Le premier portrait de Rimbaud

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Le premier portrait de Rimbaud Jacques Desse

Frédéric et Arthur Rimbaud, 1866 Tirage albuminé d’après négatif verre au collodion – BnF Estampes Rés. Ne 81 F°

En 1866, à l’occasion de leur première communion, Arthur et Frédéric Rimbaud posèrent chez le photographe. En ce grand jour, ils furent confrontés, peut-être pour la première fois, à l’objectif qui allait capter leur image. Vêtus de leurs plus beaux habits, « les cheveux lissés avec de l’eau sucrée » (selon l’expression de Paul Claudel), missels à la main, ils suivirent les consignes du photographe, probablement sous le regard sévère de leur mère. L’aîné, debout, a l’air d’assumer son rôle d’homme de la famille, il paraît assez fier, tandis qu’Arthur ne semble pas beaucoup plus à l’aise qu’un insecte épinglé par un entomologiste (attitude que l’on retrouvera dans d’autres portraits, en particulier la photographie de Sheick-Othman). On remarque qu’il ne leur a pas été demandé de manifester de l’affection mutuelle, contrairement à ce qui se faisait très souvent à cette époque dans les photographies représentant des frères et sœurs 1.

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Cf. Manuel Charpy, « La bourgeoisie en portrait. Albums familiaux de photographies des années 1860-1914 », Revue d’Histoire du XIXe siècle, 34, 2007 (https://rh19.revues.org/1382). 1


Il ne fut vraisemblablement tiré qu’un exemplaire de ce cliché. L’épreuve resta dans la famille et fut finalement vendue dans les années 1950 par la veuve de Paterne Berrichon, puis acquise par Alexandrine de Rothschild 2. Lors de la vente de sa grande collection, en 1969, elle fut préemptée par la Bibliothèque nationale de France. Elle est aujourd’hui la mieux conservée de toutes les (rares) photographies de Rimbaud. Une excellente reproduction en a été donnée en 2006 par Jean-Jacques Lefrère, dans Face à Rimbaud. Nous en avons fait réaliser une reproduction en haute définition afin de pouvoir en observer les détails.

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Suzanne Briet, commissaire de l’exposition du centenaire de Rimbaud à la Bibliothèque nationale, écrivit en décembre 1954 à la veuve de Paterne Berrichon : « Je suis heureuse que le catalogue de l’exposition Rimbaud vous ait fait plaisir […]. Un prêteur-collectionneur - qui n’est pas un marchand – me demandait l’autre jour qui possédait la photo originale du communiant […]. Peut-être pourriez-vous en tirer un bon prix de ce côté » (Collection Carlton Lake, Harry Ransom Humanities Research Center, University of Texas, Austin. Au dos d’une carte postale représentant Rimbaud en premier communiant). 2


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Cette photographie, comme le célébrissime portrait par Carjat, fut publiée pour la première fois en 1922 dans l’édition des Œuvres complètes de Rimbaud à La Banderole. Elle y est modifiée : Frédéric a disparu, et Arthur est redressé. Il semble que la présence dans l’image du grand frère du poète, vilain petit canard de la famille, ait été jugée trop envahissante, et il fut donc été éliminé… Cette version fut reproduite en 1946 par François Ruchon dans son étude « de référence » sur l’iconographie de Rimbaud. Cette image retouchée est la version la plus souvent reproduite ou exposée de nos jours, qui illustre par exemple la notice Rimbaud sur Wikipédia 3.

Version de La Banderole et de Ruchon, et, à droite, de Wikipédia

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Sur ces versions, cf. J. Desse, « Rimbaud retouché. Les photographies d’Afrique, ou Rimbaud à contresens » (http://issuu.com/libraires-associes/docs/rimbaud____contresens/1). L’authenticité de l’épreuve conservée à la BnF a été mise en cause par un chercheur avide de « mystifications » et de complots. Il suggère qu’il s’agit d’une version trafiquée, forgée par Paterne Berrichon autour de 1900. Cette thèse n’est pas seulement tirée par les cheveux, elle est aussi grotesque : l’épreuve est bien d’époque et elle n’a pas été altérée depuis sa création, il n’y a pas de doute possible. Elle date donc d’une trentaine d’années avant que Berrichon ne se mêle des affaires rimbaldiennes… 4


Elle a inspirĂŠ quelques Ĺ“uvres picturales, comme, ci-dessous, celles de Paterne Berrichon, Valentine Hugo et Jean Cocteau.

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L’image originale, qui ne porte aucune mention manuscrite, était à l’origine placée sous un passe-partout rectangulaire aux coins arrondis. Elle est légèrement retouchée, comme c’était le cas pour tous les portraits en ce temps. Sur le négatif, les yeux ont été un peu foncés (la technique photographique d’alors ne permettant pas de rendre correctement des yeux bleus clairs comme ceux des Rimbaud) : on voit nettement le décalage entre les iris et les zones plus sombres et irrégulières des rehauts. Cela explique pourquoi les frères Rimbaud paraissent sur cette photo avoir les yeux marron. Un petit trait semble avoir été tracé sous le côté le plus éclairé du menton des deux garçons, afin de renfoncer l’ombre et de détacher les visages par rapport aux cols blancs.

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De même les lèvres supérieures paraissent avoir été un peu ombrées et, du coup, remodelées 4.

Sur l’épreuve, on remarque des « repiques » à l’encre, également très classiques. Elles se voient plus aujourd’hui qu’autrefois, l’épreuve albuminée ayant pali plus que l’encre. Il est assuré qu’elles ont été pratiquées par l’atelier du photographe puisqu’il y a de nombreux petits points dans le fond, destinés à combler de minuscules manques sur le tirage, ce qu’un particulier n’aurait certainement pas pris la peine de faire. Ces repiques et retouches à l’encre, discrètes ou invasives, s’observent d’ailleurs sur la majorité des tirages albuminés du XIXe siècle 5.

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Le tracé de la lèvre supérieure de Rimbaud paraît avoir été peu lisible. Elle a également été rehaussée dans les deux photos de Carjat, ce qui explique qu’elle présente un dessin assez différent selon les clichés. 5 Un exemple très similaire, chez Nadar : https://www.google.com/culturalinstitute/asset-viewer/self-portrait-f%C3%A9lix-nadar/NwGWp3wKlPE3MA

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Ces rehauts ont aussi atténué les reflets trop brillants sur les chaussures (la partie basse de l’image étant surexposée) et ont « recréé » le tapis derrière Frédéric.

Il s’agissait là, sans doute, de camoufler le pied du support qui permettait aux sujets debout de rester bien immobiles durant la pose. On observe de telles retouches grossières même sur de luxueuses épreuves réalisées par des maîtres.

Carjat, Frédéric Lemaître, vers 1868, 27 x 20,9 cm – Etude Ader, 19 mai 2015 8


Trépied non effacé, sur des photos carte de visite réalisées à Charleville dans les années 1860-70. Clichés Vassogne - Collections Photovintage et Aurore Phot 6

Le haut de la chaise qui apparaît derrière les deux frères, et qui avait été mal atténué sur le négatif, a également été barbouillé.

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Sur ces photos de petit format, les pieds du support se remarquaient moins, il n’était donc pas nécessaire de les camoufler par une retouche. 9


Ces interventions banales sont peu de chose par rapport à celles que pratiquaient les grands studios. L’image est d’ailleurs particulièrement « rustique », avec son décor pauvre, minimaliste et confus (seconde chaise qui traine derrière…), la prise de vue un peu de travers, etc. On devine que l’artisan photographe ne s’est pas trop embêté, et qu’il a fait moins d’efforts que pour un portrait d’adulte, ou, plus encore, pour un portrait d’adulte d’un milieu social élevé. A sa décharge, il semble que la photographie de communion n’avait pas encore en ce temps le statut qui sera le sien à partir des années 1890, où seront réalisés des clichés mis en scène et réalisés avec un soin équivalent aux photos de jeunes mariés ou de personnalités.

Tirages cartes de visite, années 1860

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et vers 1885 / Tirage carte postale, années 1920-30

En revanche, l’épreuve est bien contrastée et elle est d’une taille inhabituellement grande (21,5 x 14,5 cm 8), pour un souvenir de famille de la petite bourgeoisie du milieu du XIXe siècle. Il faut croire, soit que Mme Rimbaud avait décidé de commander un grand et assez coûteux portrait (ce qui ne lui ressemble pas trop), soit que la mode des tirages en petit format, dits cartes de visite, ne s’était pas encore complètement généralisée en province. Enfin, on remarque une empreinte digitale, au niveau de la jambe gauche d’Arthur. Pas la sienne (!), mais beaucoup plus vraisemblablement celle du photographe ou de son assistant, qui a manipulé l’épreuve pas encore tout à fait sèche. 7

Cette épreuve comporte de nombreuses repiques à l’encre, en particulier sur le fond et le col. Le cliché a donc vraisemblablement été réalisé sur un négatif verre de format 18 x 24 cm. Si l’on peut rencontrer assez facilement des photos carte de visite par Vassogne, je n’ai pas trouvé trace de grandes épreuves. Les Archives départementales des Ardennes ne paraissent conserver que de petites images de ce photographe (je remercie Mme Frédérique Laverrière, qui a eu l’amabilité de compulser le fonds de photographies conversé dans ces archives ; je n’ai malheureusement pas pu obtenir d’informations de la part des musées de l’Ardenne et Arthur Rimbaud). 8

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L’auteur de ce portrait était jusqu’ici inconnu, même si des biographes l’ont attribué, un peu au hasard, à tel ou tel opérateur de Charleville. Mais le même tapis caractéristique figure dans des clichés anciens d’un photographe de Charleville-Mézières, nommé Vassogne. Ce détail comme le contexte montrent que, selon toute vraisemblance, c’est lui qui réalisa ce portrait.

Vassogne, photo carte de visite, vers 1865 -Collection Mundus Vetus 11


Il semble que l’on aperçoive même dans certains clichés de Vassogne la chaise rustique sur laquelle est assis Arthur dans la photographie de Première communion :

Vassogne, photo carte de visite, vers 1865 - Collection Photovintage

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Louis Eugène Vassogne (1836-1881 10) était l’un des deux ou trois photographes installés à l’époque à Charleville, avec le fameux Emile Jacoby 11. Cet artisan n’a pas laissé beaucoup de traces mais on rencontre ici et là des portraits par Vassogne, la collection François Boisjoly en comprenant une vingtaine, dont plusieurs où apparaît le même tapis 12. Dans les clichés de cette époque, les adultes posent souvent avec un riche siège Napoléon III, que l’on voit ci-dessous à gauche. 9

Autre exemple (source Delcampe) :

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Prénom et dates donnés par Hélène Dufour et ‎André Guyaux, Arthur Rimbaud, 1854-1891 : portraits, dessins, manuscrits, Dossiers du musée d’Orsay, 1991, p. 90. Eugène Vassogne aurait commencé son activité en 1862 (François Boisjoly) avec pour toute première adresse le 113 sous les Allées [cours d’Orléans] puis le 95. Il apparaît dans les annuaires de photographes au moins jusqu’en 1880. Ses successeurs furent sa veuve, jusque vers 1890, puis Alfred Gelly. La famille Rimbaud a vécu dans la même rue, au numéro 13, en 18631864. 11

Le studio de Jacoby était situé 22 rue Forest, dans la maison voisine de celle qu’occupa la famille Rimbaud à partir de 1865. Pourtant ce n’est pas chez lui que « La Mother » conduisit ses enfants (peut-être à cause de son orientation politique, ou bien parce qu’il était plus coté, et donc plus cher que Vassogne ?). Jacoby aurait débuté son activité vers 1860, il fut membre de la Société Française de Photographie de 1868 à 1885. 12

Dans les clichés les plus anciens, il n’y a pas de tapis mais un plancher brut.

Cf. http://www.photo-carte.com/liste-photocartes-photographe.php?idphot=10442&page=1

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Vassogne, photos cartes de visite, vers 1865 – Collections Jacques Lal (à gauche) et François Boisjoly

Vassogne a aussi réalisé des vues de Charleville, particulièrement pour témoigner des destructions de la guerre de 1870, pour lesquelles il réalisa même un « reportage photographique » qui serait l’un des plus anciens connus 13. Il commercialisait des tirages de ces vues en petit format, sur support carte de visite.

Citadelle de Mézières, tirage carte de visite vers 1870-75 – Collection J. Delarue 13

Librairie Plantureux, bulletin n°1, 2014, n° 10 (http://www.photoceros.com/wp-content/uploads/2014/01/BTP-

011.pdf). Voir ci-dessous, Annexe.

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Charleville, place Ducale, tirage carte de visite vers 1870-75 – Collection J. Delarue

Le 1er janvier 1871, les troupes allemandes entrèrent sur la place Ducale, au cœur de Charleville. La veille, Mézières avait été quasiment rasée par les bombes. Rimbaud aurait passé deux jours à rechercher son ami Ernest Delahaye, dont la maison avait été anéantie. Toujours selon le témoignage de Delahaye, les deux compères auraient ensuite longuement exploré ce nouveau paysage, regrettant particulièrement la disparition de leurs pipes dans la catastrophe… 14

Il était courant à cette époque que des photographies anciennes continuent être exploitées, sans forcément porter le nom de leur auteur, vingt ou trente ans après leur réalisation. Ce fut le cas de nombreuses vues de Charleville par Vassogne, en particulier celles datant de la guerre de 1870. Elle furent reproduites en carte postale autour de 1900 par son successeur, Alfred Gelly, qui avait manifestement racheté les négatifs de Vassogne en même temps que son fonds de commerce 15. 14

Delahaye, Souvenirs familiers à propos de Rimbaud, Verlaine, Germain Nouveau, 1925, pp. 91 ss.

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On se prend à rêver de retrouver le fonds de négatif conservés par Gelly... Malheureusement, il est fort probable qu’il a un jour fini à la décharge, comme ceux de l’immense majorité des photographes de ville (Carjat compris), ou bien que les négatifs verre ont fini par être effacés pour être réutilisés. 14


Verso d’une photographie de Gelly, successeur de Vassogne et de Chaupe, vers 1900

Vassogne, Mézières, tirage carte de visite vers 1871 / Edition en carte postale par Gelly, vers 1900

Vassogne, Charleville, vers 1870, tirage carte de visite – Collection Photovintage France 15


C’est également Vassogne qui fit vers 1870-1873, quelques années après la photographie de première communion, le seul portrait connu de Vitalie, petite sœur de Frédéric et d’Arthur, qui est aujourd’hui conservé au Musée Rimbaud 16. Portrait qui était cette fois au format carte de visite, avec un décor de toile peinte plus riche, qui ressemble plus à ceux des studios parisiens (et à ceux de Jacoby).

Vassogne, Vitalie Rimbaud - Musée Arthur Rimbaud, Charleville-Mézières

Le même décor et la même chaise apparaissent d’ailleurs dans d’autres portraits carte de visite par Vassogne.

A droite : Collection Mundus Vetus / Collection F. Boisjoly / Delcampe

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Bien que la plupart des documents familiaux soient parvenus jusqu’à nous, on ne connaît pas d’autres photographies des enfants de Mme Rimbaud (pas de photo, en particulier, d’Isabelle enfant). Sauf la photo de classe de l’institution Rossat (Musée Rimbaud), dans laquelle apparaissent probablement Frédéric et Arthur, mais dont l’exemplaire connu ne provient pas, a priori, de la famille Rimbaud. 16


Last but not least, Vassogne, en 1870, tira le portrait du jeune professeur Georges Izambard, qui allait jouer un grand rôle auprès de Rimbaud, au point de devenir l’un des deux premiers grands témoins de sa vie. Izambard a envoyé cette photographie à Jean-Paul Vaillant en 1929, mais il semble qu’on n’en connaisse aujourd’hui que de mauvaises reproductions 17. Le professeur de rhétorique y apparaît en buste, avec une fine cravate, comme Rimbaud l’année suivante dans le portrait par Carjat, qui allait devenir si célèbre…

On pourrait même se demander si Izambard en 1870 n’aurait fait la même chose que Verlaine en octobre 1871. En effet, il aurait pu proposer au très jeune poète de poser pour le photographe qui avait réalisé son propre portrait, voire profiter de la séance où il posait pour faire photographier Rimbaud. En ce cas, la photographie de Carjat où Rimbaud apparaît très jeune pourrait être un retirage (contretype) de ce cliché. Vassogne serait finalement mieux placé que Jacoby, auquel certains ont été tentés d’attribuer ce cliché, mais les deux hypothèses restent en réalité très improbables 18.

Vassogne, portraits d’inconnus, vers 1870-75 – (A gauche : Collection Mundus Vetus) 17

« Je joins à ma lettre deux portraits de moi : l’un fait à Charleville en 1870, chez un photographe, M. Vassogne, 95, sous les Allées. (C’est là aussi qu’habitait notre ami Deverrière, locataire dudit photographe). L’autre portrait date seulement de quelques mois, fait par un de mes amis. » La photographie de jeunesse semble avoir été publiée en 1930 par le colonel Godchot dans Ma revue, n° 20 (Petitfils, L’œuvre et le visage d’A.R., p. 301), et depuis reproduite dans les biographies de Rimbaud à partir de cette publication. 18

Ne serait-ce que pour des raisons techniques, entre autres le fait que la photo par Carjat ne présente pas les caractéristiques d’un contretype d’une photographie initiale de tout petit format. De plus, si Rimbaud avait été photographié lors de la même séance, Izambard, qui avait une mémoire très précise, n’aurait pas manqué de s’en souvenir et de le rappeler. 17


En octobre-novembre 1870, Rimbaud et Delahaye envoyèrent à Jacoby, de manière anonyme, des textes qu’ils espéraient voir publier dans Le Progrès des Ardennes, éphémère journal « de gauche » édité par le photographe. On sait désormais que l’un d’eux, « Le Rêve de Bismarck » y parut effectivement, le 25 novembre 1870 - un mois avant le bombardement allemand, dans lequel l’imprimerie du quotidien fut détruite - 19. On sait également que Rimbaud travailla dans les bureaux du journal durant quelques jours en avril 1871.

Portraits par Jacoby : vers 1865 / vers 1875 (Coll. Mundus Vetus et Un livre une image)

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Mais ce n’est pas Jacoby qui photographia Rimbaud, contrairement à ce qui a pu être supposé. D’ailleurs Izambard et Rimbaud avaient leurs habitudes sous les Allées, au 95 cours d’Orléans, où se trouvait le magasin de Vassogne. Le monde carolopolitain n’était pas grand… Leur ami le plus proche, un jeune professeur nommé Léon Deverrière, y demeurait, le photographe lui louant un appartement situé au-dessus de sa boutique 21. 19

http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=640

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Le tapis des plus anciennes de photos par Jacoby (ici à gauche) est similaire mais différent de celui de Vassogne. Autre exemple dans la collection de portraits cartes de visite des Archives départementales des Ardennes : http://archives.cd08.fr/article.php?laref=50&titre=visages-d-antan-visages-de-grands 21

Lefrère, Arthur Rimbaud, Correspondance, 2 novembre 1870 : « Léon Deverrière était professeur de rhétorique dans cette institution Barbadaux dont Rimbaud avait été l'élève quand elle portait encore le nom de Rossat. Izambard, qui avait lié amitié avec ce collègue pendant son semestre à Charleville, l'avait invité à passer quelques jours de vacances à Douai avec lui, de sorte qu’au cours de sa retraite douaisienne, Rimbaud avait pu faire plus ample connaissance avec ce concitoyen. À Charleville, ce « gros garçon jovial, actif, pratique, laborieux, plein d’optimisme, d’indépendance et de générosité » habitait dans un appartement du 95, cours d’Orléans, loué au photographe Vassogne, dont l’atelier était dans la même maison. Rimbaud paraît s’être bien entendu avec ce Deverrière « curieux d’étrangetés philosophiques et appartenant au parti radical avancé » (Ernest Delahaye, Souvenirs familiers à propos de Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau, Messein, 1925), et qu’il fréquentera régulièrement l’année suivante à Charleville. De son côté, Deverrière semble avoir aussi apprécié la compagnie de l’ancien élève de son ami Izambard : il lui prêtera des livres et l’approvisionnera en tabac. » Deverrière aida Izambard lorsque celui-ci ramena Rimbaud à Charleville fin septembre, après sa fugue. Dans sa lettre du 11 novembre 1870, il donne des nouvelles de Rimbaud et de Jacoby : « Le Progrès se hèle à l’instant… C’est un journal épismar… On m’a demandé un article pour le premier numéro. Je fabrique un article de circonstance. Douze jours après, le numéro paraît, et j’y aperçois mon article démodé, maladroitement retaillé et corrigé… Jacoby en est réduit à sa prose bourgeoise et javanaise…. C’est un fou… ». C’est aussi le précieux Deverrière, ami du père Bretagne, qui donna un petit viatique à Rimbaud avant son départ pour Paris, et en janvier 1872, informa Izambard que Rimbaud se trouvait à Paris, chez Verlaine. Mais le journal qui succéda au Progrès des Ardennes, ne publia pas les textes que Rimbaud lui envoya, bien que Deverrière y soit en poste. 18


Deverrière y hébergea d’ailleurs Izambard à l’automne 1870 et Mme Rimbaud se présenta deux fois de suite chez Vassogne pour trouver Deverrière, afin de régler ses comptes avec Izambard au sujet de la fugue de son fils 22. Dans les mois qui précédèrent son départ pour Paris, Rimbaud se faisait envoyer son courrier à cette adresse… « Ça ne veut pas rien dire. — REPONDEZ-MOI : chez Mr Deverrière, pour A.R. »

23

Verso d’une photo de Vassogne, vers 1870-75 Ci-dessous, les Allées vers 1900

22

Izambard avait chargé Deverrière de récupérer auprès de Mme Rimbaud l’argent dépensé pour le rapatriement du jeune fugueur. Deverrière lui en fit cet épique récit, dans sa lettre du 11 novembre 1870 : « J’ai vu hier la cousine Bête née Raimbaud [sic]. Je lui avais fait remettre votre lettre par son fils [Arthur]. Avant-hier, on m’annonce que [mot illisible] vénérable s’était présentée chez Charot et deux fois chez mon proprillétaire [sic]. Hier donc, à six heures et quart, on me mande chez Nicolas. Je n’avais pas encore vu l’astèque, mais je le devinais. - Vous êtes bien M. Dev., demeurant chez… chargé d’affaire de M. Iz… et c’est bien vous qui avez remis à mon fils une lettre venant de Douai… - Voui, madame. - Les exigences de M. Izambard sont inacceptables ; je me réserve de m’entendre avec lui, en attendant je vais vous remettre 15 fr. 65. Pouvez-vous, voulez-vous les accepter ? - Voui, madame. - Alors vous voudrez bien m’écrire un reçu. - Voui, madame. - J’arrache à mon aile, ou mieux à celle de Nicolas, sa meilleure plume d’oie, je la trempe et… la voix de crécelle dicte ce qui suit: Reçu de Mme R. la somme de 15 fr. 65, somme avancée par M. Iz. à M. R., son fils. Pour M. Izambard, le… du… Là-dessus le bec de corvin [corbeau] allonge cinq griffes sur le reçu, desserre les cinq autres et laisse tomber trois pièces de cent sous et quinze sous de ferraille. Je considère la monnaie, la pèse, la fais résonner (qui sait !). Bonsoir, dame Pernelle ». 23

Lettre à Izambard, 13 mai 1871. De même le 10 juin 1871, à Demeny : « Écrivez à : M. Deverrière, 95, sous les Allées, pour : A. Rimbaud ». A Izambard, le 12 juillet 1871 : « Vous m’enverriez ce ballot [de livres] chez Mr Deverrière, 95, sous les Allées, lequel est prévenu de la chose et l’attend ! ». 19


Actuel 95 cours Aristide Briand

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Carte postale vers 1900, où l’on aperçoit l’immeuble. (Collection Ante Annum)

24

On rencontre également des photographies de Vassogne à l’adresse du 85 (et non 95) cours d’Orléans, qui sont postérieures, datant d’environ 1890 (j’ignore si le magasin a déménagé ou si la numérotation de la rue avait changé). 20


ANNEXE Photographies de Charleville-Mézières par Vassogne, vers 1871, éditées en cartes postales par Gelly vers 1900

25

Les premières cartes postales de Charleville, dont celles de Gelly, ont été éditées en 1898. La série sur les destructions de la guerre de 1870 paraît avoir été publiée en 1902 26. Cette dernière, qui connut un grand succès, compte au moins 26 vues différentes. Toutes ces photographies ont probablement été prises par Vassogne.

25

Détail de la carte n° 18 de la série consacrée à la guerre de 1870 : le vieux moulin, qui abrite aujourd’hui le musée Rimbaud. 26

« Dès 1898, deux libraires, Van Praet (cours d'Orléans) et Edouard Jolly (place Ducale) s'associaient au photographe Alfred Gelly et publiaient en juin, douze vues de Charleville, Mézières et de la Vallée, en août quinze, vingt-et-une en octobre, vingt-deux en juin 1899, trente-cinq en mars 1900 ! En 1901, ils éditaient quatre-vingt-dix vues pleines (c'est-à-dire couvrant tout le verso) sur un papier de couleur ; en 1902 enfin ils sortaient une série numérotée relative aux années de guerre 1870-71, dont il nous reste de nombreux exemplaires. » (http://www.cndp.fr/crdp-reims/cddp08/artsculture/charleville1900/carte.htm) 21


22


23


Notice de la librairie Plantureux sur des photographies par Vassogne 27

27

Il s’agit de la même série, mais pas exactement de la même vue que le cliché édité par Gelly. 24


Il est également possible que Gelly ait utilisé d’autres clichés anciens de Vassogne pour les publier en carte postale 28. Cela pourrait être le cas pour les vues du monument aux morts de 1870-71, inauguré en bas des allées en 1874, et détruit par les Allemands en 1918. On sait que Vassogne avait réalisé des photographies de cette sculpture, et il a été proposé après-guerre d’utiliser ces clichés pour reconstruire le monument 29.

28

Certaines doivent être facilement repérables par les historiens locaux, dès lors qu’elles représentent des bâtiments ou monuments détruits en 1870-1880, donc bien avant l’entrée en activité de Gelly. 29

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5579203v/f15.image.r=vassogne

25


Enfin, des clichés de Vassogne ont manifestement continué à être diffusés, comme en témoigne cette carte postale éditée en 1922 (soit plus de cinquante ans après la réalisation de la photographie), par Ch. Thériel (successeur de Gelly ?)…

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