionnaires, afin de s'as surer que Ricci ne s'y trouvait pas impliqué d'une manière quelconque. Or, on peutjugerdu nombre de ces affaires en songeant qu'il y eut vingt mille familles poursuivies du chef de jacobinisme, et trente-deux mille condamnations. La chambre noire, fort heureusement pour Ricci, voulut bien reconnaître l'urgence et passer outre; l'évèquereçut l'auto risation de se rendre à sa villa de Rignana, aux conditions suivantes : de partir du couvent, pendant la nuit; de ne s'arrêter que peu d'heures à Florence et seulement dans sa propre maison; de ne correspondre avec personne, et de :

Le moment allait venir où le public désintéressé dans la querelle demanderait compte aux vainqueurs du jour de leur longue cruauté. Ils le sentirent, et pour avoirdu moins 23.

273 se reconstituer prisonnier à la première sommation. Ne dirait-on pas du plusdangereux des conspirateurs?

Revenu à la santé, Ricci écrivit à l'archevêque. Celui-ci lui demanda une nouvelle rétractation. L'évêque de Pistoie se déclara prêt à signer tout ce que Martini trouverait conà venalle d'ajouter à ce qu'il lui avait fait écrire précé demment, pour prouver aux plus incrédules la sincérité de sa soumission. L'archevêque lui répondit qu'il n'avait pas le temps de lire ses longues lettres, mais qu'il insistait pour qu'il s'adressât au nouveau pape. Ricci répliqua qu'il le ferait aussitôt que le souverain pontife serait nommé.Ces quelques détails suffisent pour faire apprécier l'opposition essentielle qu'il y avait entre le caractère de ces deux prélats.

Voici de nouvelles preuves de l'esprit rancunier des ennemis de Ricci. Pendant son séjour à Rignana, le prélat recevait de temps en temps un prêtre qui entendait sa con fession; ce prêtre, aigrement réprimandé par le vicaire archiepiscopal de Florence , cessa ses visites. Lui-même se rendait quelquefois au couvent de Passignano,où les moines l'accueillaient avec les égards dus au malheur; l'évêque de Fiesole les en blåma avec dureté , et ils durent prier le prélat de ne plus revenir. Cependant Martini pensait exac tement comme Ricci qu'il persécutait à cause de ses opi nions, et Mancini était l'ami de Ricci avant que celui-ci tombåt dans la disgrace.

des prétextes à alléguer, ils firent instruire le procès deà l'ancien évêque. Martini, éprouvantquelque embarras à en faire un hérétique, le céda aux sénateurs pour qu'ils en fissentun républicain,quitte à lereprendreensous-euvre, si, comme on le supposait, il échappait à cette poursuite politique,etàlelivrer,endésespoirde cause, àsesennemis naturels de la cour de Rome. Les choses sepassèrent exac tement comme on l'avait prévu ; malgré les enquêtes les plus insidieuses, malgré la séduction et la subornation de plusieurs témoins auxquels on ne demandait que d'attester que Ricci était coupable d'avoir aimé les Français , la chambre criminelle fut forcée de conclure à la mise en li berté du prélat, attendu, était-il dit, qu'il n'y avait rien à lui reprocher et que ses longues souffrances l'avaient assez puni.

274 2

Ce raisonnement puissant fut suivi d'une sentence analogue. Puisqu'il avait assez souffert pour ne pas être coupable , il fut condamné à souffrir encore, en attendant que l'élection d'un nouveau pape permît d'espérer qu'on l'envelopperait dans les rets de la persécution religieuse, où il souffriraitjusqu'à ce qu'il mourût.

Ricci écrit à Pie VII. Le crime de réformation des abus. - Consalvi, cardinal secrétaire d'état. - Les quatre chefs d'accusation contre Ricci. - Il est acquitté par le retour des Français en Toscane.

CHAPITRE XXXIX.

Le nouveau pape fut Pie VII. Ricei qui savait que, comme cardinal et évêque d Imola, le citoyen Chiaramonti avait donné de nombreuses preuves d'un esprit sans préjugés, espéradelui lafin deses misèresetluiécrivit(29mars1800) de la manière la plus humble, témoignant à la fois de son obéissance et de son orthodoxie. Le premier secrétaire d'état Consalvi accusa réception de la lettre, mais sans y répondre : il fallut six mois encore avant que Ricci sût à quoi s'en tenir. Dans cet intervalle on avait faitjouer tous les ressorts à Florence, afin de faire du prélat, aux yeux du souverain pontife, le chef du moderne parti des réfor mateurs des abus, issus en ligne droite de la grande réformation de l'église, préparée par les conciles de

Constance et de Bâle, consommée par les protestants alle mands et étendue par les jansénistes, les partisans de l'église gallicane, et par le clergé constitutionnel de France. Tout cela était vrai, mais plus rien de cela ne pouvait être imputé à crime, à une époque où c'était exclusivement le résultat d'une opinion valant toute autre opinion, pouvant être professée aussi bien que l'opinion contraire, puisque la liberté des opinions était déjà dans les maurs, et qu'elle était à la veille d'être inscrite dans la loi que les catholiques les plus papistes allaient eux-mêmes aider à faire, et qu'ils maintiendraient dans l'intérêt de leur opinion à eux.

>

276 2

La réponse de Consalvi arriva enfin et fut remise à Ricci par le secrétaire du nonce qui en demanda un reçu, après avoir annoncé au prélat que le gouvernement toscan con naissait le contenu de la lettre, et qu'il était décidé à livrer Ricci au nonce pour être transféré au château Saint-Ange où il demeurerait confiné le reste de ses jours, s'il ne se rétractait dans les termes imposés. L'écrit était dur pour la forme, arrogant même, plein defiel et d'aigreur : sa teneur n'était explicable que par l'idée fixe que l'invasion des Français dans l'Italiecentraleavaitété unactede vengeance de la part de la république dont Pie VI avait si crûment condamné la doctrine et ses applications; ce qui devait porter Pie VII, rentré dans la plénitude des droits de la papauté, à écraser à jamais les fauteurs du système français, en frappant dans sa conduite publique l'évêque de Pistoie qui, à tort ou à raison, était signalé, en Italie du moins, comme le coryphée du parti. Cette manière de raisonner etd'agirest inhérente à l'existence des souverains

Le personnel du gouvernement sénatorial de Toscane avait changé en partie, mais les tendances étaient les mêmes. Seulement l'adjonction de l'avocat Frullani, que les trois sénateurs avaient soin d'éloigner chaque fois qu'il s'agissait de commettre une injustice par tropcriante,faisait espérer, dans un avenir plus ou moins prochain, desjours meilleurs. Le sénat réactionnaire et Ricci, qui voyait enfin qu'il ne gagnait rien àcéder, étaient de plus en plus loin de s'entendre. Jamais, nous dit-il, il ne se serait prostitué au point de se condamnerlui-même commehérétique, pour avoir enseigné des propositions auxquelles il n'avait pas même songé, et de condamner le règne entier d'un prince, son protecteur et le bienfaiteur de la Toscane. Il commu niqua cette résolution aux sénateurs qui, n'osant pas pren dre sur eux de lui ordonner de passer outre, répondirent qu'ils auraient consulté le grand-duc et qu'ils lui eraient connaître l'expression de la volonté souveraine. Cette ex pression n'arriva jamais , du moins jusqu'à l'évêque, et pendant qu'on semblait l'attendre, les intrigues allèrent leur train accoutumé. Elles auraient finalement abouti à l'extradition de Ricci et à sa reclusion à perpétuité à Rome, si les Français, de nouveau vainqueurs, ne fussent venus l'arracher à ce péril imminent.

- 277 ponti es et de leurcour; elle est imposée partousles anté cédents de la papauté depuis Grégoire VII. Ils en dévient quelquefois, - le cardinal Consalvi et Pie VII en ont dévié eux-mêmes sous Napoléon et ses successeurs , mais toujours pour y revenir à la première occasion favorable, comme s'ils ne s'en étaientjamais écartés.

D'avoir tramé le changement de gouvernement de sa patricavecle commissaire français, Saliceti, plusieurs mois avant l'invasion étrangère. - Ricci proteste avec indigna tion et Finalementdégoût.d'avoir cultivé l'amitié de Reinhard, d'abord ministre de France en Toscane, puis chargé par le Direc toire d'organiser la nouvelle conquête; d'avoir entretenu une correspondance suivie avec les Français, et d'être jan séniste. -- L'évêque accusé n'avait fait à Reinhard, mi nistre,que quelques rares visites decivilité, pourle remer

278 :

D'avoiragité un mouchoir blanc lors de la plantation de l'arbre de la liberté. -- L'évêque le nie. Il avaitassisté àla cérémonie républicainepour ne pas trop irriter les conqué rants, qui déjà lui reprochaient son attachement servile ils l'appelaient ainsi au dernier grand-duc, et auxquels il n'avait pas jugé convenable d'aller faire sa cour, comme s'étaientempressés de faire l'archevêque de Florence et l'é vêque de Fiesole, ses détracteurs.

Peu de jours avant l'arrivée des troupes françaises, les quatre chefs d'accusation contre Ricci lui furent communi qués. C'était :

D'avoir fait don au club florentin du buste de Machiavel. Ricci s'explique. Une société littéraire française lui avait fait demander un moule pris sur le buste en marbre de l'illustre historien toscan. Craignant qu'on ne le gâtât dans l'opération requise, l'évêque préféra donner son plå trede rebut, jetédans un ancien moule. Ce plâtre, sansson consentement et même à son insu, avait été placé dans la salle des séances de la société démocratique.

Le peu de protection dont l'ancien évêque de Pistoie avait joui dans les derniers temps, protection toutefois qui ne s'était traduite que d'une manière négative, c'est-à-dire par quelque modération dans la persécution, était due en grande partie à ses amis de France, et surtout à l'évêque

279 cier des livres, des journaux et des lettres qu'il avait bien voulu lui faire parvenir. L'invasion accomplie, il ne vit plus le nouveau commissaire, et ne reçut rien de France, si ce n'est par la voie ouverte à tout le monde. Il avait corres pondu avec ses amis de tous les pays, pourse tenir au cou rant des nouvelles littéraires, et avec ceux de France en particulier, afin d'être exactement instruit des vicissitudes de l'église gallicane, l'objet constant de sa plus vive sollici tude. Quant au jansenisme, il en repousse l'accusation en démontrant qu'il avait toujours condamné, de bonne foi, les cinq propositions anathématisées par l'église.

L'entrée des Français à Florence (15 octobre 1800) avait fait fuir tous les instigateurs du pouvoir déchu, et entre autres celui qui leur servait de chef, le nonee pontifical. La politique de la cour de Rome avaitcomplétement changé avec les circonstances. Bientôt l'ancien évêque de Pistoie reçut une lettre de cet agent romain, lettre cette fois fort douce et fort polie, où le nonce se bornait à lui demander une réponse à celle quelui avaitécrite le cardinal Consalvi, et la simple assurance de sa soumission et de son obéis sance au pape. Ricci ne tarda pas un instant à le satisfaire, et il ajouta à cequ'on désirait de lui denouvelles assurances de sa parfaite conformité, en matière de oi, avec l'église romaine.

u m pe F iclo d CO n b.

Le gouvernement des Trois fit faire à Ricci d'amples et honorables protestations de regret pour ce qui avaiteu lieu à son égard, ainsi que de vénération et d'estime pour son noble caractère. L'évêque demanda qu'on lui remît en outre une attestation en due forme de l'invalidité des accu sations qui avaient été dirigées contre lui ; le secrétaire des droits de la couronne s'empressa de le satisfaire. Ce ne futqu'alors qu'il se crut vraimentlibre. Transporté malade à Florence, il y attendit l'arrivée du roique la libre répu blique française venait d'imposer si despotiquement à l'in dépendante Étrurie.

280 Le f Grégoire, qui ne l'abandonnèrent jamais. Il écrivit de son côté à Grégoire pour le remercier, et déclarer qu'il ne de mandaitau pape que l'indifférence et l'oubli; car, ajoutait il, « si la haine de Rome tue le corps, son amitié perd l'âme. »

Lorsque les quatre gouvernants autrichiens eurent été remplacéspar trois amisdes Français, anciens partisans des réformes léopoldines, on retrouva les procès fabriqués sous le gouvernement sénatorial et qui avaient été cachés; pour calmer les inquiétudes que faisait naître cette découverte, et afin de prévenir les vengeances ultérieures, ces pièces furent condamnéesaux flammes.Toutescependantne furent pas brûlées. Les principaux procès, ceux surtout qui con cernaient des personnes dont on n'avait rien à craindre, lcur furent même communiqués officieusement. Ricci ac quit par l'inspection des papiers qui le concernaient, la preuve matérielle qu'il n'avait été confiné et retenu à Saint-Marc qu'à la réquisition de l'archevêque.

CHAPITRE XL.

it22 C

Louis de Bourbon, prince de Parme, avait été élevé par un capucin, frère Adéodat, philosophc éclairé, dit Ricci, mais qui abjura la philosophic et les lumières qu'il y avait puisées, pour devenir évêque de Parme. Le roi arriva å Florence le 12 août 1801, et bientôt les murmures écla tèrent de toute part contre lui et ses deux favoris en titre, les comtes parmesans Salvatico et Ventura. Ricci sollicita une audience, et le roi demanda si c'était l'hérétique; les deuxcomtes ne permirent pas qu'il vît le prince. Non -seulement le nouveau gouvernement voulait abolir ce que Léopold avait fait pour la Toscane, mais encore il manifestait le projet de reconstituer ce qui, dans les temps bien antérieurs au règne de ce grand-duc, lui semblait ire ne ade L'inpal

24

in 1

Le roi d'Etrurie. - Abolition de toutes les réformes. La reine Marie Louise. Le père Paccanari. Intervention du cardinal Spina en faveur de Ricci. Rétractation de celui-ci. Jugementsur cet acte. laà cuet on en cu

Le 15 avril 1802, furent formellement abolies toutes les mesures de redressement des abus, prises depuis l'empe reur Francois [er; et elles le furent de la manière la plus injurieuse possible pour ceux dont elles émanaient. Le clergé et ses biens furent soustraits à lajuridiction civile; les évêques, dont l'autorité spirituelle demeura dévolue au pape, urentinvestisdel'autorité temporelle sur les laïques, laquelle appartient au souverain ; la Toscane fut replacée sous le doublejoug du sacerdotalisme ct de la cour romaine. En compensation, le roi se fit fort d'obtenir pour les fidèles

282

Sur les entrefaites, le gouvernement étrusque conçutun plan de rétablissement pour l'inquisition de la foi, « sur le pied de la féroce inquisition d'Espagne, » est-il dit dans les notes à cesujet, qui font partie des archivesRicci. Heureu sement pour la Toscane que le ministre français s'opposa à cet excès de fureur restauratrice.

propre à étouffer, une fois pour toutes, jusqu'au moindre désir de revenir un jour à l'application des idées qui doré navant allaient dominer la société en Europe. Le noncc c'était alors Morozzo avait déjà renouvelé ses anciennes prétentionsdepuis qu'il avaitrepris sonancienne influence;c'était dans l'ordre : il recommença à exiger comme aupa ravant la rétractation de Ricci ; on devait s'y attendre. Les coreligionnaires de l'évêque de Pistoie à Paris, l'évêque Grégoire entre autres, et ses amis de Gênes, réfugiés à Paris, l'invitèrent à venir s'y soustraire aux vexations dont il était de nouveau menacé, et s'en consoler avec eux dans les pieuses visites qu'ils faisaient ensemble aux ruines de Port-Royal et aux jansenistes du diocèse d'Utrecht.

Le général Clarke, ministre de France en Étrurie, et le ministre d'Espagne réclamèrent d'un commun accord contre ces ineptes mesures, et cela d'autant plus impérieusement, que le nouveau concordat conclu entre Rome et la France, et plus encore les articles par lesquels le premier consul en avait organisé l'exécution, étaient diamétralement op posés à des actes devenus impossibles. Mais que faire ? La loi était promulguée. La révoquer cût été délivrer au roi un brevet d'incapacité notoire. On la laissa exister, mais privée de toute force d'application, et elle tomba d'elle même dans l'oubli; les règlements du dernier règne en matière ecclésiastique demeurèrent seuls cn vigueur et furent exécutés comme du temps de Léopold.

Marie-Louise de Bourbon fut déclarée régente pendant la minorité de son fils. C'était une femme dont la légèreté et la nullité complètes n'étaient égalées que par son bigo tisme routinier et étroit. Celui qui rédigeces pages possède douze lettres écrites de sa main et adressées à ses minis tres,lettresque désavoueraitenrougissantla femmela plus vulgaire. Le défaut d'orthographe l'y dispute au défaut de sens etde dignité. Le seul sentiment qui y domine est celui de sa ferme volonté royale de toujours demeurer dans la

283 de l'ex-grand-duché l'absolution dont ils avaient besoin depuis l'illégale introduction chez eux des réformes héré tiques de leur ancien souverain.

Ce fut alors que moururent les deux principaux soutiens du fanatisme réactionnaire en Italie, savoir, le duc de Parme et le capucin-évêque Turchi. Le roi d'Étruric les suivit de près (27 mars 1803).

Ricci échappait par là aux persécutions qu on préparait déjà contre lui. Il attribua cette grâce à l'intercession de sa parente, sainte Catherinede Ricci, et institua, à l'église de Rignana, plusieurs cérémonies religieuses en son honneur. Marie-Louise l'apprit, décida que le salut de l'ancien prélat n'était pas entièrement désespéré, puisqu'il croyait encore, et entreprit de le réconcilier avec l'église. A cet effet, elle ordonna des prières dans plusieurs couvents de religieuses pour demander à Dieu le ramollissement du coeur de l'é vêque hérétique, et obtint du pape qu'il traverserait Flo rence lorsqu'il se rendrait à Paris pour le couronnement de l'empereur Napoléon.

284 dépendance de l'Espagne, ce que, selon la reine, l'empereur (Napoléon) ne saurait désapprouver. Et à l'appui, elle rap porte un billet qu'elle prétend lui avoir été adressé par ce souverain, et qui est aussi niais que ceux qu'elle écrivait elle-même. Elle n'eut rien de plus pressé que d'établir, d'accord avec le nonce, une académie catholique, dont le but était le maintien de la pureté de la foi, ce qui signifiait la restauration de tous les abus dont Léopold avait délivré le grand-duché. La France et l Espagne furent de nouveau forcées à intervenir; l'académie catholique fut dissoute, et la reine sérieusement invitée à modérer un zèle inopportun et malentendu.

Ce qui mit le comble au ridicule de cette intervention fé minine dansune affaire de conscience privée, ce fut la con fidence que fit Pie VII de la demande de la reine d'Étrurie à l'archiduchesse Marianne, fille de l'empereur Léopold, aveclaquelle le souverain ponti eavaitcontracté une liaison

285 familière et intime. Cette princesse habitait. alors Rome où elle avait fondé un conservatoire quasi-jésuitique de jeunes filles, sous le nom des Bien -aimées ou des sæurs de Jésus (le dilette, le sorelle di Gesù), qu'elle avait confié à la direction spirituelle du père Paccanari, « ex-jésuite, dit Ricci, que Pie Vil lui-même finit par faire enfermer pour le reste de sesjours, à cause du systèmede quiétisme et deli bertinage au moyen duquel il était parvenuà abuser deses pénitentes. »

Un mot ici, avant d'aller plus loin , sur le père Pac canari , relativement auquel nous sommes à même de pouvoir rectifier les légères inexactitudes de Ricci : nous croyons devoir ces détails aux lecteurs des Mémoires de l'ancien évêque de Pistoie, dont ils confirment en partie 24.

L'archiduchesse voulut participer à l'ouvre pie de Marie-Louise : elle écrivit à Ricci une lettre qui eût pu pa raitre insultante, plus encore pour son père Léopold que pour l'ancien évêque de Pistoie, si elle n'avait été d'une pauvreté d'esprit telle, qu'elle excluait toute espèce d'idée quelconque; la princesse finissait par le conseil qu'elle don nait sérieusement au prélat de se jeter aux pieds du pape, son épître à la main. Ricci lui répondit avec gravité ct res pect, mais seulement pour disculper le grand-duc des in tentions mauvaises qu'on lui prêtait plus ou moins mali gnement ; quant à lui-même, il ne fit que renouveler ses promesses d'une soumission entière et sans arrière-pensée à l'église et à son chef, promessesqu'il confirmerait au pape en personne, ajouta-t-il, lorsdu prochain passage decelui-ci par Florence.

286

la manière de voir sur les jésuites de son temps, ainsi que sur leurs congrégations, notamment celle du sacré coeur .

Nicolas Paccanari, né dans le Tyrol, était, à la fin du dernier siècle, soldat au service de l'église, et faisait partie de la garnison du château Saint-Ange; il se distinguait parmi ses camarades parsa force physique et la dépravation de ses meurs. Paccanari ut atteint d'une maladie grave. Tirant parti de cette circonstance, l'abbéDelmonte, recteur de l'oratoire jésuitique appelédu Caravita à Rome, parvint non-seulement à le convertir, commeon s'exprimait, mais encore à lui faire revêtir l'habit ecclésiastique avec mission de travailler à la restauration de l'ancienne compagniede Jésus; le principal argument qu'il avait fait valoir pour opérer ce prodige avait été celui de la ressemblance que Paccanari offraitavec le fondateur des jésuites, par ses dé portements antérieurs et le repentir qui les avait suivis. En effet, Paccanari ne tarda pas à instituer la société de la foiàJésus, autrementdes pères de la foi, des fédistes, qui, dans la suite, prirent le nom de paccanaristes, sous lequel ils sont plus particulièrement connus. La société de la foi à Jésus cut des rapports profonds avec celle du coeur de Jésus ou du sacré cour, qui, elle aussi, se proposait pour but le rétablissement de la compagnie fondée par saint Ignace, auquel elle préparait les voies. Paccanari, bien qu'il se fût mis en rapport direct avec le général desjésuites de Russie, était plutôt désireux de demeurer chefd'ordre. Aussi ne favorisa -t-il jamais qu'en apparence les efforts que firent les jésuites et leurs partisans pour rendre à la

287 > compagnie, plus canoniquement qu'ils n'avaient réussi à le faire jusqu'alors, sa puissance et sa splendeur.

La société de la foi, ouvertement tolérée ou plutôt favo risée parle saint-siége, et tacitement approuvée parPieVII, procéda à son cuvre en faisant jouer dans l'église du Caravita des scènes publiques, passablement grotesques, entre un ignorant que le père Paccanari, nous ont assuré des témoins auriculaires, représentait au naturel , et un docteurqui l'instruisait dans les vérités de la foi chrétienne. Ce fut dans cet intervalle que l'archiduchesse Marianne mit le nouveau missionnaire à la tête de son conservatoire, ce qui le brouilla avec les jésuites dont la règle défend aux membres de la compagnie de se charger, sous aucun pré textc, de la direction des couventsde filles. Paccanari cessa, à cette occasion, de correspondre avec les chefs de la com pagnie de Jésus. Au reste, l'ancien soldat, chez qui la sou tane n'avait pas étouffé les habitudes de caserne, ne tarda guère à se faire, au sein du troupeau de la princesse alle mande, une espèce de sérail qu'il recrutait sans cesse en choisissant les jeunes filles qui lui convenaient parmi celles qui assistaient aux conférences du Caravita , et qu'il faisait admettre au conservatoire. Déjà les paccanaristes s'étaient répandus avec leurs Bien-aimées, en Italie, en France, en Allemagne etjusqu'en Angleterre. Hors de l'Italie, etsur tout en France, ces nouvelles religieuses prirent le nom de Dames du sacré cæur qu'elles portent encore aujourd'hui, sansprobablementsedouterle moinsdu mondedela source impure à laquelle elles ont puisé leur qualification et leur origine. Quoi qu'il en soit, des aveux faits en confession

288 par une des protégées de la princesse Marianne dévoilèrent ce qui se passait au conservatoire et firent dissoudre la con grégation des pères de la foi: Paccanari, convaincu d'avoir abusé de son ministère, futenfermé au saint-office. L'invasion française ayant eu pour suite la suppression de l'inquisition, le général Miollis, gouverneur des anciens états romains, fitmettre les détenus en liberté ; le père Pac canari était du nombre. Il trouva un asile auprès de son ancienne protectrice, dans un pavillon (casino) situé der rière le palais Salviati que l'archiduchesse autrichienne oc cupait, entre le jardin botanique et le couvent de Sant Onofrio. Paccanari y vécut en prêtre séculier comme il avait vécu lorsqu'il était soumis à la règle monastique. La preuve en est que, pendant l'occupation française, il fut traduit devant le tribunal correctionnel pour attentat à la pudeur sur la personne de son domestique. Peu après cette scandaleuse affaire, le pavillon habité par le père Paccanari fut, un matin, trouvédévalisé et vide, eton n'entenditplus parler de ce prêtre. Seulement la découverte d'un cadavre rejeté par leTibre,et qui à certains signes fut reconnu pour être celui de Paccanari , quoique la tête cût été séparée du tronc, fit supposer que, surpris dans quelquesale aventure, il avait péri de mort violente , victime d'une vengeance privée.Après la mort de leur étrange fondateur, les ex-pacca naristes demandèrent au père Angelini, agent à Rome des jésuites rétablis à Naples, la faveur d'être reçus en corps dans la compagnie de Jésus. Le père Angelini ne consentit à lesrecevoir qu'individuellement et après un examen par

Le cardinal Spina s'était engagé à lesfaire aboutir, en dé pit du cardinal Consalvi qui, disait-il, y mettait obstacle, et prenait à tâche de maltraiter l'ancien évêque à l'insu du pape quoique en son nom ; exactement comme l'évêque Grégoire nous montre que, à l'époque de la conclusion du concordat avec la France, le même Spina, alors simple prélat, avait empêché la réconciliation du pape et des évê ques constitutionnels qu'il insultait au nom de Pie VII, bien que celui-ci eùt enjoint de les traiter avec douceur et avec égard. Une complication de circonstances malheurcuses se joignit à ces intrigues pour faire que le pape traversåt Flo rence sans voir Ricci. Le cardinal Fesch conseilla alors à l'ancien évêque de Pistoie d'écrire au souverain ponti e à Paris. Ricci le fit, toujours en confirmant ses protestations accoutumées.

ticulier. La fusion du paccanarisme avec le jésuitisme eut lieu lors de la restauration définitivement et ostensiblement canonique de la fameuse compagnie par Pie VII, ct sous l'influence de son général, le père Panizzoni (1824). Cette mesure fut loin d'être généralement approuvée par les jé suites; le mécontentement éclata surtout à l'occasion de l'élection d'un nouveau chef, et menaça l'ordre renaissant d'un schisme qui eût été sa perte. Les jésuites radicaux ou purs nevoulaient ni des paccanaristes ni de leurs parti sans. Les paccanaristes l'emportèrent, ct plusieurs ultra jésuites furent expulsés de la compagnic, nommément les pères Pancaldi, Rezzi, etc., etc. Nous reprenons mainte nantlerécit des négociationspour la réconciliation entre le pape et Ricci.

289

290

Le pape arriva àFlorence au commencement demai 1805. Son rôle avait été tracé d'avance : aussi ne fut-ce qu'après troisjours,c'est-à-dire la veille même de son départ pour ses états, qu'il envoya le vice-gérent prévenir Ricci qu'il désirait le voir et l'embrasser, mais que leur entrevue no ne pouvait avoir lieuqu'après quel'ancien évêqueaurait signé une formule dont le vice-gérent était porteur. Cette for mule contenait « l'acceptation pure et simple de toutes les bulles et constitutions contre Baïus, Jansenius et Quesnel, depuis saint Pie V jusqu'alors; celle de la bullc Auctorem

PieVII, sans répondre directement à la lettre de Ricci, fit avertir le prélat toscan qu'il se réservait de terminer cette affairepersonnellement et de vive voix, lors deson retourde France.La reine enfittémoignersa joieàl'évêquequi,deson côté, s'empressa d'allerlaremercier. Les choses semblaient ainsi se disposerde la manièrela plus favorablepour amener finalement le résultat désiré. Ricci s'en flattait d'autant plus que le pape , qui avait exigé d'abord des évêques constitu tionnels de France une rétractation contraire à leurs prin cipes et aux maximes de l'églisegallicane,s'était contenté en dernière analyse d'une déclaration d'orthodoxie et de sou mission à l'église ct au ponti e souverain.Il espéraitpourlui la même faveur. Mais les circonstances étaient bien diffé rentes. Le gouvernementfrançais étaitredoutable; le pape, forcédeluicéder,en devintd'autantplus exigeantavecceux qui, loin d'être soutenus par un pouvoir énergique, étaient au contraire harcelés et tourmentés de toutes parts pour qu'ils se prostituassent aux volontés et aux caprices de la cour de Rome.

fidei, condamnant quatre-vingt-cinq propositions, extraites du synode de Pistoie, propositions que Ricci condamnait dans le même sens et sous les mêmes qualifications expri mées dans la bulle ; enfin la demande de la publication de cette pièce en réparation du scandale. »

Il signa, lui-même nous l'apprend dans des réflexions qu'ilrédigea huit joursaprès, il signaqu'il avaitchangé d'o pinions et de sentiments, quoique ses sentiments et ses opi nions fussent toujours les mêmes.

291 > >

Nous avons déjà accusé Ricci de faiblesse : ce qui atténuc singulièrement ce défaut pour lui, c'est qu'il ne s'y aban donnait paraucun motifd'intérêt personnel.Lorsqu'il cédait plus que lui-même ne croyait devoir céder, il le faisait par amour pour la paix, par esprit de conciliation, sous la pres sion des événements malheureux dont il subissait et s'atten dait à subir longtemps encore le poids devenu trop lourdpour lui. Quoi qu'il en soit, le guet-apens c'est le mot propre qui était dressé en cette circonstance solennelle avec une effronterie sans égale, le bouleversa à tel point qu'il se trouva hors d'état de se décider par lui-même. Le vice-gérent refusant de lui accorder un peu de temps pour délibérer, ne répondant à aucune de ses demandes d'expli cations, n'accueillant d'interprétations d'aucune sorte, ré pétant à chaque instant que c'était, comme on dit vulgairc ment, à prendre ou à laisser, l'infortuné prélat en référaà à ses amis, le chanoine Palmieri et l'abbé Fontani, qui étaient présents : finalement, incapable de soutenir plus longtemps cette torture morale, il se rendit aux conseils des deux prêtres, et signa.

La signature obtenue, le pape accueillit Ricci avec bonté. La reine vint se mêler à leur entretien; elle était accom pagnée de monsignorMenocchio, confesseur de Pie VII, qui commit l'inconvenance de complimenter Ricci sur ce qu'il avait répudié le synode de Pistoie, « cause unique de tous les maux qui, depuis près de vingt ans, affligeaient l'Eu rope. »

Il ne gagna rien par cet acte qui lui avait tant coûté. Il perdit une large partdans la considérationdeshommes qu'il estimait le plus : il avait agi contre sa conscience éclairée qui lui défendait de fléchir ; il avait obéi à sa consciencede croyant, de chrétien, qui lui commandait de donner une preuve éclatante d'humilité et d'abnégation en sacrifiant sa raison à la déraisonpublique, afin que laconcorde fûtréta blic. Les deux amis de Ricci,en l'exhortantà signer,avaient surlout été mus par la crainte de voir l'évêque emmené à Rome et livré à la vengeance des cardinaux, ses implacables ennemis.

La honteuse conclusiondecetteaffaire refroiditbeaucoup, à l'égard du prélat réconcilié, les partisans que Ricci avait en France; en se condamnant, il les avait condamnés tous, et il avait condamné la constitution civile du clergé, le véri table code du canonisme,issuen droitelignede l'opposition appelante ou parlementaire, du protestantisme gallican et du puritanisme janseniste. L'évêque Grégoire fut le dernier qui soutint son collègue de Pistoie, à qui Rome, la fourbe, avait fait accepter une véritable rétractation de tout son passé, comme sice n'avaitété qu'une déclaration de bonne foi pour ce passé etde soumission pour l'avenir.

292

293 7

L'ancien évêque se vit bientôt entouré de gens dont la plupart le félicitaient de son retour à la vraie foi. Pour échapper à un empressement qui lui devenait de plus en plus pénible, il se retira à la campagne; là il apprit le jugement qu'on prononçait sur le pas important auquel il venait de se résoudre , et qui était interprété, tantôt comme une abjuration de ses erreurs, tantôt comme une déshonorante transaction pour acheter quelques années de repos. Les deux jugements étaient également faux : Ricci s'était rétracté, mais sans en avoireu l'intention claire et précise; il avait sacrifié son propre repos à la paix de l'église.

Encette occasion, comme dans toutes lescirconstancesde sa vie agitée, l'évêque avait agi loyalement et avec fran chise; il le proliva surabondamment, en écrivant au pape pour ratifier sa déclaration. Pie VIl obtint de son entou rage de pouvoir en témoigner sa joie au sectaire rentré en grâce, mais à condition de mêler à ses expressions de ten dresse quelques mots durs et choquants. Ce fut pis encore quand il rendit compte au consistoire des cardinaux de ce qui s'étaitpassé. Après avoir parlé des affaires de France, et venant à celles de Toscane, il rapporta textuellement les termesdel'écritsignéparRicci.Puis ilajouta que, dansleur premièreentrevue,l'évêquel'avait assuréque, mêmeau mi lieu de ses erreurs, il était toujours demeuré attaché à la foi orthodoxe. Et il termina en disant que Ricci lui avait écrit pour confirmer spontanément sa rétractation. Le prélat attribue ces sourdes persécutions aux conseillers de PieVII, qui le dominaient, et surtout au cardinal Consalvi, person MÉMOIRES DE RICCI. 25

sometimes

294 -

nellement irrité contre l'évêque de Pistoie de ceque sa paix avecle pape avaitété conclue sans que lui, Consalvi, eneût étéleprincipal négociateur. Consalvi, nous ditRicci, faisait plusque dominer le pape; il le tyrannisait.

CHAPITRE XLI.

Ricci s'occupe de miracles etd'indulgences. Sainte Catherine. Maladie de Ricci. - Sa mort. Honneurs qui lui sont rendus. Conclusion. >

Un esprit aussi actif que celui de Ricci ne pouvait de meurer longtemps sans entreprendre quelque chose. Aussi n'y a-t-il d'étonnant au parti auquel il se détermina, que de le voir se lancer précisément dans la voie qu'il avait passé sa vie entière à trouver mauvaise , et faire lui-même cequ'il avait constamment condamné chez les autres. L'ad versaire ardent des miracles ridicules se fit le propagateur de ceux que nous allons rapporter, et celui qui avait dé claré abusives les indulgences exagérées et multipliées de mandaau papedes indulgencesplénières pour de nouvelles fêtes qu'il s'ingéniait à instituer.

Il s'agissait de sainte Catherinede Ricci (sainte Catherine de Sienne), dont nous trouvons aux archives de la famille

...

296 9

l'histoire composée de faits tous plus merveilleux les uns que les autres : nous ne citeronsque le récitpour le moins singulier du mariage de la sainte avec Jésus-Christ, célébré le 9 avril 1542, au point du jour, en présence de Marie, de sainte Madeleine, de saint Thomas d'Aquin et de plu sieurs autres morts célèbres, glorifiés par l'église. Lorsque la vision dontnous parlons s'étaitmanifestée à Catherine, la sainle, par ordre exprès de son confesseur, avait craché à la figuredechacun despersonnagescélestes quil'honoraient de leur visite, afin de vérifier si ce n'était pas une illusion de l'esprit malin. La cérémonie étant achevée par le don d'une baguemagnifique que Jésus passa audoigt desa nou velle épouse, il la baisa sur la bouche.

Ces miracles et d'autres encore, par exemple celui qui nous montre la Vierge posant l'enfant Jésus surles genoux de Catherinepourqu'ellelecaressât,et celui oùJésus-Christ s'arrachait de la croix devantlaquelle la sainte dominicaine priait, afin de se jeter dansses bras, sont rapportés au bréviaire, d'après la bulle de canonisation publiée par le pape Benoît XIV, Riccine négligea rien pour les faire valoir : il donna àlafêtede sasainte parentetoutela pompe imagina

.

Environ quarante ans après, nous ne faisons que co pierledocumentqui appartientaux archivesRicci,-sainte Catherine fut transportée au paradis.Là Jésusfitl'extraction du c ur de Catherine et remplaça ce viscère par le cour de Marie. Depuis cette époque, sainte Catherine, à chaque ravissement dont elle était gratifiée, allait directement trouver Jésus-Christ et la très-sainteViergedansleur pro pre demeure; cequi ne lui était pas arrivé auparavant.

ble,composadesoraisonspour l'invoquer,fitfrapper desmé dailles et graverdesimages entourées de légendes pieuses, pour être distribuées aux fidèles. Enfin , il obtint de Rome les indulgencesqu'il avaitdésirées (février 1806).

Ricci expira le 27 janvier 1810, après avoir reçu les se cours ordinaireset extraordinaires de la religion.

25.

La Toscane venait à peine d'être réunie à l'empire fran çais (1806), que l'ancien évêque sentit peu à peu ses forcesà diminuer, et qu'il ne songea plus qu'à mettre ordre à ses affaires. Il revint se fixer à Florence. Dans les derniers temps desa vie, il semblait n'être animé que de la crainte denepasdonnerassez depreuvesdeson ardentedévotion : ilfondaitenlarmesauxpiedsdesonconfesseur,demandant à Dieu de lui pardonner ce qu'il avait pu mêler de motifs humains aux intentions orthodoxes et vraiment religieuses qu'il avait eues en réalisant sesréformes. Et quand il lui était encore possiblede dire la messe, ce qui n'arrivait plus que fort rarement, il demeurait comme en extase, l'hostie en main,aprèslaconsécration. Lescalomniesdonton l'avait abreuvé pendant sa vie se trouvaient réfutées par là, et réfutées sans réplique.

297

A dater de ce moment jusqu'à la fin de sa vie, Ricci ne s'occupa plus que d'auvres de dévotion. Nous ne lui en ferons ni un mérite, ni un crime. Nous constatons le fait, pour justifier ce que nous avons dit de l'évêque de Pistoie dès le début de ces Mémoires, savoir, que sa foi était aussi vive que sincère, et qu'il était profondément religieux et d'une piété rare à cette époque, surtout parmi ceux qui l'avaient tant persécuté comme hérétique etmécréant.

298 9

Il lui arriva ce qui arrivecommunémentaux hommes de sa trempe : ceux-là mêmes qui l'avaient tourmenté et per sécuté vivant,le comblèrent, une fois mort, d'honneurs et deregrets. Le pape écrivit à sa famille ; le clergé toscan lui prodigua toutes les pompes des services funèbres les plus solennels; le peuple en aurait presque fait un saint. Les préjugés qu'il avait attaqués, peut-être trop tôt, et que le grand-duc voulait à coup sûr trop brusquement et trop brutalement faire disparaître, n'existaient déjà plus, du moins pour la plupart, et ce qui en était demeuré, cédait un peu chaque jour devant les améliorations qu'il avait si vainementcherché à faire prévaloir. Ceux qu'elles avaient le plus scandalisés alors, auraient maintenant été bien au trement scandalisés si qui que ce fût s'était opposé à leur exécution.

Les efforts de l'évêque Ricci et ceux du grand-duc, son maître, pour réaliser despotiquement quelques réformes malgré le peuple qui les repoussait, avaient eu les mêmes résultatsenToscanequ'eurentpresque immédiatementaprès en France et ailleurs, les efforts de la bourgeoisie qui rua avecviolence lepeuple surle pouvoirs'opposant légalement à ce que ces réformes fussent réalisées. Ces résultats, ce furent d'abord la perturbation de l'ordre existant, et le désillusionnement complet sur l'ordre meilleur qui devait suivre; ensuite, ce fut la découverte, de plus en plus sai sissante, que le mal contre lequel la société se débat ne cédera devant aucun des remèdes qu'on y applique, et dont l'inefficacité, désormais mise hors de tout doute, le fait de jour en jour plus vivement sentir et supporter plus impa

299 tiemment. La force ne peut rien contre ni même sur les idées, et il n'y a jamais de véritable changement dans la marche des choses qu'après que les esprits ont changé. Or, malgré la liberté qui sans cesse la bat en brèche, la force, sous les dehors d'une opinion quelconque, règne encore sans rivale et même sans contre-poids, ici au nom de l'ordre établi, là au nom de l'ordre à établir, aujourd'hui conservatrice, demain révolutionnaire, toujours relâchant quelque peu le lien social, et préparant, et håtant ainsi le moment où l'anarchiesera générale. Un seul remède mettra un terme à ce cruel ballottement entre tant de maux divers : ce sera l'acceptation et l'application de la vérité, imposée à tous les hommes par la nécessité de vivre en société, et par l'impossibilité de s'entendresurles questions d'intérêt qui les divisent s'ils n'embrassent d'un commun accord le principe dont l'incontestabilité doit n'être un mystère pour personne. >

CHAPITRE XLII.

On va vite maintenant : c'est une coursefollequi se pré cipite de plus en plus.

Nul n'est satisfait de son lot parce que personne ne croit plus qu'il lui estimposé d'accepter ce lot commeun devoir à remplir. Chacun en désire un autreet tous visent au plus gros.

Les choses ont bien changé, depuis les événements que nous avons rapportés dans les précédents chapitres.

Comparaison tre fin du dernier siècle et celui où nous vivons.

C'est un tourbillonnement de révoltes privées, de révo lutions politiques, de bouleversements sociaux, qui se rap prochent et se pressent de plus en plus, et qui rapportent de moins en moins, si cen'estuneaugmentationd'incertitudeet de trouble, un accroissement de misères et de douleurs.

Et la situation est forcée; elle est fatale : il faut que les

La prospérité de chaque individu coûte la vie à plusieurs autres; chaque nation qui s'enrichit appauvrit l'immense majorité desmembres dont elle se compose, et elle met les autres nations sur la voie de leur ruine. Cela est incontes table : mais l'individu qui ne gagne pas, meurt; mais la nation qui ne vit pas aux dépens du peuple, succombe avec ce peuple. Ne faut-il pas que la civilisation se développe, et notre civilisation peut-elle se développer autrement qu'en favorisant le progrès du mal?

302 nations prospèrent, que les individus s'enrichissent, sous peine de périr, dussent les éléments dont se compose la société, lesprincipessurlesquelsellesefonde, en demeurer anéantis !

Iln'yaqu unpeuplusd'un demi-sièclequelesentreprises de Léopold et de Ricci tenaient l'Europe attentive; pendant vingt-cinq ans elles troublèrent lereposdelaToscane. Au jourd'hui, même en Toscane, elles seraient à peine remar quées, etferaienthausser les épaules àceux quidaigneraient y avoir quelque égard. Les désordres des couvents de filles, s'ilspouvaientencorese reproduire, exciteraienttoutau plus la curiositédesoisifs. Lasociétéoffre des turpitudesbien plus graves sous le rapport de la rupture de tout lien de famille, de la dépravation detout sentimentconstituantl'humanité.

Et le côté sérieux de la question, savoir ce qui est cause de ces désordres, échappeà tout le monde. Car nul ne s'in quiète de scruter cette question, nul d'ailleurs n'en a le temps : la principaleaffairedela vie,laseuleaffaire même, est d'amasserde l'argent afin dejouirdela vie.

Et les démolisseurs de la société, quand ils sont les plus

faibles, sont condamnés par des démolisseurs plus forts, dansl'intérêt, disentceux-ci, del'ordre, de la morale etde la religion; ce qui fait rire tout le monde. Pendant ce temps-là, la démolition ne s'arrêtepoint.

Et les corrompus, mais qui n'ont pas de quoi dissimuler lcur perversité,sontjugésetpunispar descorrompus comme eux , par de plus corrompus qu'eux,mais qui possèdent, ceux-ci, l'art d'enjoliver leurs vices, qui ont les moyens de dorer leurs méfaits. La corruption ainsi gagne toujours.

L'église, depuis qu'on lui reconnaît le droit de faire des sottises, dontelleseule,endéfinitive, portela peine, a com pris que la prudence lui ordonnait de ne sortir qu'à bon escient des bornes entre lesquelles les idées du temps l'ont restreinte. Aussi ne se montre-t-elle plusimpérieuse qu'avec les siens. Et encore est-elleobligée dese plier plus oumoins aux exigences des siens mêmes, selon les lieux, les circon stances, et surtout selon ceux sur lesquels il lui importe de conserver son pouvoir.

303 7

Quant aux autres, qui vivent à côté d'elle comme s'ils ignoraientqu'elleyfût, l'église est complétementdépourvue de tout moyen d'agir. Elle peut les damner,ce qui ne les effraye plus pourl'autre monde, et les flatte pour celui-ci ; mais elle ne peut plus leur nuire, si ce n'est en quelques détails de ménage, qu'on nous passe l'expression, petites tracasseries qui dégradent le persécuteur plus encore qu'elles ne vexent sa victime.

Si ce n'était de quelques aboyeurs qui sont à la piste de ses moindres fautes pour les lui reprocher comme s'il était de leurintérêt qu'elle n'en commit point,l'église agoniserait

Les positions sociales sont nettement tranchées aujour d'hui, et l'église n'en occupe ancunc à elle seule; elle est partout avec tout le monde, mais comme tout le monde uniquement. La société a gardé les formes de sa vieille civi lisation, mais rien que les formes extérieures : le fond est beaucoup, est même radicalement simplifié. Plus de foi, nous parlons de foi réelle, de foi vive, qui détermine non seulement lesactions, mais encore les intentions, les désirs, les pensées, et devant laquelle les passions fléchissent, plus de foi, ni par conséquent de bonne foi; car la bonne foi, la droiture, doit reposer sur quelque chose, avoir une sanction quelconque : or l'obligation de se dévouerpourle bien des autres n'est pas encore démontrée, et générale ment on a cessé de croire à cette obligation, qui naturelle ment se trouve ainsi remplacée par celle de sacrifier les autres à soi.

sans bruit au milieu de son troupeau de fidèles, que le zèle inconsidéré des dévots travaille chaque jour à décimer. Le catholicismerestera ébranlé, mais debout, aussi longtemps qu'une opposition quelconque le forcera à se roidir dans un sens contraire aux efforts qu'on fait pour le renverser. La liberté, mais une liberté entière, large, loyale, sans restric tion déguisée,sans réglementation hypocrited'aucunesorte, serait son arrêt de mort.

Plus d'autorité, de véritable autorité, bien entendu, qui ne dérive pas de la force, età laquelle la force ne fait jamais défaut : car personne n'a mission pour faire prévaloir ses idées par la parole qui les exposc, ses principes par le rai sonnement qui les établit, sa règle de conduite par la sanc 2

304 2

La force se inesure à la richesse acquise. Il en sera ainsi, tant que les pauvres ne s'apercevront pas qu'étant le grand nombre, la force est à eux, et que par cette force ils peu vent, quand ils veulent, prendre cette richesse où elle se trouve, afin de conserver le pouvoir... jusqu'à ce que de nouveaux pauvres plus nombreux encore le leur enlè vent.

Et la raison! Qu'est-ce quela raison? Rien deprécis, rien de défini, de positif. C'est pour chacun ce qu'il préfère, comme la vérité est ce qu'il pensc, le droit ce qu'il con voite.Faites assisteràcepandémonium un Dieuquelconque, soit pour qu'il veuille que les choses se passent ainsi, soit pour qu'elles se passent ainsi sans qu'il l'ait voulu, mais rien que ce Dieu, carle reste serait génant, et vous avez la société actuelle trait pour trait.

La spéculation y entretient la vie, et les gendarmes yre présentent la morale.

Deux camps biendistincts composentnotresociété : celui des forts et celuides faibles.Les premiers imposentl'ordre, à leurconvenance, aux autresqui ne l'acceptentpoint, mais qui le subissent. Ces deux camps sont toujours les mêmes, quoique le personnel y change continuellement. Il y a de part et d'autreun échange constantde ruse etde tromperie, tantôt pour déguiser la violence, tantôt pour cacher la fai blesse; il y a des marches et des contre-marches sans fin, dont le but apparent est toujours l'opposé du but réel. Mais, somme toute, la force l'emporte.

9 26

305 : tion surlaquelleilla fonde; personnen'a d'autoritédansle vrai sens du mot.

La guerre est permanente entre ceux qui détiennent la richesseetceuxquila leurenvient:cela est pourlespeuples comme pour les individus. Il n'y a suspension d'hostilités que lorsque, pour le moment, on reconnaît un plus fort. Aussitôt que sa force est contestable, elle est contestée, et la lutte reprend. Les traités entre puissances, comme les contrats entre particuliers , ne sont observés qu'aussi longtemps qu'ils sont sanctionnés, soit par le danger qu'il aurait à les violer, soit par l'intérêt qu'il y a à les main tenir.

2 7

C'est l'anarchie dans toute l'étendue de la signification de ce mot.

FIN.

Il y a ce qu'il y a; et cela durera tant que cela pourra durer.

C'est un cercle, nous ne dirons pas vicieux, mais infer nal, dans lequel, sans en pouvoir sortir, il est irrésistible ment imposé aux uns de vivre aux dépens des autres, à ceux-ci de se prostituer aux premiers qui se les assimilent pour ne pas en être dévorés.

306 :

Il n'y a plus là de place pour le jansenisme et le jésui tisme, pour l'église et l'état, pourla religion, la morale, la philosophie, la société.

CHAPITRE III.

TABLE DES MATIÈRES Pages .

CHAPITRE PREMIER. ib13.14

PRÉFACE 5

CHAPITRE II.

.

Ricci, prêtre. . Sa parenté avec le père LaurentRicci, dernier général desjésuites. Clément XIV, empoisonné. ib21. 22

Naissance de Ricci Sa famille . Les Médicis. La compagnie de Jésus Crédulité de Ricci Ricci, Séparationjanseniste.del'église et de l'état. 15 ib. 16. 17

Pie VI. Appréciation de la cour de Rome par Ricci. L'abbé Serao, plus tard évêque de Potenza. Relations entre Ricci et l'ex-général Laurent 25 26 ib . 27

308 Pages .

ib . ib . 36

Frédéric le Grand et la grande Catherine accueillent et protégent les jésuitessupprimés . 28

Luttes de Ricci. L'église de Toscane, sous les Médicis. Sous les Espagnols Sous la maison de Lorraine. Le grand-duc ConséquencesLéopold.del'incompressibilité sociale de l'examen. Indépendance de l'église et de l'état. Réformes successives. 41 42

CHAPITRE VI. 35

4443

Le diocèse de Pistoie et Prato. L'évêque Ippoliti. Abus des serments Ricci et le pape. Examen canonique de Ricci. Son sacre. Il voudrait relever le diocèse de Prato. 37 ib . ib. 38

Projet d'une académie ecclésiastique. Le catéchismejanseniste substitué au catéchisme romain. ib .

CHAPITRE VIII.

33ib31.32

Incontri, archevêque de Florence

Révolte et obstination des religieuses dominicaines de Pistoie, sous les évèques Alamanni et Ippoliti 47

CHAPITRE IV. .

CHAPITRE V.

3029

Introduction en Toscane des écritsjansenistes. Publication par Ricci des æuvres de Machiavel. Le droit d'examen et de discussion se consolide. Le chanoinc Martini.

Ricci, évêque

CHAPITRE VII. 39 40 ib . ib .

Les jésuiles et les dominicains. Désordres des religieuses dominicaines au xvile siècle. Révélations faites parles religieuses mêmes. . Découverte des mêmes désordres chez les religieuses de saint François.

CHAPITRE X. 59 60

309 Pages . 48.

Mesures que prend le grand-duc. Pie VI et sa cour protégent les religieuses. 55 ib . 56

Tout estmis en æuvreà Prato pour empêcher Ricci de parvenir à ses fins. Le père Calvi Ricci rendcompte au pape de cequi se passe. Legrand-duc confirme ces révélations. Nouvelles découvertes. Les deux s urs sont transférées à Florence. 63 64 65 66 ib . 67

Réflexions sur cequi va suivre. Audition générale de toutes les personnes habitant le couvent de Sainte-Catherine à Pralo. 71 26.

Ricci parvient à les calmer. Le sacré ceur de Jésus. Petites intrigues. Ricci allaque la dévotion au sacré cour ib49.50

CHAPITRE IX. ib5251.

Erreursen matière de foi de deux dominicaines, à Pralo. Ricci découvre leur impiété et leur inconduite. Le grand-duc est instruit de tout Intrigues des moines. 61. 62

CHAPITRE XI. .

CHAPITRE XII. 69.

CHAPITRE XIII.

Interrogatoire textuel de la seur Marie-Clodésinde Spighi. Déposition d'une pensionnaire. Nouvelles réflexions sur ce qu'on vient de lire. 9687 97

Brefinjurieux contre Ricei. L'inquisition . L'archevêque Martini.

Les dévots conspirent contre Ricci. Martini entrave les réformes de Léopold. ib. 119 120. ib . 121

Lesjésuites et les dominicains font agir le pape contre Ricci. Preuves de la complicité de tout l'ordre de saint Dominique et du saint-siége 110

La cardiolâtrie convertie en emblème delibertinage. Fin desdeuxdominicainesperverties.

CHAPITRE XVII. 118117115ib. ib .

La Bonamici embarrasse ses examinateurs. Son Sollicitationsmysticisme.ad turpia, au confessionnal.

Interrogatoire, textuellement rapporté, de la sæur Catherine-Irène Bonamici. 79.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI. 109.

Ce que fait le grand-duc . 101 102 104103 105 108106O

Le grand-duc force le pape à céder. Ricci chargé de la direction des dominicaines. Fanalisme de cet évêque.

310 Pages .

Impertinence des deux religieuses envers l'archevêquede Florence. Elles abjurent le protestantisme. Disparition de leurs papiers

- 311 Pages.

CHAPITRE XX.

Les éludes théologiques dans les couvents. Ignorance des moines. Publications de Ricci. 155 136 137

CHAPITRE XXI.

L'inquisition privée de toute forcecoercitive . Elle est abolie par Léopold. Les images miraculeuses . Via crucis. Les olivétains L'académie ecclésiastique. 129 130 131ib. ib . 132 133

CHAPITRE XVIII.

CIIAPITRE XIX, Abolition des taxes payées au saint-siége.

La Montagne de Pistoie Jansénisme de Rioci. Permission de faire gras lesjours maigres. Ricci accorde des dispenses de son autorité privée. Les prédicateurs de carêmes Antagonisme entre Martini et Ricci. 123 124 125 126 ib. 127

CHAPITRE XXII.

Abolition des congregations de prêtres Défense aux bénéficiers de se faire remplacer. Lesjours de Ricci sont menacés. Madone miraculeuse. Fautes de Léopold Intrigues des dominicains. Suppression des autels, hors un seul,dans chaque église. Les abandonnées. 143141144 ib . 146145 147 148

Réflexions sur les réformes. Léopold s'arrête devant le mécontentement général. 150149

169

155 159

312 Pages. 150

168

Principaux articles de la constitution. .

CHAPITRE XXV.

CHAPITRE XXIII. 154 ib .

151

RicciIndulgences.combat toute action temporelle de l'église sur l'état. Les officialités . Salaire du haut clergé. Quêteurs des campagnes. Obstacles . Faiblesse de Ricci. Son puritanisme. Le serment des évêques Cas de conscience. . .

Projet de constitution pour la Toscane. Réflexions du sénateur Gianni à ce sujet. Dispositions préparatoires.

Les confréries de charité.

175174ib. ib

177 178ib.ib. ib

179

CHAPITRE XXVI.

CHAPITRE XXIV. 166

Chicanes tendantà ruiner le patrimoine ecclésiastique Intrigues conservatrices . Rachat des charges de messes et de prières.

163 165

181 182 ib

173

Abolition des confréries pieuses. Le patrimoine ecclésiastique.

Contradictions dans le caractère du grand-duc Léopold. Madone qui pleure Dispenses de mariage. Les communes frontières de Toscane soustraites à la juridiction des évêques étrangers Décision relativeau sort des religieuses supprimées. Statistique des couvents de filles en Toscane . 170

CHAPITRE XXX.

Tactique des ennemis des réformes. Menées cléricales. Émeute à Pralo. L'assemblée ecclésiastique est dissoute Réflexions. 207 208 ib . 211ib.

CHAPITRE XXVII. 185.

Nécessité de démontrer désormais à la société ce que la société a cessé de croire. Ricci combat:lejésuitisme. Le bréviaire. Machinations Synode de Pistoie Opposition.Duplicitéde la cour de Rome. Réponse des évèques au grand-duc. Assemblée préparatoire au concile national. 192 ib . ib . 194193195ib. 196 .

Synodes diocésains . Un mandement d'évêque, supprimé. Réflexions. Articles de reforme, soumis aux évêques. Léopold, théologien . Il estaccusé de toutes parts. Visites diocésaines Neuvaines nocturnes. Garde-robe du patrimoine ecclésiastique. 186 ib. 187 ib . . . . 188 189 ib 190.

313 Pages.

CHAPITRE XXIX.

Statistiqueecclésiastique de la Toscane Marche rétrograde de l'assemblée des évèques. Quelques-unes de leurs réponses au gouvernement. 199 200 204

CHAPITRE XXVIII. 191 .

225ib.226227228 229

L'opposition devient menaçante. Le peuple abolit les réformes. Apologie de Ricci. Sa fermeté. Publication des actes du synode de Pistoie et de l'assemblée de Florence. Commissions papales pourjuger Ricci. . 218 ib . 219

231

CHAPITRE XXXI.

215

241

217 ib

Mort de Joseph II. Espérances de la cour de Rome. Illusions de Ricci. Réflexions. Léopold quitte la Toscane. Insurrection du diocèse de Pistoie et Prato. Florence suit cet exemple. La démission de Ricci est acceptée par le grand -duc Ferdinand III. Petites vexations. ib .

CHAPITRE XXXIV. 242

243

- 314 Pages .

CHAPITRE XXXII. 223 224 .

Proclamations sanguinaires et incendiaires du pape. Miracles à Ancône Paix de Tolentino Rome devient république. ib .

CHAPITRE XXXIII. 232.

Conduite odieuse de l'évêque Falchi, successeur de Ricci. Le pape prêche le massacre des Français. Ceux qu'il n'avait pu faire tuer, il les déclare ses meilleurs amis. Ricci, en rapport avecle clergérévolutionnaire de France. Condamnation du synode de Pistoie. La bulle Auctorem passe inaperçue. Réflexions. 233 234 236 ib . 238

315

Motifs de l'emprisonnement de Ricci. Martini abuse de la faiblesse du prélat délenu. 247248249 ib . 251250ib.

CHAPITRE XXXVII. 265266ib. 267

Le père Bardani. Vexations monacales. Jérôme Savonarole . Ignorance d'un professeur. ib . 268 270 ib .

Elle se fait réformatrice . La Toscane envahie. Pages. 244 245

CHAPITRE XXXV.

CHAPITRE XXXVI. 253 254

Défaites des Français en Italie. Miracles anti-français en Toscane Les Arétins à Florence. Ricci est Atrocitésarrêté..

Les Arétins sont renvoyés par les Allemands Ricci en Gouvernementliberté.sénatorial.Ricciestarrêtédenouveau.

CHAPITRE XXXVIII.

Persécutions de famille Duplicité desennemis de Ricci. 271 ib.

Malheurs de l'Italie . Les Bourbons de Naples Cruelles persécutions. Guerre contre les Français. Républiqueparthénopéenne.Terrorismemonarchique. Emma Hamilton. Caroline d'Autriche . 255257ib. 259 261 262

CHAPITRE XLI.

CHAPITRE XLII.

Comparaison entre la fin du dernier siècle et celui où nous vivons. 301 DE LA TABLE .

Le crime de réformation des abus. Consalvi, cardinal secrétaire d'état. Les quatre chefs d'accusation contre Ricci. Il est acquitté par le relour desFrançais en Toscane. 275 ib. 276 278 279

CHAPITRE XL. 281 282 283.

Le roi d'Étrurie. Abolition de toutes les réformes. La reine Marie-Louise. Le père InterventionPaccanariducardinal Spina en faveur de Rieci. Rétractation de celui-ci Jugement sur cet acte. 283 289 290 291.

316 Pages.

Ricci s'occupe de miracles et d'indulgences. Sainte MaladieCatherine.deRicci.

FIN

Onl'envoie malade àsa villa Tracasseries.Procèsdel'ancien évêque. 272 273 274

CHAPITRE XXXIX.

Rieci écrit à Pie VII.

Sa mort Honneurs qui lui sont rendus. Conclusion. 295 ib . 297 ib . 298 ib.

3 5 5 B 9 1 2 5 5

Bruxelles . A. LABROUE ET C°, imprimeurs, 36, rue de la Fourche.

Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.