5 minute read

L’histoire de Jatou

Saffie Nyassi

GTU (Syndicat des enseignant.es de la Gambie)

Cette histoire est celle de Jatou, une grande fille élancée et jolie qui fréquentait le dernier niveau d’une école primaire dans une province de la Gambie. C’était la fille aînée de ses parents, une athlète qui représentait sa région dans les manifestations sportives nationales. C’était aussi une bonne élève.

Jatou était très connue dans son quartier et pratiquement tout le monde l’aimait dans sa communauté.

L’histoire débute alors que Jatou devait représenter sa région dans une épreuve sportive à l’échelle nationale. Tous les athlètes issus des régions campent habituellement au même endroit lors de telles manifestations. La veille de la compétition, vers 20 heures, Jatou a décidé d’aller dans un magasin voisin pour acheter du chocolat. Il faisait sombre et elle était seule.

Avant qu’elle n’arrive au magasin, un inconnu l’a prise par surprise de derrière et lui a brusquement couvert la bouche avec un morceau de tissu. Jatou était complètement désarmée. L’homme l’a jetée à terre, puis violée.

Lorsqu’il l’a laissée partir, elle a réussi à retrouver les autres athlètes. Sa jupe marron était déchirée. Elle avait des tâches de sang. On avait remarqué son absence pendant le temps où elle avait disparu. Son enseignante, madame Njie, l’a rapidement emmenée à l’hôpital. Là, elle s’est remise sur pied au bout d’une semaine.

Lorsqu’elle est rentrée dans sa région d’origine et son établissement scolaire, la nouvelle s’était répandue partout. Il est devenu difficile pour Jatou de vivre dans cet environnement.

En tant qu’équipe de changement en matière de violence liée au genre en milieu scolaire (VGMS), nous voulions créer un environnement exempt de VGMS sous toutes ses formes et dans tous les lieux de façon à garantir la pleine participation de tous, et plus particulièrement des femmes et des jeunes. Il nous incombait en premier lieu de fournir un accompagnement à Jatou et de faire preuve d’empathie envers elle.

Nous avons remarqué que Jatou manquait l’école depuis plusieurs jours. Nous en avons parlé en équipe et décidé d’envoyer des membres de la Section des femmes du syndicat la voir.

Durant cette visite, nous avons cherché avec elle un moyen de la soulager du traumatisme qu’elle avait vécu. Elle a préféré déménager chez sa tante dans une autre région. En tant que membre de l’équipe de changement, j’ai décidé de surveiller en permanence ses progrès autant à l’école que chez sa tante. Jatou a continué d’obtenir de bons résultats scolaires mais elle a décidé de cesser de prendre part aux activités sportives.

Nous ne savions pas alors que son père avait voulu la marier peu après le viol qu’elle avait subi. Il pensait que c’était la seule option pour elle. Lorsque sa tante nous a mis au courant, nous avons décidé, en tant qu’agent.es du changement, enseignants, parents et modèles, de rencontrer son père. Nous avons évoqué différentes stratégies possibles avant de le rencontrer.

La première rencontre n’a donné aucun résultat car le père de Jatou était furieux contre nous. La deuxième fois que nous lui avons rendu visite, nous y sommes allés avec la tante de Jatou. Après un long dialogue composé de suppliques, de blagues et de sourires, la mission a porté ses fruits mais aux conditions suivantes:

L’équipe de changement prendra en charge les éventuelles répercussions négatives sur Jatou.

Jatou se mariera dès qu’elle aura terminé ses études secondaires.

Nous avons accepté ces conditions car nous pensons que quand on instruit une femme, on instruit toute une nation.

Aujourd’hui, Jatou est en dernière année au lycée. Elle est suivie tant à l’école qu’à la maison pour jauger ses résultats. Une communication efficace entre le père de Jatou et l’équipe de changement a été instaurée dans la compréhension mutuelle, la confiance et l’amitié. Nous continuons à encourager Jatou à poursuivre son éducation dans l’enseignement supérieur.

L’intervention de notre équipe de changement a été pertinente et a porté ses fruits. À partir de ce processus, j’ai appris qu’il est important de se respecter et de se faire confiance à soi-même pour que les autres aient confiance en vous, et que l’orientation et l’accompagnement sont de puissants outils pour lutter contre la VGMS. Je me suis également aperçue que le père de Jatou n’avait pas réfléchi aux conséquences d’un mariage précoce. Le dialogue avec son père montre l’importance de sensibiliser les gens à la VGMS et de s’assurer la participation de toutes les parties prenantes.

En tant que syndicat, la majorité de nos activités portent sur les femmes, les filles et les jeunes, car ce sont les groupes les plus vulnérables. Nous leur expliquons comment s’y prendre pour chercher réparation quand leurs droits sont bafoués, et auprès de qui. Nous procurons également aux jeunes une plateforme pour montrer leur potentiel et leur talent, ainsi que l’occasion de raconter leurs expériences. Les caucus de femmes et les conférences de jeunes constituent des forums où s’exprimer sur les problèmes de VGMS.

Objectifs de la Section des femmes

La Section des femmes du syndicat sert à appuyer, guider, accompagner et chercher réparation pour les personnes dont les droits sont bafoués.

Nous nouons des partenariats avec des parties prenantes et d’autres organisations de la société civile dont nous partageons les objectifs.

Un autre objectif est que personne ne soit laissé sur le bord du chemin, à savoir organiser des formations, des visites et faire un suivi de nos membres à la base.

Comment pouvons-nous induire le changement ?

En dotant le GTU de stratégies à effets immédiats et à plus long terme, pour continuer à affronter le problème de la VGMS dans un avenir éloigné

En considérant la VGMS dans nos programmes scolaires à l’échelle nationale

En mettant au point un manuel de formation sur la VGMS et le genre

En améliorant l’éducation des filles sur les questions liées au genre dans nos programmes et activités

En s’efforçant de bien conseiller nos filles pour les accompagner

En utilisant les clubs de l’établissement scolaire, les clubs de mères et les associations culturelles pour faire circuler le message au sujet de la VGMS

En utilisant les émissions de radio où le public peut appeler en direct pour traiter et éclairer les mythes et les idées fausses

En disposant d’un code d’éthique et de conduite professionnelle.